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Série sur l’immigration, chapitre 1 : Grandeur et misère du chemin Roxham

Je l’avoue, j’ai une passion pour les sports extrêmes. J’aime le kayak d’eau vive, j’ai trippé quand j’ai essayé le kitesurf et j’attends juste de finir mes études pour avoir assez de temps pour me consacrer au roller derby. Mais décidément, le sport extrême qui me fait vivre le plus d’émotions fortes, c’est la course absolument infinie pour trouver son chemin à travers le labyrinthe en constante reconstruction qu’est notre système d’immigration. Vous n’allez surement pas me croire, mais je vous jure que c’est vraiment excitant!

Comme les politiques d’immigration canadiennes sont un casse-tête pour absolument tout le monde, incluant moi-même, j’ai décidé de faire une série d’articles visant à vulgariser tout ça. Si tout se passe comme prévu – mais s’il vous plait, faites-vous pas trop d’attentes – j’ai espoir de finir un texte sur les statuts d’immigration temporaires et la traite de personne et d’en pondre un autre sur l’historique des politiques migratoires racistes depuis la confédération. Je suis aussi ouverte aux suggestions. J’aime les défis et je suis un brin orgueilleuse, bring it ta question piège!

Bref, on part ça en force avec un sujet beaucoup trop brulant d’actualité pour que mon texte demeure à jour bien bien longtemps, et j’ai nommé : l’entente sur les tiers pays surs et le chemin Roxham.

En espérant que ça vous aide à mieux comprendre les enjeux!

Quelques notions de base en guise d’introduction

  1. Personne n’est illégal. Jamais.

Les gens sont parfois sans statut ou sans papiers. Ils n’ont parfois pas les bons papiers, mais ils ne sont jamais « illégaux », parce que ne pas être en situation irrégulière par rapport à son statut d’immigration c’est une infraction de nature administrative, pas criminelle. Exactement comme un ticket de parking. Par contre, c’est une infraction criminelle d’embaucher des personnes qui n’ont pas de permis de travail. Ça peut parfois même être vu sous l’angle du trafic humain dans certaines circonstances. On verra ça plus en détail dans la prochaine édition!

  1. Extrêmement rares sont les personnes qui arrivent au Canada sans papiers.

Cela s’explique en partie par la situation géographique du pays. En effet, à moins de passer par les États-Unis, seule frontière terrestre avec le Canada, il faut absolument prendre un bateau ou un avion pour venir au pays. Or, à moins de venir dans un conteneur à bord d’un cargo – on parle d’une vingtaine de personnes par année au cours des 5 dernières années1 – il faudra minimalement un passeport et un visa (de travail, d’étude ou de tourisme)2 pour pouvoir monter dans ces transports et finalement entrer au pays.

Les personnes qui sont sans statut au Canada ont à très, très vaste majorité déjà eu une autorisation légale pour être ici et l’ont perdue en cours de route. Cela vaut également pour les personnes qui traversent la frontière à pied depuis les États-Unis. C’est mon prochain point.

Le chemin Roxham, un spectre qui hante les conservateurs

Le chemin Roxham qui, dans une autre vie, rêvait d’être reconnu à la grandeur du pays pour être la porte d’entrée de l’incomparable Parc Safari, est aujourd’hui plutôt réputé pour être la principale porte d’entrée vers le Canada ou les États-Unis – dépendamment par quel sens on l’emprunte3 – pour des migrant-es en quête d’une vie plus stable.

En effet, en dépassant ledit parc, le chemin Roxham se rétrécit en une sorte de route de campagne entourée de maisons éloignées les unes des autres séparées par des champs et des parcelles de forêt. Le chemin se poursuit de la même façon du côté états-unien avant de redevenir une route plus passante quelques kilomètres plus loin. À la limite entre le Canada et les États-Unis : rien. Pas de poste frontalier officiel, seulement un poste de commandement de la GRC et une butte qui semble être artificiellement construite pour délimiter la frontière.


Poste de la GRC Source : Google Map, 26 janvier 2023


Fin du chemin Roxham du côté canadien. Source : Google Map, 26 janvier 2023

Ce point de passage est de loin le plus populaire chez les migrant-es, d’abord et avant tout pour des considérations pratiques. En effet, rares sont les zones frontalières non contrôlées par des douaniers qui sont traversés par une route quasiment complète. Pour traverser ailleurs sans faire face à un douanier, il faut marcher sur plusieurs kilomètres sans repères dans la forêt, ce qui augmente le risque de se perdre en cours de route.

Maintenant, pourquoi des personnes veulent éviter de passer par les douanes? Contrairement aux messages bombardés par la droite anti-immigration, ce n’est pas parce que ces personnes ont davantage de « choses à cacher » que les autres.

Pour bien comprendre l’origine de la popularité du chemin Roxham, il faut remonter à la très gênante époque de la War on terror décrétée par les États-Unis au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Faisant du pouce sur la rumeur voulant que les assaillants des tours jumelles aient rejoint les États-Unis par la frontière canadienne – mythe qui sera ensuite démantelé – les républicains de George W. Bush militent pour l’augmentation du contrôle aux frontières. On estimait alors que la frontière canadienne était une passoire pour des ressortissant-es étranger-ères à la recherche de travail aux États-Unis.

Dans ce contexte, le Canada et les États-Unis ont signé l’Accord entre le Gouvernement du Canada et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique pour la coopération en matière d’examen des demandes de statut de réfugiés présentées par des ressortissants de pays tiers4 souvent appelée simplement « entente sur les tiers pays sûrs ».

Ne soyez pas surpris-es, cette entente mise, entre autres choses, sur le principe déjà bien connu à ce moment en Europe de… « Tiers pays sûr ». En gros, ce principe établit la responsabilité face au traitement des demandes d’asile pour le premier État jugé sécuritaire qui aurait été traversé par les ressortissant-es étranger-es lors de leur parcours migratoire.

Par exemple, une personne en provenance d’Amérique latine qui aurait visité les États-Unis, puis traversé au Canada avant de demander l’asile, serait automatiquement refusée et renvoyée vers les États-Unis pour le traitement de sa demande.

La twist, c’est que l’entente prévoit une exception à cette obligation pour les personnes qui traverseraient la frontière à pied sans croiser de poste frontalier. Donc si on reprend l’exemple précédent, la personne en provenance d’Amérique latine pourrait voir son dossier d’asile traité au Canada si elle passe par… Le chemin Roxham!

En passant par cette route, les migrant-es savent qu’ils ne rencontreront pas de douaniers, mais ils savent aussi que des agents de la GRC seront de l’autre côté pour accueillir leur demande d’asile dès les premières minutes de leur séjour au Canada. Raison pour laquelle les personnes qui traversent par-là ne doivent pas être qualifié-es de « sans-papiers ».

Ce sont des demandeurs d’asile.

Jusqu’à l’entente Biden-Trudeau de mars 2023, les agent-es de la GRC qui étaient envoyés dans cette zone n’avaient pas le mandat de déterminer si les personnes qui traversaient avaient des motifs valables de demander la protection du Canada. Ils n’avaient pas non plus le droit de renvoyer les gens vers les États-Unis. Ils devaient donc transporter les migrant-es vers ce qu’ils appellent le « Centre de surveillance de l’immigration » de Laval, lire : une prison fraîchement agrandie. Mais ne vous inquiétez pas, sur le site de l’Agence des services frontaliers du Canada on nous assure que les salles à manger de la prison de Laval sont des espaces règne la lumière naturelle5. #Canada, #PaysDesDroitsHumains, #MonCul.

De la prison, l’identité des demandeur-euses sera vérifiée. S’ils et elles ne sont pas des criminel-les notoires dans leurs pays d’origine, ils et elles seront relâchés au bout de quelque temps avec un statut temporaire le temps que leur demande de protection soit analysée sur le fond un à deux ans plus tard, devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.

