Mourir à petit feu: Épuisement professionnel et santé mentale dans le milieu communautaire

Bien qu’on n’en parle pas suffisamment, le sujet de l’épuisement professionnel dans le secteur public de la santé et des services sociaux ainsi qu’en éducation est connu et minimalement abordé par les syndicats de ces milieux. Quel est l’état de situation dans le milieu communautaire?

Des conditions de travail qui se dégradent

Malheureusement, la vision idéalisée qu’ont plusieurs personnes de notre travail est loin de coïncider avec la réalité. Les constats sont plutôt effarants : salaires peu élevés, conditions de travail précaires (heures supplémentaires non payées, contrats de travail de quelques mois seulement, absence d’assurances, absences de régimes de retraite, etc.), taux de roulement élevé, pression accrue du réseau institutionnel, surcharge de travail permanente, course au financement épuisante… La situation est loin de s’améliorer dans un contexte où le gouvernement coupe sauvagement dans le filet social. C’est sans oublier qu’un organisme peut vivre différentes crises internes qui minent encore d’avantage le climat de travail ; conflit avec la direction, harcèlement, pression des bailleurs de fond, etc.

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La santé mentale des travailleurs et travailleuses

Un sondage de 2001 mentionnait que  85 % des organismes en santé et services sociaux disent faire face à une surcharge permanente de travail, ce qui se traduit par un taux de 63 % d’organismes aux prises avec des problèmes majeurs d’épuisement professionnel1. Dans une autre étude datant de 2000, on constate que respectivement 79,2 % et 72,7 % des centres d’hébergement pour femmes et ceux pour jeunes ont connu au moins un départ temporaire ou permanent d’employé-e pour cause d’épuisement professionnel dans les cinq années précédant l’étude2. En 2010, une recherche montrait que pour 71 % des groupes de femmes, les travailleuses affirment se sentir dépassées par le travail à accomplir3. Au-delà des conséquences à court terme de cette détresse psychologique, il est important de mettre en perspective qu’un environnement de travail hostile et stressant, combiné avec des conditions précaires, peut réduire de beaucoup notre espérance de vie.

Pourtant, il semble rare que collectivement les travailleurs et travailleuses du communautaire parlent de santé mentale. Effectivement, nous travaillons d’arrache-pied avec les personnes qui fréquente nos organismes, nous nous mobilisons pour la survie de ces mêmes organismes, mais nous sommes étonnement silencieux-ses quand il est question de nos propres conditions de travail. Cordonniers et cordonnières mal chaussé-e-s, dit-on!

Un certain tabou plane même autour de la question. Si le sujet est abordé, on s’aperçoit que nous en avons énormément à dire sur notre détresse psychologique tout en étant ponctué de plusieurs commentaires reflétant notre culpabilité d’aborder cette détresse : « Mais vous savez, j’aime vraiment mon travail… », « Je fais ce travail car j’y crois, je ne suis pas là pour l’argent », « C’est vraiment une chance de pouvoir travailler en concordance avec mes valeurs ». Ce sentiment que de revendiquer des meilleures conditions de travail serait une forme d’égoïsme de notre part est très omniprésent. De plus, la perception de notre travail comme une forme d’engagement, de don de soi ou de militantisme peut être également un frein à la reconnaissance de notre souffrance au travail. Nos valeurs nous semblent plus importantes que nos limites personnelles, on repousse donc celles-ci constamment. Cette conduite est même, en quelque sorte, favorisée dans le milieu communautaire.

Les travailleuses du communautaire

Environ 80 % des salarié-e-s des groupes communautaires sont des femmes. Si les conditions de travail du communautaire se dégradent, ce sont elles qui en font majoritairement les frais. Les femmes se retrouvent donc à vivre triplement les attaques du gouvernement. Au niveau professionnel, on précarise nos conditions de travail. On dispose de moins de ressources quand les besoins grandissent, créant donc énormément de stress et de détresse chez plusieurs d’entre nous. D’un autre côté, le désengagement de l’État signifie également une prise en charge dans la sphère privée, par les femmes, des divers services abandonnés par l’État : garde des enfants, soutien des parents en perte d’autonomie, travail de care, etc. Le fait d’être très souvent proche aidante ou mère de famille vient ajouter une pression supplémentaire sur notre santé mentale et notre qualité de vie. Par la suite, au niveau personnel, en tant qu’utilisatrices, quand vient le temps de couvrir tant bien que mal toutes les blessures causées par une société inégalitaire et oppressante, il est difficile de trouver des ressources d’aide adéquates.

Le discours du « Prendre soin de soi »

Cette expression assez commune, qu’on lance très souvent à ses collègues ou bien qu’on nous sert lorsque nous semblons être exténué-e-s, est problématique. Il est vrai que de prendre un cours de yoga, se payer un massage ou pratiquer la médiation peut être bénéfique pour mieux gérer le stress, mais cela ne change en rien les causes profondes de notre souffrance au travail. On ne peut pas faire reposer sur les individus la complète responsabilité de leur épuisement professionnel. Cette logique passe à côté du fait que ce sont les facteurs organisationnels qui cause cette détresse, pas la soi-disant « faiblesse » d’une personne. Pour voir des réels changements, ce sont nos conditions de travail que nous devons remettre en question.

Avec l’ère austère qui s’abat sur nous aussi violemment, il est grand temps de parler de santé mentale au travail, de s’organiser pour revendiquer des meilleures conditions, mais également de réfléchir collectivement à la création de milieu de travail moins sujet à l’épuisement professionnelle et à la détresse psychologique.

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