Congédié, puis expulsé du Canada pour avoir participé à une grève au Québec

Entrevue avec Noé Arteaga Santos par le SITT-IWW

Montréal, le 30 juillet 2015

Mise en contexte : Noé Arteaga Santos, travailleur migrant et saisonnier pour Les Serres St-Laurent inc appartenant à la compagnie Savoura, a été congédié puis expulsé dans son pays natal, le Guatemala, après avoir participé à une mini-grève revendiquant des soins médicaux légitimes pour un travailleur malade. Noé n’a pas lâché prise, il a combattu en cour son congédiement illégal et réclame maintenant justice et compensation. Son combat, commencé depuis son congédiement en 2008, est toujours d’actualité.

Le SITT-IWW a eu le droit à une entrevue exclusive de Noé pour discuter de son combat et aussi des conditions de travail des travailleurs et travailleuses migrant-e-s au Québec.

Question : Bonjour Noé, pourrais-tu expliquer le combat que tu mènes présentement contre la compagnie Savoura ?

Noé : Ok, je vais essayer de faire court parce que je parle beaucoup ! Le 11 décembre 2014 un arbitre nous a donné raison en affirmant que l’on n’a pas été congédié de la bonne façon et qu’il y avait de la discrimination. Cela touche tous les travailleurs et particulièrement ici Isaïa Garcia Castillo et moi.

L’entreprise pour laquelle nous travaillions s’appelait avant Les Serres du St-Laurent inc. mais son nom commerciale est Savoura. Ils avaient quelques problèmes financiers mais en plus de ne pas payer leurs travailleurs, ils sont allés sous la protection de la loi de faillite. Ils ont finalement vendu les actifs à une autre compagnie qui produit le même type de culture et qui s’appelle Sagami, et cela pendant les négociations.

Maintenant on entre dans un autre combat car le fait d’être congédié injustement et qu’il y avait de la discrimination a déjà été prouvé.

Ici on parle de notre cas, deux travailleurs qui ont poursuivi l’entreprise mais il y a encore aujourd’hui d’autres travailleurs qui se font expulsés lorsqu’ils sont malades par exemple et alors ils te renvoient au Guatemala. C’est en fait le cas de mon collègue Oswaldo (qui appliquait des pesticides) et que du coup on a fait une mini-grève… mais on ne savait pas qu’il nous était interdit de faire ne serait-ce qu’une mini-grève ! On était syndiqué mais par le syndicat de l’entreprise !
Au moment de la mini-grève c’est moi qui ai parlé aux bosses et aux coordinateurs, on ne comprenait pas qu’ils n’envoient pas notre collègue voir des médecins vu que nous avions l’assurance-maladie et des assurances privées. C’est l’employeur qui est responsable de voir à la santé de ses travailleurs, leur sécurité enfin de voir à tout et c’est pourquoi nous refusions de travailler s’ils ne le faisaient pas soigner notre collègue.

Le jour suivant, j’ai décidé de prendre un jour de congé, ce à quoi j’avais droit selon les normes du travail et la convention collective car j’avais déjà travaillé plus de 55h cette semaine-là. Mais bon, il y a aussi des semaines où j’ai travaillé plus de 65h et je n’ai pas été payé en temps supplémentaire alors qu’on aurait dû, c’était même écrit en espagnol dans mon contrat mais ça n’était pas le cas en vrai.

Donc je ne suis pas allé travailler, et cette journée-même, je reçois un appel du consulat qui m’annonce que je suis expulsé et qu’Oswaldo, mon collègue malade, aussi. La compagnie, en fait, ne voulait pas payer les congés maladie de mon collègue. En début d’après-midi nos comptes étaient fermés et le soir même on nous accompagnait à l’aéroport de Montréal pour nous retourner chez nous.

Q : Présentement quelle situation vis-tu avec la compagnie car ils disent qu’ils sont en faillite alors qu’ils ne le sont pas ?

Noé : J’ai écrit au syndic que faillite et j’ai reçu une réponse de leur part, une réponse que je trouve drôle mais que je ne peux vous fournir tout de suite.

Cela dit, j’ai fait un évènement le 19 juillet de cette année près de l’oratoire car, si vous ne le saviez pas, en fait les entrepreneurs amènent leurs employés migrants, chaque année, à une messe annuelle pour les remercier et j’en ai profité pour distribuer des flyers et donner de l’information autant que possible. Il y avait un monsieur qui protège les intérêts des entreprises et qui m’a demandé : ‘mais pourquoi n’avez-vous pas parlé au nouveau propriétaire ?’ en disant que le nouveau propriétaire est mieux que l’ancien et qu’aussi, Savoura continuera de toute façon à vendre des tomates.