[J’avais écrit un très long bout sur le déroulement de ce genre d’audiences, mais je réalise que ça n’intéresse surement personne sauf moi, alors je vous épargne tout ça. Pour avoir une meilleure idée d’à quoi ressemble ces audiences, je vous invite à lire l’excellent roman Boat people de Sharon Bala, traduit en français sous le même titre. C’est décrissant! Pour les autres, sachez seulement que le processus est terriblement pénible et traumatisant pour les victimes de violence. Sachez aussi que les démarches sont très coûteuses et qu’en moyenne 30% des dossiers sont rejetés et vont donc en appel6.]

L’entente Biden-Trudeau, un shit show à saveur populiste

Première chose à savoir : l’ensemble de l’entente sur les tiers pays surs est actuellement contesté en Cour suprême. Cette saga a commencé dans la première année du mandat de Trump aux États-Unis. Avec ses politiques migratoires cowboy, les groupes de défense de droit canadien ont arrêté de considérer les États-Unis comme un pays sécuritaire pour les migrant-es et ont remis en question la constitutionnalité de l’entente qui ne respectait plus, à leurs yeux, la charte des droits et libertés. Les audiences sont terminées, une décision devrait être rendue sous peu.

Donc faire un deal sur le side ce n’est pas particulièrement nécessaire puisque tout pourrait être à refaire d’ici quelques mois.

Cela dit, l’entente Biden-Trudeau entrée en vigueur le 25 mars 2023 vient confirmer l’application rigoriste de l’entente sur les tiers pays surs. Ainsi, elle ferme la brèche dans qui permettait aux demandeur-euses d’asile de contourner l’entente. Pour faire simple : oui, le side deal ferme techniquement le chemin Roxham à quelques exceptions près, notamment pour les mineurs non accompagnés (en moyenne 4 par jour), les personnes qui ont de la famille au Canada ou les personnes faisant face à la peine de mort aux États-Unis (no joke!)7. Les autres demandeur-euses ne pourront plus, jusqu’à nouvel ordre, entrer au Canada par ce point de passage pour demander l’asile.

Mais tsé… l’immigration ce n’est jamais aussi simple.

L’entente Biden-Trudeauprévoit une nouvelle exception : si des personnes traversent depuis les États-Unis et réussissent à ne pas se faire prendre par les autorités dans les 14 premiers jours, elles pourront demander l’asile au Canada. Comment arriveront-elles à prouver le moment exact de leur traversée pour avoir accès à cette mesure? Cela demeure un mystère! J’ai tellement hâte à la jurisprudence qui va analyser une preuve fondée sur la véracité des reçus de Tim Horton des demandeur-euses… Du gros bonbon juridique!

Enfin, la nouvelle entente prévoit que le Canada acceptera 15 000 migrant-es de plus cette année en provenance de « l’hémisphère occidental ». Qu’est-ce que ça veut dire tout ça? Quel statut auront ces personnes? Est-ce qu’elles seront ici de façon temporaire ou permanente? Ce seront des demandeur-euses d’asile ou des réfugiés? Honnêtement, c’est vraiment confus! Même le ministre Fraser a refusé de donner des précisions à ce sujet…

Réfugié-e ou demandeur-euse d’asile?

Enfin, la distinction entre le statut de réfugié-e et celui de demandeur-euse d’asile fait souvent l’objet de confusion.

Il faut savoir qu’on ne peut pas demander l’asile depuis l’étranger. Comme on vient de voir, les personnes qui viennent chercher l’asile au Canada doivent le faire une fois à l’intérieur de ses frontières. Ainsi, contrairement au discours médiatique présentant les demandeur-euses d’asile comme des « migrant-es irréguliers », sachez qu’il n’y a aucune « bonne façon » ou de façon « régulière » de demander l’asile. Quand ta vie est menacée… bein tu décâlices! Peu importe comment et généralement sans trop réfléchir ou planifier. Beaucoup de demandeur-euses d’asile fuient des persécutions individuelles, comme les violences de groupes armés (gang, narcotrafiquants, être menacé pour être du mauvais bord politique, etc.), les violences sexistes (violence conjugale, mariages forcés, mutilations sexuelles, crimes d’honneur, etc.) ou les violences homophobes (menaces de mort, torture, thérapies de conversions, etc.).

À l’inverse, les réfugié-es sont des personnes qui ont entrepris toutes les démarches légales pour obtenir la protection d’un État avant de voyager vers celui-ci. Ces personnes arrivent donc au pays avec tous les bons papiers pour refaire leur vie ici. Le statut de réfugié est généralement octroyé à des personnes qui sont collectivement menacées, par une guerre, par exemple. Tous les réfugiés sont parrainés, soit par le gouvernement, soit par des groupes communautaires. Ceux-ci ont la responsabilité de soutenir financièrement les réfugiés pendant leur première année et doivent leur fournir le nécessaire pour combler leurs besoins de base. Ce faisant, le nombre de réfugié-es accepté-es par année est limité.

Fait intéressant, le choix des dossiers acceptés par le Canada est éminemment politique. Lors de la guerre en Syrie, pratiquement seules les personnes de confession chrétienne ont pu s’installer ici. Dans ce contexte, pas étonnant que les Ukrénien-nes aient eu la priorité sur les Afghan-nes…

Des mythes tenaces au sujet des demandeurs d’asile

  1. Ils et elles se font payer l’hôtel tout inclus

Une fois qu’ils sortent du centre de détention, les demandeur-euses d’asile peuvent être pris en charge par des organismes qui offrent de l’hébergement temporaire. On parle de séjours d’un maximum de 3 semaines, le temps que les migrant-es trouvent un logement. Je ne sais pas qui trouve un logement en 3 semaines à Montréal… Rendu là, ça relève du miracle! Les ressources d’hébergement sont effectivement débordées, mais pas parce qu’on est envahi, seulement parce que tous les gouvernements des dernières décennies sous-financent les services sociaux. Bref, il manque de place, ce qui a forcé les institutions à réquisitionner des hôtels pour y loger temporairement les migrant-es. On ne parle pas ici d’hôtels de luxe offrant du service aux chambres. On parle plutôt de familles nombreuses dans une seule chambre, pas de cuisine ou de quelconques installations pour faire à manger. Bref, rien d’adapté aux besoins des nouveaux-elles arrivant-es.

  1. Ce sont des « Voleurs de jobs » et des « BS » en même temps!

Une fois sortis de détention, les demandeur-euses d’asile peuvent demander un permis pour avoir le droit de travailler. Actuellement, ce permis met environ 9 mois à arriver. En attendant le précieux document, les migrant-es ne peuvent pas travailler, mais elles sont autorisées à faire une demande de prestation d’aide sociale. La très vaste majorité d’entre eux préfèrerait travailler dès leur arrivée, mais ils et elles ne peuvent tout simplement pas le faire.

Par ailleurs rappelons, que les besoins des demandeur-euses d’asile à leur arrivée sont importants. Ils et elles repartent littéralement à zéro avec seulement quelques vêtements dans leur sac à dos. Il faut donc acheter des meubles, des électros, des vêtements d’hiver pour les enfants, des objets de cuisine ou toute autre nécessité en plus de se nourrir et se loger. Ce n’est certainement pas avec 923$ par mois pour une personne seule ou 1431$ pour un couple qu’on arrive à faire tout ça.

Plusieurs personnes seront donc tentées de travailler « au noir » pour répondre à l’ensemble des besoins. Or, sans permis de travail, les migrant-es héritent souvent des emplois les plus pénibles et dangereux, généralement pour des salaires dérisoires, en plus de risquer de se faire prendre par les autorités8.

