LES IWW CONTRE STARBUCKS

solidarityLorsqu’on conduit le long des grandes villes américaines, on croise d’innombrables enseignes lumineuses à la gloire des chaînes de restaurants et de supermarchés.

D’un bout à l’autre du pays, Mc Donald’s succèdent à Starbucks, qui succèdent à Burger King, qui laissent la place à Taco Bell, et encore, et encore, ad nauseam.

En tant que membre du Starbucks Workers Union [syndicat des travailleurs de Starbucks,] nous croyons que le besoin de s’organiser sur le lieu de travail est plus grand que jamais. Derrière chaque logo brillant sommeille une lutte. Depuis le milieu des années 1970, les patrons sont à l’offensive : ils rouent les travailleurs de coups : inflation, répression des syndicats, délocalisations, restructurations industrielles, et détricotage de ce qui reste de sécurité sociale.

Le résultat des ces mutations, c’est que la précarité s’est imposée comme le destin obligatoire d’une fraction toujours plus nombreuse de la classe ouvrière.

Le Précariat : une Classe Impossible

La précarité, c’est ce qui définit le mieux la vie au quotidien de ceux qui travaillent pour ces boîtes . Il est tout bonnement impossible de joindre les deux bouts avec ce genre d’emploi.

A cause du manque d’organisation syndicale dans ces branches, nous sommes presque tous considérés comme des employés corvéables à merci. Ça signifie qu’en vertu des lois du travail américaines, on peut nous renvoyer sans motif. La menace du licenciement, toutefois, n’est que le plus visible des mécanismes subtils utilisés par les directions pour nous contrôler.

Chez Starbucks, beaucoup de travailleurs ont du mal à gérer leurs dépenses ou à organiser leur vie quotidienne parce que leur emploi du temps varie énormément d’une semaine sur l’autre.

L’entreprise utilise un système informatique pour déterminer les besoins en employés des magasins, en fonction des ventes précédentes. Le logiciel “Automated Labor Scheduling” [Programmation Automatisée du Travail] fait supporter aux travailleurs la quasi-intégralité des risques liés aux caprices du marché. Les patrons achètent de la “force de travail” exactement comme ils le feraient avec des grains de café ou un autre intrant. S’il arrive à des travailleurs de contester l’autorité arbitraire du patron, ils subissent des mesures de rétorsion telles que des diminutions d’heures. Mais nous ne sommes pas des grains de café, nous sommes des êtres humains !

S’organiser au sein de ces boîtes, c’est à peu près aussi infernal que d’y travailler. En fait, beaucoup de secteurs ont été restructurés dans le but explicite de réduire le pouvoir des travailleurs. Les travailleurs sont éparpillés sur les nombreux sites d’un réseau, où l’on surveille étroitement les signes de subversion. Il y a très peu de points névralgiques où l’action syndicale est en mesure de paralyser l’entreprise. Et de toute façon, ça ne va jamais aussi loin. La neutralisation des syndicats est maintenant une composante à part entière des manœuvres quotidiennes des services des « Ressources Humaines » de ces entreprises.

Plutôt que d’avoir à combattre des syndicats installés, les entreprises préfèrent imaginer en amont des programmes de « prévention » pour empêcher les travailleurs de s’organiser.

Il n’y a pas de “travailleurs” à Starbucks

Les entreprises ne se contentent pas d’éteindre les révoltes des travailleurs ; elles cherchent à piétiner une fois pour toutes leur potentiel de révolte en détruisant la classe ouvrière en tant que sujet historique. Il n’y a pas de “travailleurs” dans ces entreprises : chez Starbucks, on est des “partenaires”, chez IKEA, des “collaborateurs” et chez Wal-Mart, des “associés”. Une fois que l’idée d’équipe est assumée par tout le monde, les travailleurs sont incités à la compétition interne pour progresser dans l’entreprise, ce qui, à terme, est censé faire progresser l’entreprise sur le marché.