C’est un peu la réponse du syndic de faillite aussi, comme quoi l’ancienne compagnie n’existe pas vraiment qu’ils ont vendu seulement des actifs de la marque.
En fait ce que je demande c’est que soit la marque, soit les anciens propriétaires ou même les nouveaux propriétaires prennent leur responsabilité face à la décision prise et rendue par le tribunal d’arbitrage. C’est tout ce que je demande, ni plus ni moins.

Q : Est-ce que tu considères que le gouvernement provincial ou fédéral, veut t’aider dans tes démarches ou ils t’ignorent complètement comme la compagnie semble le faire ?

Noé : Les deux gouvernements nous ignorent complètement, et je parle ici de tous les travailleurs immigrants.

Je vais vous donner l’exemple du TUAC qui est le syndicat des Travailleurs et travailleuses Unis de l’Alimentation et du Commerce. Les entreprises pour lesquelles nous travaillons sont ce qu’ils appellent des fermes familiales et ils utilisent ce terme pour faire passer le message que nous sommes tous des frères et sœurs, et que nous sommes là que quelques mois par année donc nous n’avons pas besoin d’avoir un syndicat. On nous a quand même donné le droit de nous syndiquer durant le gouvernement de Pauline Marois, le droit à la syndicalisation a été approuvé par la Cour Suprême. Les entreprises étaient alors très préoccupées car tous les travailleurs allaient avoir des droits !

Le gouvernement suivant a fait un projet de loi ne permettant pas à tous les travailleurs d’être syndiqués. Il leur donne le droit d’association mais pas celui de syndicalisation, ça je m’en souviens très bien ! Ce droit d’association par contre ne nous donne pas le droit de négocier !

Mais à quoi cela sert ce droit d’association du coup ?

J’apprends tout ça maintenant mais j’ai entendu que c’est arrivé même à des québécois ou des canadiens : l’entreprise fait faillite, ne paye pas le travailleur et le propriétaire ré-ouvre une entreprise avec un autre nom et recommence. La loi est totalement disproportionnée, elle n’est pas faite pour les travailleurs, elle sert plus les intérêts commerciaux qu’autre chose.

Q : Y’a-t-il d’autres travailleurs ou travailleuses qui sont dans la même situation que toi ?

Noé : Oui, comme mentionné plus tôt, Isaïa Garcia Castillo a été aussi touché par la décision. J’ai contacté mon collègue qui était malade à l’époque mais vous savez, au Guatemala il n’y a rien pour survivre comme ici, il n’y a pas de chômage, pas d’aide social, alors il a tout laissé tomber. Il a préféré faire le taxi là-bas pour pouvoir subvenir aux besoins de sa famille car les procédures étaient très longues et qu’on n’a pas le droit au chômage d’ici vue qu’on est dans un autre pays.

Rendez-vous compte qu’en comparaison : 1h de travail ici équivaut à 1 semaine de travail là-bas alors beaucoup de travailleurs ou travailleuses veulent faire bouger les choses ici mais… de façon anonyme…

Malheureusement ça ne sert pas à grand-chose car le gouvernement n’accepte pas les revendications anonymes ! Je suis aussi bénévole dans des centres de travailleurs et on a essayé d’envoyer des plaintes anonymes à plusieurs reprises et ça ne fonctionne pas ! Ils veulent toujours savoir de qui cela vient, et s’ils ne savent pas, ils pensent que ce n’est pas crédible. Et si tu donnes ton nom, tu portes plaintes, tu te fais congédier sur le champ car c’est plus facile de te renvoyer ! Ce n’est pas tout le monde qui a la chance de rester malgré tout, moi j’avais un visa donc j’ai pu revenir.

Quand ils te renvoient, ils ne te donnent pas une semaine d’avis, ils te renvoient tout de suite, la journée même et alors tu es expulsé. En plus, on habite chez eux alors s’ils nous renvoient et on n’est pas expulsable, on ne sait même pas où habiter, on n’a aucun contact avec le monde extérieur, on ne parle pas la langue, on est contrôlé ! Alors personne ne porte plainte par peur des représailles.

Les travailleurs que j’ai rencontrés lors de l’évènement du 19 juillet, se plaignaient pas tant de leurs conditions de travail que de la façon dont ils sont traités. Eux aussi aimeraient se plaindre, mais de façon anonyme et de plus, ils se demandent comment ils auraient le temps même de parler de tout ça car ils sont levés à 6h le matin et reviennent le soir à minuit. Si jamais ils se plaignent et qu’ils ne sont pas renvoyés, ils sont de toute façon barrés du programme et ne peuvent pas revenir travailler ici l’année d’après.

C’est comme de l’esclavage moderne !

Une chose que je trouve drôle c’est que tout le monde pense que les anglophones sont pires que les francophones en terme d’exploitation alors que c’est vraiment la même chose : le patronat c’est le patronat !