Malgré tout, ces personnes sont souvent perçues par les travailleur-euses locaux-les comme une menace à leurs propres conditions de travail. Avant que les discours sur la supposée « pénurie de main-d’œuvre » prennent autant de place, ces travailleur-euses étaient souvent qualifié-es de « voleur-euses de job ». Maintenant on dit plutôt que ces dernier-ères font une pression à la baisse sur les salaires parce qu’ils et elles sont prêt-es à accepter n’importe quoi.

La solution ici la gang, c’est la solidarité entre travailleur-euses contre les patrons. Rien d’autre!

  1. Ça ne parle même pas français tout ce monde-là

Oui, les demandeur-euses d’asile ont droit à la francisation et oui, durant les mois suivant leur arrivée, je peux vous le garantir que tout le monde va aux cours parce que tant qu’à ne pas avoir le droit de travailler, aussi bien aller chercher quelques sous de plus avec les prestations pour apprentissage de la langue en plus d’acquérir des compétences qui permettent de trouver une meilleure job après.

Pis, tous les enfants demandeur-euses d’asile vont à l’école en français, ça fait qu’en quelques mois, ils et elles deviennent les interprètes de leurs parents, quand ils en ont. T’essayeras d’apprendre toi-même à ta mère qu’elle a le cancer quand tu as 12 ans. C’est rough en ostie!

Qu’est-ce qu’on tire de tout ça?

D’abord, quelle que soit la situation à la frontière, quand les gens se sentent en danger, ils vont trouver un moyen de passer. Peu importe la hauteur des murs, la longueur du désert ou la profondeur de la mer. Ça ne sert à rien d’essayer de les empêcher. Pis honnêtement, vous feriez surement la même chose si vous étiez à leur place.

L’avantage qu’on avait avant l’entente Biden-Trudeau, c’était qu’on pouvait savoir plus ou moins exactement le nombre de personnes qui entraient au pays sans passer par un poste frontalier. Maintenant, on peut s’attendre à ce que le nombre de personnes qui s’installent au Canada sans papiers sans entreprendre des démarches pour régulariser leur situation migratoire va bondir. Si tout ce beau monde anti-immigration avait l’impression qu’on avait perdu le contrôle de nos frontières, ils ne sont pas prêt-es pour ce qui s’en vient.

Enfin, demander l’asile, c’est un processus difficile, souvent humiliant, toujours précarisant. Les demandeur-euses d’asile se retrouvent trop souvent dans les pires, mais ô combien essentiels, emplois. Le mieux qu’on puisse faire c’est d’être solidaires.

Noé’e

1 Gouvernement du Canada, Demande d’asile 2018, En ligne, https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/refugies/demandes-asile/demandes-asile-2018.html (28 mars 2023) Je vous conseille d’ailleurs de jeter un œil à tout ça, c’est vraiment intéressant !

2 De manière générale, les personnes qui proviennent de pays « du nord global » n’ont pas besoin de demander un visa de touriste avant de voyager. L’étampe apposée dans le passeport par un douanier à l’arrivée agit comme visa de visiteur.

3 Pour des considérations d’efficacité et de clarté, ce texte sera concentré uniquement sur les migrant-es qui transigent des États-Unis vers le Canada. Sachez cependant que le flux migratoire est important des deux sens.

4 Accord entre le Gouvernement du Canada et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique pour la coopération en matière d’examen des demandes de statut de réfugiés présentées par des ressortissants de pays tiers, 5 décembre 2002, en ligne : https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/organisation/mandat/politiques-directives-operationnelles-ententes-accords/ententes/entente-tiers-pays-surs/version-finale.html

5 Agence des services frontaliers du Canada, Centres de surveillance de l’immigration, En ligne, https://www.cbsa-asfc.gc.ca/security-securite/ihc-csi-fra.html (12 janvier 2023)

6 Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés, Statistiques de la Section de la protection des réfugiés (SPR), En ligne, https://irb.gc.ca/fr/transparence/cartable-ccp-nov-2020/Pages/pac10.aspx?=undefined&wbdisable=false#:~:text=La%20SPR%20a%20r%C3%A9gl%C3%A9%20un,rapport%20%C3%A0%20l’exercice%20pr%C3%A9c%C3%A9dent (28 mars 2023)

7 Gouvernement du Canada, Entente entre le Canada et les ÉtatsUnis sur les tiers pays sûrs, En ligne, https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/organisation/mandat/politiques-directives-operationnelles-ententes-accords/ententes/entente-tiers-pays-surs.html (28 mars 2023)

8 À ce sujet, je vous invite à visionner le documentaire « Essentiels ». Ça donne une bonne idée des conditions dans lesquelles ces personnes peuvent travailler. https://www.telequebec.tv/documentaire/essentiels

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La pyramide renversée

Une organisatrice et un travailleur décrivent une campagne d’action directe ayant récolté de belles victoires pour ensuite s’effondrer faute d’avoir bâtie de solides fondations.

Toute personne ayant déjà suivi la formation d’organisation 101 du SITT-IWW (OT101) sera familière avec la pyramide d’organisation partagée ci-dessous. Si vous ne l’avez jamais vu ou avez besoin de vous faire rafraîchire la mémoire, elle va comme suit : Une pointe étroite «d’actions directes» est posée sur un étage plus large de «démocratie sur le lieu de travail» (par exemple, des réunions), lui-même posé sur un étage encore plus large de «relations entre collègues» (bâties à travers des discussions en tête à tête) reposant finalement sur une fondation de «connaissances de son milieu de travail» (qui y travaille, comment sont divisés les lieux, etc).

Cette pyramide est parfois opposée à une autre allant «du bas vers le haut» et dans laquelle quelques travailleuses et travailleurs très motivé.es se mettent à faire des actions directes avant (ou à la place) de se bâtir une solide base organisationnelle.

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles cette autre pyramide peut être séduisante : L’une d’entre elle est que pour bien des travailleuses et travailleurs qui n’ont pas confiance en leur habileté de persuasion ou en l’habileté de leurs collègues à les aider dans l’organisation de leur lieu de travail, une action directe concrète et victorieuse semble être une bonne preuve à montrer à leurs collègues. que «l’action collective, ça fonctionne !». Une autre est que bâtir un comité bien établi nécessite beaucoup de travail, souvent ennuyeux, alors que le recours rapide à l’action directe est excitant et mène parfois aux gains qui constituaient les raisons de vouloir s’organiser au départ.

En contrepartie, une raison évidente de s’opposer à cette méthode est que l’action directe échouera probablement s’il n’y a pas une organisation derrière pour supporter le petit groupe (ce qui, après tout, est la raison pour laquelle il faut s’organiser au départ). Il s’agit d’une très bonne observation. Cependant, il y a un autre problème, bien plus profond encore, qui est que même si la ou les actions fonctionnent, sans le reste de la pyramide, il y a peu à faire pour utiliser cette ou ces actions afin de créer une solidarité ou une organisation durable, et sans elles, tous les gains risque d’être très éphémères. Leur durée dépendra finalement bien plus de la volonté des patrons de les retirer ou non que de la force de l’organisation à les maintenir.

Pour illustrer ce point, j’aimerais partager avec vous un exemple venant d’une campagne d’organisation que j’ai supporté et écrit par l’organisateur lui-même :


J’ai utilisé par inadvertance le modèle de pyramide du bas vers le haut quand j’étais un «bébé organisateur» qui travaillait sur sa première campagne. J’étais relativement nouveau a l’IWW et malgré que j’avais assisté à quelques formations sur la manière d’avoir des conversations d’organisation et lu quelque livres, je n’avais pas encore été en mesure de faire une formation d’organisation 101.