En conséquence, la culture de solidarité que les mouvements ouvriers des 19ème et 20ème siècles avaient bâti se voit sapée par un climat de suspicion mutuelle, de mouchardage et de compétition acharnée. Les patrons veulent que nous pensions que la seule issue à notre précarité, c’est de devenir des patrons nous-mêmes.

Voilà la cartographie de la classe ouvrière aujourd’hui : sous-payée, sur-exploitée, surveillée, ballottée d’un site de production à l’autre, sur plusieurs continents, par monts et par vaux, prête à tout, luttant sans cesse pour ne pas perdre pied. En tant que militants, c’est sur ce terrain qu’il nous faut apprendre à marcher.

Ça fait quatre ans maintenant que le syndicat Starbucks Workers Union-IWW s’est engagé sur ce chemin. Notre expérience syndicale peut donner une bonne idée des pièges, des possibilités et de la nécessité de l’action syndicale au milieu de cette précarité.

Nos Origines

Le Syndicat des Travailleurs de Starbucks a été fondé en Mai 2004 dans un restaurant de New-York. Grâce à un site web et au réseau des IWW, on s’est implantés à Chicago, Maryland, et Grand Rapids. Les travailleurs de la chaîne (Baristas) s’organisent aussi en sous-marin à l’échelle internationale.

Dès le début, il était clair que le système des élections cautionné par le gouvernement ne fonctionnerait pas dans le contexte d’une chaîne de magasins. Quand les Baristas de la 36ème rue et du Starbucks Madison de New-York ont voulu se présenter aux élections professionnelles du National Labor Relations Board, l’entreprise a réagi en usant de son poids politique pour imposer un charcutage électoral et affaiblir ainsi les magasins acquis au syndicat en leur adjoignant tous les magasins de Manhattan. Du coup, l’IWW – Baristas s’est retiré et se tient depuis à l’écart des tactiques électorales.

Pour l’AFL-CIO ou les syndicats « réformistes, » tout se serait arrêté là. Mais pour l’IWW, c’est là que tout commençait. On peut décrire l’approche syndicale que ça nous a forcé à adopter comme la combinaison de deux stratégies : une « guerre terrestre » et une « guerre aérienne. »

La Guerre Terrestre : un syndicalisme de solidarité

Comment fait-on pour souffler sur les braises du mécontentement et les transformer en un feu assez vivace pour résister à la répression syndicale, au renouvellement incessant de personnel, et aux techniques de manipulation psychologiques propres au commerce ? Le syndicat a adopté une approche dite de “syndicalisme de solidarité.”

Le fondement de ce schéma réside dans notre capacité à analyser les mécanismes du pouvoir. Nous pensons que les travailleurs ont plus de force là où les patrons dépendent le plus d’eux : au milieu du restaurant.

Au lieu de compter uniquement sur le règlement inapproprié du National Labor Relations Act, nous incitons les travailleurs à être solidaires avec leurs collègues et à pratiquer l’action directe sur les lieux de travail.

Concrètement, ça signifie des confrontations avec la hiérarchie dans les restaurants, des pétitions, des piquets de grève, des grèves du zèle, des « désertions », des arrêts de travail, et d’autres actions encore.

Même si ces tactiques sont payantes, construire la solidarité entre collègues est une chose difficile. A cause du turn over permanent, il est presque impossible de bâtir une mémoire militante collective. Quand les conditions se détériorent, la plupart des travailleurs vont simplement chercher ailleurs un autre boulot mal payé. Le flicage constant empêche de parler librement des luttes actuelles ou passées. Même si une section est bien implantée dans un magasin, il reste toujours le problème de toucher les travailleurs d’autres sites avec lesquels on n’a quasiment aucun contact.

Malgré tout ça, le Syndicat des Travailleurs de Starbucks-IWW est quand même parvenu à remporter de nombreux succès à New-York, Chicago et dans d’autres villes. Nous avons obtenu des améliorations en ce qui concerne la sécurité et la santé des travailleurs, la réintégrations de travailleurs licenciés et une hausse des salaires de 25% au New-York City Market.

