Contre le travail qui tue

Note: Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur-e et ne doivent pas être considérées comme des positions officielles du SITT-IWW.

Aujourd’hui au chantier du pont Champlain un travailleur a chuté de sous le parapet de l’estacade pour plonger dans les eaux du fleuve Saint-Laurent. La plateforme sur laquelle il se trouvait a cédé, ses trois camarades ont eu la vie sauve. Le chantier est fermé jusqu’à nouvel ordre. Le corps a été repêché en début de soirée.

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Crédit : SITT-IWW

Le travailleur était à l’embauche de Groupe TNT, le gros joueur dans le secteur du génie-civil au Québec, conglomérat consolidé de plusieurs années de restructuration d’un milieu à la réputation abimée.

C’est sur un chantier de TNT, aussi, qu’il y a environ un mois, le 20 août, un travailleur a fait une chute d’une dizaine de mètres où se déroulent les travaux de l’autoroute Bonaventure. Cette même journée, un travailleur d’un sous-traitant de G.T.S. au chantier de l’autoroute Ville-Marie chutait dans un « shaft » de béton creux de 16 pieds. Les deux s’en sont tirés vivants. L’histoire ne dit pas la suite.

Ces travailleurs n’ont pas de noms. Le Journal de Montréal a publié l’accident de ce midi dans les faits divers. Pourtant, ce soir, combien de milliers de travailleurs et de travailleuses de la construction, leurs proches et le public ont frissonné en songeant à ce qui s’est passé lorsque le travailleur « a pris le fond » avec ses bottes à cap pis ses outils. Y’est tombé comme la scrap dans la chute à déchets. Y’est pas remonté.

Je suis en colère. Une colère sourde. Contre l’absurde d’une mort-panique qui paralyse. Les vies en suspens de ceux et celles qui restent et qui retourneront terminer l’ouvrage. Finir de chipper le béton magané de nos ponts fatigués. Pour patcher les artères qu’il y a entre la ville et ses dortoirs. Une job où l’échéancier des contracteurs fait que les travaux doivent avancer plus vite. À n’importe quel prix, force est de constater.

Je suis en tabarnak. Contre l’ultime dépossession du temps volé par ces ouvrages meurtriers d’infrastructure industrielle. Le salarié et la salariée qui échangent leurs corps et leur vitalité pour être ensuite bouffé-e-s par le produit de leur labeur. Y’a une révoltante obscénité à voir se mêler le fer, le ciment, la ripe et le sang.

Tandis qu’on patche les viaducs, les ponts et les citadelles craqués de l’Amérique, le monde meurt. Les gens meurent d’accidents de chars, meurent de pollution pis de stress. Meurent à l’ouvrage. Meurent de peur.

Ce qui est révoltant dans le fait que le décès se fasse au travail est qu’il survienne dans un moment où le travailleur ou la travailleuse ne s’appartient pas tout à fait. Cette mort n’est pas que la sienne. On l’a bel et bien fait mourir.

Qu’une personne voit son destin contraint à servir la prospérité d’autrui pour survivre et qu’elle y perde ainsi la vie. Dans de telles circonstances, ne s’agit-il pas ici d’un meurtre ?

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Crédit : SITT-IWW

Non au travail qui tue ! crient les syndicats. Ceux-là mêmes qu’on accuse de ralentir la cadence, de faire des demandes irréalistes. Voulez-vous bien me dire dans quelle réalité on vit pour que soit jugé réaliste l’engrenage génocidaire du capitalisme industriel ? «  Vous z’êtes pas tannés de mourir bande de caves! », disait le poète.

Demain matin, le chantier de la réfection de l’estacade du pont Champlain sera fermé pour permettre à l’enquête de la CSST (Commission de la santé et de la sécurité du travail), du MTQ (ministère des Transports du Québec) et de la Sécurité publique de suivre son cours. On tentera de déterminer les causes de la mort-accident qui a fauché la vie d’un travailleur et éclaboussé bien du monde au passage. On va déterminer que la «  botte qui écrase un visage d’homme, à jamais » d’Orwell avait les lacets mal attachés.

Selon moi, c’est un maudit paquet de chantiers qui devrait être fermé demain. Parce que c’est une mort de trop. Parce que personne ne mérite ça. Parce qu’il faudrait se tanner que ce soit toujours les casques blancs qui engrangent les profits, pis nous autres qui finissons au bas de l’échafaud.

Parce qu’une attaque contre l’un-e, c’est une attaque contre tous et toutes.
Non au travail qui tue !

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