La compagnie pour laquelle je travaillais était une entreprise familiale dans laquelle les différent.es membres de la famille possédaient chacun.e leur département en tant qu’entreprise indépendante malgré qu’ils et elles occupaient le même bâtiment. À la place de voir cette structure comme ce qu’elle était, c’est-à-dire une tentative de séparer les employé.es, j’ai plutôt perçu mon département comme étant la totalité de l’entreprise pour laquelle je travaillais. J’ai donc commencé à avoir des conversations en tête-à-tête avec mes collègues qui me semblaient les plus réceptifs et réceptives à l’idée d’organiser notre milieu. Bien que j’avais une idée globale de la cartographie sociale de mon milieu, je n’avais pas analysé de façon approfondie les relations sociales et d’influence avant de commencer.

J’ai laissé l’aspect saisonnier de l’entreprise, le fait qu’elle ferme chaque hiver, aveugler mon jugement et justifier une approche accélérée pour cette campagne d’organisation. J’ai donc réussi à rassembler trois de mes six collègues pour faire un «march on the boss[1]» relativement à quelques enjeux clés incluant les horaires et les salaires. Je ne savais pas que l’IWW enseignait une marche à suivre spécifique pour cette tactique dans l’OT101, mais nous avons eu de la chance et la riposte de mon patron n’a pas fonctionnées. Nous avions sans le savoir procédé relativement comme la formation le suggère, par exemple en faisant des demandes spécifiques et en donnant une date butoir. Cependant, pendant ce march on the boss, l’une de mes collègues a soulevé des enjeux que j’ignorais parce que je n’avais pas pris le temps d’adéquatement lui parler. Hélas, aucun d’entre eux n’a été résolu.

Malgré tout, quelque jours après notre march on the boss, nous avons eu gain de cause sur plusieurs demandes importantes : Premièrement, tout le monde excepté le contremaître a eu une augmentation de salaire. Deuxièmement, les travailleuses et travailleurs ont eu le contrôle de l’horaire qu’ils et elles on pu faire sans contrainte de la part du propriétaire ni du contremaître, excepté pour son propre horaire. Troisièmement, nous nous étions plaint.es que des employé.es étaient coupé.es avant la fin de leur journée et qu’il leur manquait souvent des heures et cette pratique s’est arrêtée. Finalement, nous voulions un retour sur le programme de «dollar days» de l’été précédent qui nous avait fait perdre des ventes et nous l’avons obtenu.

Sur le moment, j’étais en extase! J’ai raconté avec fierté nos succès à la réunion suivante du comité d’organisation de ma branche locale, puis les questions se sont mises à débouler : « Quelles questions exactes as-tu posé à tes collègues pendant les rencontres en tête-à-tête? Qu’est ce qu’ils et elles ont dit ?» Comme je n’avais pas pris la peine de prendre des notes détaillées, je n’étais pas en mesure de donner des réponses exactes, donc je n’ai pas pu rapporter beaucoup de ce que j’avais appris au reste du groupe. « Est-ce que pendant le march on the boss vous avez fait X, Y et Z, comme on l’a enseigné ?» Je ne savais tout simplement pas que nous avions une marche à suivre optimale pour cette tactique.

Alors que la saison tirait à sa fin, la campagne s’est peu à peu démantelée. J’ai compris que l’un des trois participants avait harcelé sexuellement les autres tout au long de l’été. Que le patron avait installé de nouvelles caméras de sécurité et que cela avait eu un effet dissuasif sur notre campagne. Qu’il a dit à toutes les personnes qui travaillaient sous la table qu’il devrait désormait déclarer leurs salaires. Qu’il avait lui-même rencontré des personnes seules à seules qui se sont ensuite montrées méfiantes envers nous. Il m’a finalement accusé de vouloir créer un syndicat et m’a menacé.

Pendant ce temps, en réalisant mes erreurs de parcours, j’avais essayé de récolter les contacts des personnes que je connaissais et de faire des tête-à-tête avec les salarié.es des autres départements. Malheureusement, le chat était sorti du sac et ma collègue membre du comité d’organisation la mieux placée pour aller leur parler (parce qu’elle avait déjà travaillé dans ces départements) était maintenant bien trop intimidée pour tenter sa chance.

J’ai fini par devoir déménager et je me suis pas revenu pour la saison suivante. Une autre personne que j’avais organisée n’a pas pu revenir elle non plus à cause de problèmes de santé. Une autre est revenue et a conservé son augmentation mais n’avait plus envie d’organiser l’entreprise. Je n’avais pas d’autres contacts permettant de garder cette campagne en vie et elle est morte.

Avec du recul, je peux identifier les facteurs clés qui m’ont fait choisir d’aller trop rapidement dans cette campagne.

Leçon apprise: Non à l’aventurisme !

Je voulais accomplir quelque chose avant que la saison se termine parce que je n’étais pas sûr de vouloir revenir l’année suivante. J’ai finalement compris qu’il est mieux d’organiser un emploi dans lequel on compte rester pour quelques années parce qu’on ne sera pas tenté.e de faire les choses trop rapidement. Il faut se souvenir que la raison pour laquelle on s’organise c’est de faire de notre emploi un milieu de travail dans lequel on aura envie de rester et auquel on tiendra et que, même si on ne peut pas y rester, ce n’est pas une bonne raison pour essayer d’aller trop vite. Il est préférable de débuter voir de compléter la cartographie physique et sociale de notre milieu de travail, d’avoir des informations sur le processus d’emploi puis de trouver quelqu’un.e pour nous remplacer et poursuivre là où nous auront quitter, que ce soit une personne à l’interne ou un.e «salt[2]».

J’étais aussi anxieux de prouver ma valeur aux autres membres de la branche et j’ai cru que dévier de la marche à suivre était nécessaire à cause des particularités de mon milieu de travail. En réalité, si on veut impressionner des gens dans l’IWW plus largement, bâtir un comité durable et gagnant accomplira beaucoup plus que quoi que ce soit d’autre, mais surtout, les seules personnes à qui nous devrions vraiment vouloir prouver quelque chose sont nos collègues de travail. L’organisation syndicale est quelque chose de risqué et nos collègues méritent un organisateur ou une organisatrice qui est dévoué.e à s’en tenir aux meilleures pratiques et à utiliser des méthodes qui ont faites leurs preuves à travers le temps. Presque tout le monde croit que son milieu de travail est unique et ils semblent effectivement presque tous avoir des conditions uniques qui justifient de dévier de la marche à suivre, mais à chaque fois que quelqu’un.e le fait, les mêmes problèmes se produisent.

J’avais une vision très aventuriste de l’action syndicale. Je me disais que ce serait super de faire un march on the boss, de tous et toutes arrêter de travailler, faire un sit-in ou peu importe quelle autre action, puis d’obtenir des gains et honnêtement, ça l’était ! Mais il faut se souvenir qu’on ne peut s’organiser seul.e. Nous avons le devoir d’intégrer nos collègues et de suivre la stratégie ayant la plus grande probabilité de bâtir un comité durable et capable d’améliorer nos conditions de travail sur le long terme. Participer à des actions directes est l’une des expériences les plus exaltantes au monde, mais ce n’est pas pour cette raison que nous le faisons. Nous le faisons pour créer un contre-pouvoir durable sur le plancher. Se dépêcher à faire des actions directes avant d’avoir créer des fondations solides n’est pas la bonne façon de procéder.

Et si…

Et si une action directe spontanée allait inévitablement arriver, qu’on y participe ou non ?

Parfois, et spécialement dans une «hot shop[3]», un groupe de travailleuses et de travailleurs peut décider de confronter leurs superviseur.es ou d’arrêter de travailler, de ralentir le rythme ou de se plaindre des ordres déraisonnables des patrons d’une manière qui affecte l’entreprise. Si on n’a pas encore créé une capacité d’organisation suffisante pour conduire une action directe de façon responsable, on ne l’a probablement pas assez non plus pour en arrêter/réorienter une qui pourrait mal tourner.

