Un Syndicat? Pourquoi faire?

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on jase pas mal de syndicalisme ces temps-ci dans le milieu communautaire. Évidemment, c’est loin de faire l’unanimité. Si c’était le cas, on se serait regroupé depuis belle lurette! Raison de plus pour s’attarder à quelques-uns des questionnements qui surgissent au fil des discussions avec des camarades et collègues de travail.

On n’en a pas besoin!

Dans tout milieu de travail, des conflits surgissent périodiquement entre les intérêts des salarié-e-s et ceux de l’organisation ou de la direction. C’est dans la nature même de ce rapport particulier qu’on appelle le salariat. Nous ne vivons pas sur une autre planète tout simplement parce que nous bossons dans/pour un OBNL. Ces conflits sont variés : (dés)
organisation du travail, hiérarchie formelle ou informelle, inégalités au plan des salaires ou des avantages sociaux, absence ou non-respect du contrat de travail, harcèlement psychologique ou sexuel, chômage forcé, précarité imposée, temps supplémentaire obligatoire ou non-rémunéré… La liste est longue! Celles et ceux qui travaillent depuis quelques années dans ce milieu ont pour la plupart rencontré l’un ou l’autre de ces problèmes. Parfois, on trouve une solution à l’amiable. Bien souvent, on ronge notre frein en hésitant d’en parler au c.a. ou à nos collègues, y compris lorsqu’ils/elle travaillent dans un autre groupe, que ce soit par crainte des représailles ou par loyauté déplacée. On se sent impuissant-e face à la situation : « anyway, le groupe est dans le rouge », « c’est comme ça dans le communautaire ». En bout de ligne, ça finit souvent par une démission ou
pire, en « congé » de maladie. Nous travaillons dans le communautaire, mais nous ne
sommes pas pour autant des missionnaires. Nous n’avons pas non plus fait vœu de pauvreté. Notre soif de justice sociale, notre volonté de changer le monde avec les sans-
droit et les sans-voix ne doit pas nous faire oublier que nous sommes des travailleurs et des travailleuses et que nos intérêts ne sont pas les mêmes que ceux du gouvernement, de ses agences, des fondations privées, des chefs et des patrons (petits et grands).

Dans mon milieu (je travaille pour un groupe de défense de droit), lorsque j’interviens auprès des personnes qui ont besoin de soutien, j’insiste souvent sur l’importance de ne pas rester isolé, de se regrouper. Échanger sur notre situation, s’appuyer dans les moments difficiles, lutter pour des objectifs communs, construire des liens pour être plus fort-e-s : si c’est bon pour les locataires, les personnes assistées sociales, les jeunes de la rue, pourquoi en serait-il autrement pour les salarié-e-s du communautaire? Serions-nous tout simplement des cordonniers mal chaussé-e-s, au dessus de nos affaires? Pourquoi ne pas mettre sur pied une organisation qui identifie les problèmes récurrents dans nos milieux de travail, qui élabore des revendications communes et des stratégies pour obtenir gain de cause?

Les syndicats ne sont pas adaptés aux réalités de notre milieu

J’entends souvent des collègues me dire : « c’est sans doute faisable dans un gros groupe (avec beaucoup de staff), mais pas dans mon milieu de travail : on est juste deux ou trois dans le bureau ». Cette réalité, celle d’organisations avec un nombre réduit de salarié-e-s, rend souvent difficile l’implantation d’un syndicat, du moins par les centrales comme la CSN ou la FTQ. L’inverse est aussi vrai : imaginez convaincre 200, 500, 1 000 personnes dans une même boite de se joindre à un syndicat. Une tâche colossale ! Mais si on en ressent le besoin, qu’est-ce qui nous empêche de nous organiser autrement, avec d’autres moyens?

Avant d’obtenir une reconnaissance formelle de l’État et de s’en remettre à des avocat-e-s, le mouvement ouvrier s’est d’abord battu avec son arme la plus forte : la solidarité. C’est encore le cas pour tous/toutes les exploité-e-s et les laissé-e-s pour compte. Cette solidarité, que nous appelons de tous nos vœux dans les mouvements sociaux, nous fait cruellement défaut comme salarié-e-s. Nous travaillons peut-être pour des employeurs
différents, mais il suffit de s’arrêter deux minutes pour réaliser qu’on a beaucoup de choses en commun, à commencer par des bailleurs de fonds qui dictent par la bande une partie importante de nos conditions de travail. À nous d’identifier ce qui nous rassemble et de dépasser ce qui peut nous diviser.

Si cette solidarité est au rendez-vous, ce que nous perdrons en recours légaux en nous organisant dans un syndicat qui n’est pas reconnu « officiellement», nous ne le gagnerons en contrôle sur nos cibles et nos moyens de lutte. Les possibilités sont infinies si nous
sommes une masse critique suffisante pour les appliquer.

Dans mon groupe, ça risque d’être très mal perçu par les membres.

