À ma job
À ma job on est une dizaine d’employé.e.s, pour 4 gérant.e.s et 2 boss. C’est une petite place, au maximum on peut être 5 sur le plancher, mais en général une personne se fait couper avant la fermeture. Ça fait un peu plus de 5 mois que je travaille là. Je ne peux pas dire que j’adore, mais ça fait l’affaire, mes collègues sont géniaux et des fois le tip fait monter la paye de quelques dollars, on crache pas là-dessus.
Ma job c’est un restaurant franchisé et on m’utilise pour combler les trous en cuisine et en service, on peut donc dire que je joue dans les «deux camps» que les travailleurs et travailleuses de l’industrie distinguent sur leur lieu de travail. Dans les faits, les deux camps que moi je constate sur mon lieu de travail, c’est le nôtre ; travailleurs et travailleuses, et le leur ; celui des boss.
À ma job, mon boss considère qu’innover est important. Innover dans son langage ça veut dire changer la formule. Ce que ça a voulut dire cet été c’était de se procurer un permis de terrasse sans alcool, construire la terrasse, plutôt que de se procurer un nouvel air climatisé fonctionnel. La climatisation qu’on a au resto date d’il y a longtemps, elle fait un bruit infernal et pour épargner ses locataires, mon boss demande à ce qu’elle soit ouverte seulement quand il fait 30°C sans facteur humidex à l’extérieur. Mais il le sait pas quelle température il fait dans son resto après 10h AM, il est là de 8h-9h du lundi au vendredi, il n’a pas compris que sans, ou même avec de l’air climatisé, la température monte, elle monte toute la journée et on ferme entre 22h et minuit. Des 45°C dans le resto on en a eu plein de fois pendant l’été, des coups de chaleurs aussi. Mais la terrasse devait valoir la chandelle avec ses 12 places assises et son permis sans alcool.
À ma job, mon boss préfère acheter un nouveau verrier à la place de l’ancien, qui sans être parfait est assez fonctionnel, plutôt que de réparer la chambre à déchets. La chambre à déchets c’est là où on met les sacs-poubelle en attendant le jour des vidanges. Elle est sensée être réfrigérée, mais dernièrement elle a cessé de fonctionner et elle n’est toujours pas réparée. Résultat ? La fermentation des déchets. C’est pas sanitaire vous me dites ? Je sais, mon estomac aussi le sait à chaque fois que je descends porter un sac à ordures et que je manque vomir. Mais un nouveau verrier est plus important, ça va donner un beau look au resto.
À ma job, mon boss se trouve vraiment conscientisé, vraiment à gauche. Il se soucie de l’environnement, il se soucie d’avoir des uniformes de travail équitables. Je me demande s’il se rend compte qu’on est payé.e au salaire minimum et que ce n’est pas suffisant pour y arriver. Si on n’a pas le courage de demander une augmentation, on est condamné.e à y rester. Donc mon boss, qui est assez aisé pour se payer au moins 1 voyage en Europe chaque année, qui est à gauche, ne peut pas se permettre d’augmenter ses salarié.e.s, de façon standardisée, de façon à ce que tout le monde puisse réussir à payer ses factures, son loyer et son épicerie à la fin du mois. Le pire c’est que quand on est engagé.e, on se fait dire qu’on est augmenté.e de 0,50$/h après trois mois. J’ai toujours pas mon 50 cents et ma collègue qui est là depuis 2 ans non plus.
Comme salariée de l’industrie de la restauration, ça fait quand même 7 ans que je travaille là-dedans, j’en ai vu des vertes et des pas mûres. C’est la norme dans l’industrie de pas suivre la norme. En tant qu’employé.e.s c’est souvent ce qu’on se dit comme quand notre boss ne la suit pas, la norme ; «c’est de même en restauration». Des fois ça fait peur comme constat, de voir qu’on l’accepte parce que c’est partout pareil, pis qu’en fait, ici on est bien, c’est moins pire qu’ailleurs. Mais on devrait pas l’accepter. La norme, LES normes du travail, c’est LE MINIMUM, ça ça veut dire que c’est ce qu’il faut minimalement pour que ce soit viable de travailler dans un endroit. Ça veut dire qu’avec ça, on survit.
Comme travailleurs et travailleuses, comme personnes, on devrait ne pas accepter de se faire considérer comme ne méritant pas plus que le minimum, surtout comme si on méritait moins que le minimum, ensemble, on peut le dépasser. Ensemble, on peut demander de meilleures conditions. Ensemble, on peut demander à avoir un meilleur salaire. Ensemble, on connaît mieux notre job que notre employeur. Le rapport de force doit changer de bord. On a le nombre, on a les habiletés, on a le pouvoir de faire fonctionner notre industrie. Sans nous ils ne sont rien, on a le droit de demander notre dû, de demander de bien vivre. En s’organisant entre travailleurs et travailleuses, on peut demander le respect et on peut se protéger.
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