Dans une telle situation, notre meilleure option est souvent de se joindre à l’action et d’offrir le meilleur de notre support et de notre leadership pour faire en sorte que l’action soit victorieuse tout en minimisant les risques qu’encourent nos collègues. Ce genre de situations peut s’emballer très rapidement et il est fort probable qu’on aie uniquement le temps de discerner qui est la personne avec le plus d’influence sur le groupe et lui poser quelques questions clés telles que : «Qu’est-ce qu’on devrait demander au patron de faire/changer/arrêter ? Combien de temps on lui donne pour faire ce qu’on lui demande ? Qui d’autre pourrait vouloir se joindre à cette action ? Est-ce qu’on s’adresse au bon ou à la bonne superviseur.e ? Est-ce qu’il ou elle a le pouvoir de faire ce qu’on lui demande ? Qui d’autre devrait faire partie de cette conversation ? Qu’est-ce qu’on fait si l’un, l’une ou la totalité d’entre nous est congédié.e ? Qu’est-ce qu’on fait s’il cible l’un ou l’une d’entre nous comme étant le leader ?

Texte original: Organizing Work
Traduction: Maxime K.


[1]Action directe dans laquelle un groupe de travailleurs.euses va, sans prévenir, rencontrer un.e supérieur.e pour lui adresser des demandes.

[2]Un.e salt est une personne qui va travailler dans une entreprise uniquement pour l’organiser/la syndiquer.

[3]Une hot-shop est un milieu de travail dans lequel un ou des enjeux criant(s) agitent beaucoup les employé.es, ce qui mène souvent à des actions spontanées mais éphémères.

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Leçons à tirer d’une action ratée

Avant d’entreprendre une action, il faut identifier les obstacles qui se dressent sur notre chemin. Un technicien en informatique nous raconte son histoire.

Ça fait longtemps que j’appuie les syndicats et que je critique le capitalisme et le patronat. Je n’avais toutefois jamais osé agir concrètement, jusqu’à récemment. Pour ce faire, j’ai rencontré des organisateurs et des organisatrices du SITT-IWW, j’ai participé à un OT101 et j’ai mis mes nouvelles connaissances en pratique en tentant de faire des actions et d’organiser mon milieu de travail. Ma campagne d’organisation en est encore à ses débuts, mais j’ai récemment participé à ma première action et j’aimerais partager quelques-unes de mes réflexions.

Je travaille dans le domaine de la sécurité informatique pour une grande société de services hypothécaires du Midwest. C’est une entreprise à l’éthique discutable, mais je me dis qu’en contribuant à sécuriser les données qui sont déjà en leur possession, je protège les clients actuels et je n’aide pas l’entreprise à s’en prendre à de nouvelles personnes. Ce n’est pas une rhétorique en béton, mais ça me permet de passer à travers mes journées.

Le manque de flexibilité est l’un des plus gros désagréments de mon travail : nous n’avons pas le droit de travailler de la maison. Au plus fort de la pandémie de COVID-19, nous avons été obligé·e·s de passer au télétravail en raison des restrictions sanitaires, mais dès que celles-ci ont été levées, nous avons dû retourner au bureau. Je suis relativement nouveau dans ce milieu de travail, mais des collègues qui y sont depuis longtemps m’ont dit qu’avant la pandémie, notre employeur autorisait le télétravail à l’occasion. J’ai aussi entendu des cadres supérieurs en parler.

Depuis que nous sommes revenu·e·s au bureau, l’entreprise a mis en place des mesures de plus en plus sévères pour nous obliger à nous présenter sur place. Maintenant, nous avons le choix entre venir au bureau ou prendre une journée de vacances. Sans exception. Peu leur importe que nous soyons inconfortables à l’idée de passer nos journées dans des auditoriums bondés, sans que le port du masque ne soit obligatoire et sans que ne nous puissions garder une distance sécuritaire les un·e·s avec les autres. Sans surprise, seul·e·s les gestionnaires et leurs ami·e·s sont exempté·e·s de cette obligation.

Notre employeur a aussi fait parvenir un mémo aux chefs d’équipe pour leur dire de ne pas dévoiler le nombre de cas de COVID-19 chez les employé·e·s. Même si une personne teste positif, elle doit quand même rentrer travailler. Bref, l’entreprise est encore moins flexible qu’avant la pandémie et l’interdiction de divulguer le nombre de cas a pour effet de mettre la santé des employé·e·s à risque.

Ce règlement causait déjà de la grogne chez les employé·e·s, mais récemment, c’est une tempête de neige qui est venue mettre notre patience à l’épreuve. D’importantes chutes de neige étaient annoncées durant deux jours : toutes les écoles ont fermé, et les médias suggéraient fortement aux gens de ne pas prendre la route et de rester à la maison si possible. Malgré cela, notre employeur nous a écrit pour nous rappeler que le télétravail était interdit, et que les personnes qui ne se présenteraient pas au bureau durant la tempête devaient prendre une journée de vacances ou ne pas être payées.

On a même suggéré aux personnes qui craignaient de conduire dans la tempête de dormir dans un hôtel près du bureau! L’entreprise avait négocié un tarif spécial pour l’occasion, mais la chambre coûtait quand même plus cher que ce que la plupart d’entre nous gagnent en une journée. Cette annonce a été publiée sur le portail interne de l’entreprise, dans une section où il est possible de laisser des commentaires. Plusieurs employé·e·s ont critiqué cette initiative perverse, et une personne a écrit que la situation était « dystopique ». Cette dernière a été renvoyée sur-le-champ.

Mes collègues ont été outré·e·s par cette décision. Un employé d’une autre équipe nous a approché·e·s pour nous proposer de tous et toutes prendre congé le lendemain, et ainsi laisser l’entreprise en sous-effectif. Il nous a dit que plusieurs personnes prévoyaient déjà le faire et il nous a encouragé·e·s à les rejoindre. Colin*, un de mes collègues, était vraiment partant et il a incité les cinq autres membres de l’équipe à le suivre.

J’étais très enthousiaste, étant donné que j’avais déjà pensé à réaliser ce genre d’action. J’avais aussi identifié Colin comme l’un des leaders de notre groupe quand j’avais fait ma cartographie sociale. C’est une grande gueule et c’est souvent lui qui lance les conversations. Quand vient le temps de choisir une activité à faire en équipe, ses collègues ont souvent tendance à accepter ce qu’il propose.

Je manquais toutefois d’assurance. Je venais tout juste de commencer à organiser mon milieu de travail et je n’avais pas encore fait de rencontres en tête-à-tête avec Colin et avec mes autres collègues, et encore moins avec les membres des autres équipes du département. Nous avions parlé de nos problèmes en groupe, mais ça s’arrêtait là. Idéalement, il aurait fallu que j’attende avant de faire une action comme celle-là, mais Colin était partant et il a vivement encouragé les autres à embarquer. Les conditions semblaient favorables, l’action elle-même était de petite envergure et plutôt réaliste : elle devait inclure mon équipe de cinq personnes et d’autres employé·e·s dans différentes équipes. J’ai donc dit que j’étais partant aussi, et j’ai créé un groupe sur Signal pour que moi et mes collègues (à l’exception de notre chef d’équipe) puissions communiquer.

Voilà le plan sur lequel nous nous étions entendu·e·s : nous allions écrire individuellement à notre chef·fe d’équipe le matin de la tempête pour lui dire que nous allions travailler de la maison (et s’il ou elle refusait, que nous allions prendre une journée de vacances). Nous allions nous servir du groupe Signal pour partager les messages que nous avions envoyés ainsi que leurs réponses, pour nous aider à garder le moral et pour éviter que l’un·e d’entre nous se sente isolé·e.