Dans certains cas, ce sera sans doute vrai, tout particulièrement là où un effort sincère est fait pour donner des conditions de travail décentes aux employé-e-s (« selon les capacités
financières de l’organisme »). La même chose est vraie si une forme d’autogestion ou de cogestion existe ou encore si les rapports au quotidien sont corrects et respectueux. Sans
vouloir jouer les prophètes de malheur, rien ne garantit qu’un tel climat de travail perdurera, surtout si un rehaussement significatif du financement des groupes communautaires n’est pas envisagé à court terme… Tôt ou tard, le monde extérieur risque de nous rattraper (ou un nouveau coordonnateur particulièrement exécrable!)

Un autre élément vient jouer sur les perceptions des membres. Pour beaucoup de monde, les syndicats ne sont qu’une autre façon d’imposer le statut-quo, de maintenir les privilèges de quelques-unEs au détriment des autres. Malheureusement, on ne peut pas dire que la majorité des organisations syndicales font quelque chose pour casser cette image qui
leur colle à la peau. Au contraire, elles s’enfoncent trop souvent dans un corporatisme caricatural qui va de pair avec une mentalité d’assiégé-e. Cela fait évidemment partie des
préjugés défavorables avec lesquels nous devons composer, qu’on le veuille ou non.

Autre obstacle, la plupart des groupes communautaires ne génèrent peu ou pas de revenus autonomes. La majeure partie de leur budget provient d’un ensemble de programmes de
subventions gouvernementales et de dons de diverses natures, provenant principalement de fondations privées, voire de communautés religieuses. Le gros de ces revenus est ensuite versé en salaires et en charges sociales. Hormis quelques exceptions, les groupes communautaires piétinent actuellement dans leurs démarches visant à accroître leur financement. Par conséquent, les conditions de travail se détériorent d’année en
année. Si le réseau des organismes en santé et services sociaux a, au moins, le mérite de s’organiser un tant soit peu, on ne peut en dire autant des groupes de défense de droit. Dans notre milieu, les questions de financement (et par ricochet les conditions de travail des salarié-e-s) sont pratiquement un sujet tabou. Serait-ce dû au fait que bien des membres actifs/actives, qui sont les véritables forces vives des groupes communautaires, ont des conditions de vies encore plus précaires que les salarié-e-s de ces mêmes organisations? Un malaise peut vite s’installer lorsque vient le temps de discuter franchement de ces questions.

Afin de rallier la base des groupes, ne devrait-on pas identifier l’État comme une cible privilégiée d’une action concertée des salarié-e-s? Il y a des liens directs à faire entre la détérioration des conditions de travail, le sous- financement chronique des groupes communautaires, les pressions exercées par le patronat afin de privatiser les services publics, les coupures dans les programmes sociaux, les attaques incessantes du gouvernement et des fondations contre l’autonomie des groupes et la nécessité pour les salarié-e-s de s’organiser solidairement pour mettre du sable dans l’engrenage. À nous d’expliquer ces rouages et la nature de notre démarche, qui s’inscrit dans la riche tradition
militante de l’éducation populaire autonome.

Se syndiquer? Peut-être, mais dans un vrai syndicat

L’immense majorité des travailleuses et des travailleurs du communautaire n’est pas syndiquée. C’est un secteur morcelé et précaire, où les salaires sont bas. Pas nécessairement le milieu idéal pour les centrales lorsqu’elles songent à recruter de nouveaux membres. Ça prendrait beaucoup de travail et d’argent, se disent-elles. Le jeu n’en vaut pas la chandelle, à moins bien sûr que le fruit mûr ne leur tombe dans les
mains.

On peut décider de laisser d’autres organiser les choses pour nous. Si c’est le cas, il ne faudra pas se surprendre si on se retrouve à devoir composer avec un syndicat affairiste, peu démocratique, très corporatiste. C’est une possibilité concrète dans certains groupes. Heureusement, d’autres options existent. Le SITT-IWW offre un espace pour s’organiser, avec une riche tradition de lutte dont on peut librement s’inspirer. Le syndicat repose sur ses membres et leur implication. Son adhésion est volontaire, son fonctionnement est
horizontal (non-hiérarchisé). Il n’existe que si on l’anime et qu’on s’en sert comme
outil d’organisation collective. Sa reconnaissance, il la gagne dans la pratique, par l’action directe et la solidarité.

Maintenant, la question qui tue : le SITT-IWW est-il un vrai syndicat? Pas selon la loi bourgeoise, mais très certainement pour ses membres. N’est-iI est pas plus proche d’un « vrai » syndicat que ces associations reconnues officiellement par l’État, dirigées par des magouilleurs professionnels, qui non seulement trahissent l’esprit même du syndicalisme, mais aussi tous les sacrifices consentis en son nom? À nous de répondre à cette question.

Écrit par Mathieu de la Section locale intersectorielles de Quénec pour le volume 2 de La Sociale, octobre 2014

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