Mais ça n’est que peu de choses au regard du plus grand de nos succès : la transformation des travailleurs eux-mêmes. Le but premier de l’action directe, c’est d’obtenir plus, concrètement, et de renforcer le pouvoir des travailleurs ; mais pour beaucoup d’entre nous, la victoire la plus enrichissante du syndicalisme de solidarité, c’est cette transformation des travailleurs eux-mêmes.

En s’organisant, on touche du doigt ce monde qu’on aimerait bâtir. Des travailleurs qui étaient passifs derrière leur caisses s’approprient maintenant le monde qui les entoure. Ceux qui, jadis, faisait la sourde oreille aux souffrances de leurs collègues, brisent dorénavant le silence au nom de la justice.

Les travailleurs rendent le nationalisme anachronique en s’organisant tout le long de la chaîne jusqu’aux producteurs de café, et en recevant le soutien d’organisations et d’individus du monde entier. Par exemple, la CNT-F a occupé les locaux de plusieurs restaurants Starbucks à Paris pour protester contre le licenciement illégal de Daniel Gross en 2006. En 2007, une délégation du Baristas de New-York est allé en Éthiopie à la rencontre des producteurs de café sur-exploités. En s’organisant inlassablement et en multipliant les contacts, notre combat est celui du coffee-shop d’à côté, et en même temps une lutte qui devient aussi globale que capitale.

La Guerre Aérienne : Combattre à l’échelle de l’entreprise

Le Syndicat des Travailleurs de Starbucks a développé l’organisation à la base en faisant un effort particulier d’explication de la réalité cachée derrière la marque. Les idées fausses à propos des conditions de travail dans les Starbucks, largement répandues, font que nous sommes constamment obligés d’expliquer le besoin de l’action syndicale chez cet employeur champion du temps partiel et des bas salaires.

Le débat public à ce sujet, nous en sommes tout à fait avides. Le discours libéral de “responsabilité sociale” développé par les dirigeants, a diminué le soutien des travailleurs les mieux payés au mouvement social en général.

En affirmant la nécessité du syndicalisme chez Starbucks, nous espérons ouvrir la porte à une conscience sociale bien plus large ; conscience du besoin de l’action syndicale partout, pas seulement chez Wal-Mart ou chez un autre exploiteur du moment.

Au final, l’image de marque de Starbucks est un atout énorme pour notre combat syndical. Leur rhétorique nous permet de leur demander de rendre des comptes par rapport à leurs vertus auto-proclamées de « dignité » et de « respect. » En plus de ça, parce que l’entreprise aime tellement communiquer sur sa marque, on est en mesure de vampiriser leurs propres efforts de relations publiques pour gagner en visibilité, ou pour faire la promotion du syndicalisme en général. En étant un syndicat d’industrie très visible, on pose les bases d’une offensive ouvrière bien plus large.

Deux, trois, plein de syndicats Starbucks !

Est-ce que la révolution démarrera chez Starbucks ? En un sens, c’est déjà le cas. Il faudra un raz-de-marée social à l’échelle du mouvement pour les Droits Civiques pour vaincre la précarité, mais il faut bien commencer quelque part. Les syndicats des Travailleurs de Starbucks-IWW connaissent un flot continu de nouvelles adhésions grâce au site web.

Les nouveaux adhérents reçoivent alors une formation des syndicalistes IWW pour entrer en contact avec leurs collègues et commencer à construire un rapport de forces sur le lieu de travail. Chaque action, chaque réunion de section, chaque échange entre deux travailleurs en colère à la pause-clope, chaque affrontement avec le patron : voilà les premiers tressaillements annonciateurs des grands combats à venir.

Que se passerait-il si les travailleurs s’organisaient dans tous les restaurants Starbucks du monde ? Que se passerait-il si les travailleurs s’organisaient dans toutes ces chaînes commerciales ? Quelles exigences aurions-nous ? Quel genre de monde est-ce que tous nos frères et nos sœurs, prisonniers de ces logos d’entreprise, seraient-ils capables de créer ? C’est notre envie d’avoir la réponse à ces questions qui nous fait avancer sur ce chemin.

– Syndicat des Travailleurs de Starbucks-IWW

texte paru originalement ici

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