Q : J’ai lu quelque part que les travailleurs et travailleuses migrant-e-s payent l’assurance chômage à laquelle ils et elles n’ont pas droit car aussitôt qu’ils finissent de travailler on leur demande de partir, est-ce vrai ?

Noé : Oui c’est une réalité. Il y a un mythe que j’aimerai clarifier avec vous ici car les journalistes traditionnels croient que nous sommes des profiteurs : que nous travaillons ici 8 mois puis que nous retournons dans nos pays et que nous touchons un chèque de chômage. Ce qui n’est pas le cas, on ne reçoit rien mais par contre on ne cotise pas seulement pour le chômage, on cotise aussi pour la retraite que l’on ne touchera jamais vu que nous ne serons pas à la retraite au Canada !

Q : On sait que c’est un travail difficile que les gens d’ici n’aime pas faire mais ne pas se faire payer en plus, je trouve ça aberrant ! Te sens-tu apprécier en tant que travailleur (même si on constate bien que non !) ?

Noé : en effet, ce n’est pas un travail que les québécois aiment faire. Et on ne se sent pas spécialement apprécier, parfois on a l’impression qu’on nous prend encore pour des sauvages, on est tout le temps surveillé comme si on n’était pas capable de se comporter dans une société avancée. On n’a pas le droit de se faire des amis québécois, d’aller à l’église et on n’a pas le droit de se syndiquer.

Q : Finalement on se sert de l’excuse en disant que les gens ne veulent pas travailler pour amener des gens que l’on va payer moins cher et faire travailler plus d’heures.

Noé : oui, c’est tout à fait ça ! Surtout que ces travailleurs sont plus disponibles que les québécois car ils travaillent les samedis, dimanches, sous la pluie. Ils obéissent car ils veulent revenir l’année prochaine et rester dans le programme. Il y a même eut des morts car ils travaillaient sous la pluie et le tonnerre leur ait tombé dessus, ce sont des choses qu’ils exigent de travailleurs étrangers et qui ne parlent pas la langue.

Quand Oswaldo est tombé malade il n’a pas eu le choix de travailler, c’était son premier jour et alors ils lui ont demandé : ‘tu es ici pour des vacances ou pour travailler ?’
De plus, ils nous disent tout le temps, c’est bien une des seules choses qu’ils savent dire d’ailleurs : capaz mucho rapido (capable de le faire plus vite), ils nous en demandent toujours plus et plus, chose qu’ils ne font pas avec les québécois.

Quand parfois on travaille avec des québécois il y a ce que l’on appelle des ‘pauses chaleur’ quand il fait très chaud durant l’été. Mais si il n’y a pas de québécois dans les travailleurs les ‘pauses chaleur’ n’existent plus, on travaille jusqu’à minuit et il n’y a même pas de pause pour pouvoir boire de l’eau.

Q : Est-ce que tu fais face à des coûts pour rester ici et faire face à tout cela ? Peut-on contribuer à ta campagne ?

Noé : Si vous voulez aider, vous pouvez envoyer des dons au Centre des travailleurs immigrants qui m’ont bien aidé et m’aide encore dans ma campagne.

Moi la seule chose que je demande c’est le 50.000$ que l’entreprise me doit mais personne ne m’a payé, tout le monde m’ignore !

Je les dérange quand même un peu car ils ne savent pas comment me contrôler et ont même fait des mises en demeure car on a lancé la campagne, c’est même arrivé jusque dans les pages du SITT-IWW, on a fait une grève de la faim devant le consulat… ils ne peuvent plus me poursuivre pour diffamation car il a été prouvé que ça n’en est pas ! Je pense qu’ils ne s’attendaient pas à ça car généralement les travailleurs retournent chez eux et recommencent à travailler dans leur pays pour pouvoir survivre.

Moi je pensais que le Canada était mieux que mon pays car au moins, au Canada il y a la justice. Mais en fait ce n’est pas vrai du tout, je me suis rendu compte que j’avais une idée faussée du Canada. Mais c’est comme ça pas juste avec les travailleurs immigrés, c’est comme ça avec tous les travailleurs : ça prend du temps, c’est long, on devient tanné alors on finit par laisser tomber.

Q : Vous êtes payé au salaire minimum ?

Noé : oui, je me souviens très bien, en 2008 on était payé 8.52$ de l’heure.

Q : Y’a-t-il des choses que tu voudrais ajouter ?

Noé : Je pense qu’on a pas mal fait le tour mais j’aimerai inviter tous les travailleurs québécois qui subissent une injustice à lutter ! C’est la seule façon qu’on arrivera à changer les lois.
Il faut arrêter de rester du côté des employeurs et montrer que nous avons le pouvoir, c’est nous qui sommes les travailleurs et qui faisaient tourner leurs affaires.
Il faut pas qu’on se laisse faire !

Entrevue par Coline G et Norman L.

Rédaction et correction par Coline G.

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