Quatre de mes cinq collègues étaient partant·e·s; l’autre a refusé de participer. J’étais enthousiaste à l’idée de cette petite action collective et je me suis mis au lit avec un frisson d’excitation.

Mais le lendemain matin, les choses ont commencé à se gâter.

Colin est le premier à entrer au bureau : il arrive vers 6h30, puis les autres arrivent entre 7h30 et 8h30, et je commence à 9h. En décalant nos horaires de cette façon, nous nous assurons qu’il y a au moins une personne sur place durant une bonne partie de la journée, tout en nous permettant de travailler en équipe pendant quelques heures. En raison de son horaire, Colin allait être le premier à écrire à notre chef d’équipe.

Par contre, il nous a écrit vers 6h30 pour nous dire que les conditions routières étaient vraiment mauvaises. Une autre collègue, Danielle, lui a demandé s’il était arrivé au bureau et il a répondu que oui. J’ai écrit au groupe pour leur annoncer que je comptais appeler notre chef d’équipe et lui dire que j’allais travailler de la maison (et prendre une journée de vacances s’il refusait). C’est ce que j’ai fait, tout comme un autre collègue (Roger). Danielle n’a pas répondu, mais quand je l’ai contactée en fin d’avant-midi, elle m’a dit qu’elle avait décidé d’aller au bureau étant donné que Colin, la grande gueule de l’équipe, avait flanché. Ma dernière collègue, Jackie, était opposée à l’action dès le début et elle est rentrée au bureau comme prévu.

Je dois admettre que j’ai été un peu déçu de mes collègues : seulement deux d’entre nous ne sont pas rentrés (moi et Roger), tandis que les autres (Colin, Danielle et Jackie) sont allé∙e·s travailler. De ce que j’ai compris, ça s’est passé sensiblement de la même manière dans les autres équipes. Au bout du compte, nous n’avons pas été puni·e·s pour nos actions, mais notre absence n’a pas vraiment entravé le travail dans notre entreprise et nous n’avons pas réussi à faire de gains concrets.

J’étais surtout frustré par l’attitude de Colin, qui a encouragé l’équipe à faire l’action et qui a capitulé en premier. J’ai décidé de laisser cette irritation se dissiper avant d’aller lui parler et j’ai essayé de me montrer empathique et compréhensif. Je l’ai abordé quelques jours après les événements et je lui ai demandé son point de vue sur l’action : « Hey, Colin, comment tu vas? J’aimerais comprendre ce qui s’est passé de ton côté. J’avais l’impression que tu étais enthousiaste à l’idée de ne pas rentrer au bureau? ».

Colin était clairement mal à l’aise. Je l’ai rassuré en lui disant que je n’étais pas fâché et que je ne lui en voulais pas, mais que je voulais comprendre ce qui s’était passé. Il m’a alors dit que lui et notre chef d’équipe étaient pratiquement voisins, et qu’il avait peur de mal paraître auprès de lui s’il décidait de ne pas rentrer. Je lui ai dit que je comprenais son inquiétude et que nous allions avoir d’autres occasions de faire des actions. J’ai fait un suivi similaire auprès de Danielle et de Roger, et je leur ai dit que d’autres occasions allaient se présenter.

Qu’est-ce que je retiens de tout ça?

Premièrement, même si l’action a globalement été un échec (moins de 50% des collègues ont participé et nous n’avons pas atteint nos objectifs), nous avons fait quelques gains sur le plan de la communication : la confiance et l’honnêteté que nous avons les un·e·s envers les autres nous ont aidé·e·s à nous organiser, et le groupe de discussion sur Signal nous a permis de nous coordonner tout en nous aidant à bâtir un sentiment de solidarité hors de notre milieu de travail.

Deuxièmement, cette action m’a donné une bonne leçon sur les leaders. Colin était effectivement un leader au sein de notre équipe, mais je ne m’attendais absolument pas à ce qu’il s’incline face à notre chef d’équipe, et je n’avais pas fait d’inoculation pour prévenir cela.

Troisièmement, je retiens qu’il est essentiel de planifier minutieusement nos actions et de planifier toutes les étapes en ordre chronologique : qui agira en premier? Qui risque de se faire réprimander en premier? Comment faire sentir à nos collègues que nous allons les soutenir s’ils et elles font une action? Est-ce que je peux anticiper les obstacles (p. ex. relations, vulnérabilités) qui pourraient empêcher un·e leader d’agir comme prévu?

Quatrièmement, cette action m’a appris que toutes les actions, aussi mineures soient-elles, doivent être organisées avec soin. L’action en question a eu lieu au tout début de la campagne et même si nous nous entendions sur les problèmes que nous voulions régler, nous n’étions pas assez organisé·e·s pour agir de manière coordonnée. Bref, « être en colère » et « être capable de poser des actions concrètes pour améliorer la situation » ne sont pas synonymes; ce n’est pas pour rien que l’agitation est la première étape de l’AEIOU, tandis que la formation d’un syndicat est la dernière.

Cinquièmement, je retiens que nos actions doivent reposer sur une organisation solide et non sur des coups de chance : le déroulement de notre action dépendait des conditions routières, qui sont imprévisibles. Les prévisions météo annonçaient une tempête de neige, mais elle s’est montrée beaucoup moins intense que prévu. Le risque que les employé·e·s se dégonflent et décident d’aller au bureau malgré tout était bien présent, ce qui introduisait une part d’incertitude chez nos collègues.

Enfin, je suis content d’avoir participé à cette action. J’aurais évidemment préféré que nous gagnions, mais nous avons beaucoup à apprendre de notre échec et je vais garder ces leçons en tête à l’avenir.

*Tous les noms sont fictifs.

Article original de Organizing Work

Les griefs suspendus, les travailleurs et travailleuses de la santé se tournent vers l’action directe

Une source anonyme décrit les actions directes employées, durant la crise de santé publique en Ontario, par les travailleuses et travailleurs des foyers de soins de longue durée maintenant que le règlement des griefs est suspendu.

Le 17 mars, le premier ministre Doug Ford a déclaré l’état d’urgence en Ontario. Pour la plupart des gens, il était interdit à présent de se réunir en groupe. Les centres commerciaux et les lieux publics ont été fermés, et les travailleurs et travailleuses ont été contraint.e.s de rester à la maison à tenter d’imaginer comment se nourrir et payer les factures ; mais pour le personnel de la santé, ce fut autre chose.

La déclaration d’urgence a suspendu une grande partie des conventions collectives dans le secteur de la santé. Pour l’employeur, ceci veut dire que toute les mesures de restriction des horaires, affectations, lieux de travail et tâches, ne sont plus en vigueur durant la pandémie. Toutes les vacances et tous les congés ont été annulés, au point où – lorsqu’ils ont été interrogés – les employeurs ont déclaré qu’ils pensaient maintenant avoir le droit, en vertu de la déclaration d’urgence, d’annuler un congé de maternité s’ils le souhaitaient, tout en espérant que ce ne serait pas le cas.

Les mécanismes habituels qu’utilisent les syndicats pour régler les problèmes en milieu de travail ont subi beaucoup de dommages collatéraux. L’arbitrage accéléré, où un syndicat peut demander à la Commission des Relations de Travail de l’Ontario de nommer un arbitre et de faire tenir une audience dans les 30 jours, n’est pas utilisé actuellement. La CRTO échoue de façon routinière à répondre à ces demandes, de sorte que la disposition peut tout aussi bien ne pas exister. En temps normal, un ordre d’exécution de travaux dangereux peut être résolu par un refus, et en contactant le ministère du Travail pour qu’il mène une enquête et se prononce face à la sécurité des travaux requis. Depuis la crise du COVID-19, ce ministère contacte en premier lieu la direction, parle ensuite aux travailleurs et travailleuses, et termine en affirmant publiquement qu’il n’y a pas de problème. Les employeurs ignorent simplement les griefs parce qu’ils savent qu’ils le peuvent. Les représentant.e.s syndicaux ne peuvent pas visiter le lieu de travail, car ils ont été classé.e.s comme «visiteur.e.s non essentiel.le.s».

Dans certains lieux de travail, c’est désastreux. Sans visite d’un.e représentant.e syndical et sans réunions de griefs, certain.e.s travailleuses et travailleurs estiment que le syndicat n’existe pas en ce moment. Les gestionnaires en profitent pour dire aux employé.e.s que les syndicats ne peuvent les aider et qu’ils ne seront à nouveau pertinents qu’après la pandémie. Les membres appellent leurs représentant.e.s syndicaux en les implorant d’agir mais rien ne se passe puisque les méthodes habituelles sont suspendues.

Pour d’autres lieux de travail, cependant, c’est une chance de progresser en poussant encore plus loin les gains réalisés dans le passé. Ces unités, même si elles utilisent aussi la procédure de règlement des griefs, ne comptent pas uniquement sur elle pour faire avancer les choses. Certaines de ces unités ont une longue histoire d’action directe, d’autres fléchissent leurs muscles pour la première fois… Mais toutes ont su améliorer leurs conditions de travail !

Je voudrais partager deux de leurs histoires. L’une est une unité déjà combative ; l’autre est une unité où ils commencent à réaliser que la lutte paie. Les deux employeurs resteront anonymes.

Planification et Affectation

La première unité est une maison de soins de longue durée qui pratique l’action coordonnée pour réaliser des gains. Dans le passé, ils ont mobilisé les résident.e.s et leurs familles pour lutter contre les décisions de gestion impopulaires telles que la sous-traitance. Bien avant le COVID, ils se regroupaient déjà régulièrement pour refuser collectivement de permettre à l’employeur de remplacer les postes à temps plein par des quarts de travail supplémentaires à temps partiel. Dans un certain nombre de cas, lorsqu’un.e employé.e a été injustement suspendu.e, ils ont collectivement refusé d’accepter de pourvoir au poste suspendu pour envoyer un message à l’employeur. Parfois, cet.te. employé.e suspendu.e a même été ramené.e au travail avant la fin de la suspension afin de maintenir les effectifs en place.

Les travailleurs et travailleuses de ce foyer de soins continuent de faire des gains malgré la suspension actuelle d’une partie de leur convention collective. L’un des éléments de la déclaration d’urgence est une ordonnance stipulant que tous les travailleuses et travailleurs de la santé ne peuvent travailler que pour un seul employeur. Lorsqu’un gestionnaire a essayé de profiter de la déclaration d’urgence pour mettre en œuvre un horaire de 12 heures extrêmement impopulaire, plus de la moitié des employé.e.s de cette unité se sont regroupé.e.s et ont dit à leur gestionnaire que si cela se produisait, ils iraient travailler dans un autre établissement de soins, obligeant le gestionnaire à revenir sur sa décision.

Dans un autre cas, des travailleurs et travailleuses ont été déplacé.e.s dans l’établissement pendant leur quart de travail, envoyé.e.s d’une unité non-COVID à une unité aux prises avec le virus, puis retourné.e.s à l’unité non-COVID pendant le même quart de travail. Après une brève discussion avec la direction, ils ont été menacé.e.s de licenciement pour abandon d’emploi s’ils refusaient de retourner dans une unité non COVID pendant le même quart de travail. Après avoir discuté de la situation entre eux, ils sont retourné.e.s voir leur gestionnaire avec un ultimatum : soit le mouvement entre les unités s’arrête immédiatement, soit chaque travailleuse et travailleur renvoyé.e dans une unité non-COVID pendant le même quart de travail appelle la Santé publique et signale une exposition aux COVID. Ils savaient très bien que la Santé publique les mettrait en quarantaine pendant 14 jours avant de leur permettre de retourner au travail, ce qui causerait un énorme problème – dû au manque de personnel – pour le gestionnaire. En travaillant ensemble, ils ont pu atteindre leurs objectifs malgré le démantèlement de la procédure de règlement des griefs.

Équipement de Protection Individuelle (EPI)

Dans une autre unité sans histoire d’action directe, les travailleuses et travailleurs commencent à réaliser leur pouvoir. Lorsque l’ordonnance d’urgence a été rendue, les gestionnaires ont déclaré aux délégué.e.s syndicaux que le syndicat n’était plus pertinent et ne le serait qu’après la pandémie. Des griefs ont été déposés et ignorés. Les délégué.e.s syndicaux ont approché la direction pour parler des problèmes, et on leur a dit de s’en aller et de revenir après la pandémie. Ne voulant pas attendre pour faire face à ces problèmes importants et urgents, ces employé.e.s avaient besoin d’un autre plan. Des réunions ont eu lieu (virtuellement, bien entendu) et un plan d’action a été convenu.

Le premier point à traiter pour ces travailleurs et travailleuses était l’accès aux EPI. Le médecin en chef de la Santé publique a ordonné que les EPI soient facilement disponibles, mais leur employeur mettait des bâtons dans les roues. Un masque à procédure unique était fourni à leur arrivée au travail, et s’ils avaient besoin d’un autre, ou d’un masque N95, ou de blouses, ou de gants, ils devaient s’adresser à un.e responsable. Le directeur posait beaucoup de questions pour ne pas accéder à leur demande. Plusieurs fois, on leur a dit qu’un masque N95 coûte 7 $, ce qui devrait être le dernier souci à avoir en matière de sécurité. Il se trouve que la gestionnaire de soir, chargée de garder et de distribuer à contrecoeur l’EPI, n’était pas elle-même une agente de santé, mais travaillait dans un rôle de soutien auxiliaire. Une nuit, deux employé.e.s se sont approché.e.s et ont demandé des EPI supplémentaires, ce qui a été refusé. Un.e des employé.e a remis à celle-ci une copie de l’une des directives du médecin en chef de la Santé publique, qui excluait spécifiquement tous les visiteurs et travailleurs non essentiel.le.s des foyers de soins de longue durée. La gestionnaire a demandé en quoi cela était pertinent, et l’autre employé.e a déclaré: «Nous sommes trois ici, mais seulement deux d’entre nous sont des employé.e.s essentiel.le.s. On peut procéder de deux façons : soit vous donnez l’EPI à tout employé.e qui vous le demande ; soit on vous fait renvoyer chez vous dès maintenant en appelant la Santé publique si vous refusez de partir. » La gestionnaire a appelé (et réveillé) son propre directeur, et le directeur s’est présenté sur les lieux pour tenter de dissuader les travailleurs de l’EPI qu’ils avaient demandé, mais ils sont resté.e.s fermes. Enfin, la direction a cédé et le lendemain matin, une nouvelle directive a été envoyée à tous les travailleurs et travailleuses les informant que «par mesure de précaution», les EPI seraient distribués gratuitement.

Un autre levier que les travailleuses et travailleurs utilisent sont les médias. Leur lieu de travail a été mis en évidence récemment dans les nouvelles, et ce n’est pas positif. La direction, qui essaie normalement de contrôler ce que les médias peuvent dire sur cette entreprise, est dépassée par les évènements. Les employé.e.s l’utilisent régulièrement pour contester les décisions de la direction concernant les politiques de dotation et de quarantaine. Lorsque la direction met en œuvre un changement, les travailleurs et travailleuses ont un rendez-vous virtuel pour répondre à une question: est-ce stupide maintenant ou est-ce que ce sera stupide à six heures, aux nouvelles? Cette phrase a fait son chemin, et les gestionnaires ne savent pas comment y répondre.

Alors que quelques travailleuses et travailleurs parlent ouvertement aux médias, beaucoup d’autres sont plus réticent.e.s. Donc, un.e porte-parole qui n’est pas employé.e par l’entreprise a été sélectionné.e pour transmettre aux médias des informations sur ce qui se passe à l’intérieur de la maison de soins de santé. Dans la salle de pause, il y a une télévision qui est généralement réglée sur l’une des chaînes d’information locales. Il y a quelques semaines, un gestionnaire a bloqué toutes les chaînes d’information par dépit. Pour contourner ce problème, les travailleurs et travailleuses organisent des visionnements sur Facebook pendant leurs pauses, assis à six pieds l’un.e de l’autre dans la salle à manger, sur leur téléphone portable, le volume bien audible. Durant cette pandémie, la direction a commencé à faire allusion à la discipline pour – comme elle le dit – «rétablir l’ordre» au travail, mais elle ne peut pas faire grand-chose sans se mettre dans une situation pire qu’elle ne l’est déjà.

Cette unité prend conscience du pouvoir de l’action directe et commence à comprendre son pouvoir sur les lieux de travail. De nouveaux leaders commencent à se mettre en place. Certain.e.s représentant.e.s «officiel.le.s» tombent en déroute, tandis que d’autres jouent un rôle de premier plan dans l’action directe collective au travail.

Leçons

La conclusion que l’on peut tirer est simple. Les conventions collectives, les griefs, les arbitrages et les canaux syndicaux officiels peuvent être utilisés pour atténuer certains des dommages qu’un mauvais employeur peut faire aux travailleuses et travailleurs, mais ils ne peuvent pas tout régler. Non seulement ils sont imparfaits de par leur conception, mais ils peuvent être suspendus ou rendus inefficaces très facilement par le gouvernement en place.

Les griefs peuvent être retardés mais pas l’action collective directe. Les conventions collectives peuvent être suspendues, temporairement, comme dans ce cas ; ou même de façon permanente comme c’est arrivé au cours de l’histoire ; mais l’action collective directe s’inscrit toujours dans le présent. Les lieux de travail où les travailleuses et travailleurs ont érigé un rempart, ou ont une une histoire éprouvée d’action directe collective, se portent beaucoup mieux pendant la pandémie que ceux qui n’en ont pas.

Comment résister aux lois spéciales de retour au travail

Les travailleurs.ses des postes au Canada ont éffectué.e.s des grèves rotatives au début de l’hiver 2018 quand, suite à une loi spéciale du Gouvernement Fédéral, ils et elles ont été forcés de retourner au travail. Depuis, les négociations ont été sujettes à de l’arbitrage, qui a mené à deux prolongations.  Les travailleurs.ses des postes avaient aussi été soumis à une loi semblable en 2011, sous un article qui a été ensuite prouvé être anticonstitutionnel par la Cours Suprême du Canada. Pourtant, cette jurisprudence n’a pas su empêcher la grève de l’an dernier de se terminer de la même manière.

Les Travailleurs.ses font aujourd’hui face a toute sorte de législation impromptue qui vient interrompre leurs grèves, de l’article Taft Hartley aux États-Unis, qui prévient les grèves de soutien, à la Loi Taylor de l’état de New York, qui empêche carrément les travailleurs.ses de la fonction publique de déclencher une grève. Plusieurs ont avancé que les syndicats se doivent de défier ces lois afin de renverser la vapeur sur ces lois draconiennes et actualiser l’activisme syndical afin de lutter pour des gains réels dans les milieux de travail. Mais comment y arriver alors que les pénalités et frais d’entrave sont si élevés? Dans le cas de Postes Canada, certain.e.s travailleurs.ses sont sujets à des amendes de $1,000 par jour simplement pour avoir participé à la grève.

J’ai parlé avec Roland Schmidt, Président de la section locale 730 du syndicat des Postes à Edmonton. Les travailleurs.ses dans cette section ont établis une méthode de désobéissance aux lois de retour-au-travail forcé et luttent contre l’instauration de nouvelles lois du même genre. Ces actions directes commencent en bâtissant un rapport de force dans leur milieu de travail pour ensuite se disperser dans un programme de formation plus large.

Comment est-ce que ces actions directes, dans votre milieu de travail, ont-elles commencées?

En 2011, notre division locale a eu une expérience d’organisation très positive auprès de plusieurs militant.e.s qui se sont battus.e.s contre un régime d’heures supplémentaires obligatoires. Tangiblement, cela signifiait que si nous étions à court de personnel, la corporation pouvait forcer facteurs et factrices à demeurer au travail. Au lieu d’engager le personnel nécessaire, les boss pouvaient donc utiliser ces mesures pour forcer les employé.e.s à demeurer au travail jusqu’à ce que les tâches soient terminées. Nous avons appelé cette mesure ‘force back’. Des travailleurs.ses auraient terminé.e.s leur route habituelle, et ensuite devaient enchaîner avec une autre heure et quarante-cinq minutes supplémentaires, soit la route d’une autre personne. Si cela arrivait une fois ou deux en quelques mois, d’accord, nous aurions simplement gagné un peu plus d’argent. Mais là, cette exception à la règle arrivait trois fois par semaine. Lutter contre cette mesure a été un réel tremplin pour le militantisme dans la section locale. Des comités de travail de terrain sont apparus, ont coordonnés des refus d’application du règlement et se sont tenus les coudes face à la corporation. Une campagne a émergé dans l’ensemble de la ville, regroupant tous les fournisseurs de toutes les stations. Nous avons organisé des réunions de masses. Poste Canada s’est rétracté quant aux menaces de suspensions et a changé ses méthodes d’organisation de ses employé.e.s et le problème était réglé!

Fort de notre expérience, nous avons développé un cours intitulé ‘’Taking back the workfloor’’ (Se réapproprier son milieu de travail) qui s’inspirait grandement des formations données par les IWW (Industrial Workers of the World), une organization syndicale qui a toujours été réactive dans son support au syndicat des postes lorsque nos droits se font bafoués.

Ironiquement, dans la même période de temps ou nous étions en train d’entrer dans le déclenchement d’une grève, (le Premier Ministre Stephen) Harper nous a balancé une loi spéciale de retour au travail. Cette législation a vraiment dégonflé nos troupes. Nous n’avions pas de plan d’action pour se battre contre la loi. Suite à cet événement, notre section est entrée dans une grande période d’inactivité qui ne s’est terminée que récemment, dans les derniers 6 ou 8 mois.

Il y a encore beaucoup de réticences et d’inquiétudes qui n’ont pas été adressées – nous avons encore des enjeux autour de structures au travail et de manque de personnel qui résultent en blessures sur le quart de nos membres chaque année. Suite à la loi de l’année dernière, nos membres ont été poussé.e.s à bout, résultant en un abandon du processus syndical habituel. J’ai fait partie d’un petit groupe de militant.e.s à Edmonton et nous avons décidé que nous devions ouvertement assumer que toutes les procédures syndicales – griefs, arbitrage, le système judiciaire, la constitution – nous ont laissé tomber. Nous devons retourner nous battre pour faire revivre le militantisme de CUPW.

J’étais officier à l’organisation à l’époque, et nous avons ressorti ce cours pour former des gens au travers de ces enjeux. Notre groupe s’est élargi, de 5 personne à 30. Nous avons finalement décidé de se lancer complètement, et je suis devenu président de notre section locale en Juin (2018). Nous reconnaissons complètement les limites liées à la bureaucratie syndicale, mais nous nous sommes dit que nous pourrions utiliser cette plateforme comme levier pour promouvoir une campagne d’organisation chez l’ensemble des travailleur.se.s des Postes. Puisque je ne suis plus facteur, je passe le plus clair de mon temps au bureau du Syndicat et je peux ainsi passer la moitié de mes journées en visite dans différents bâtiments de Postes Canada afin d’expliquer pourquoi le syndicat passe son temps à perdre ses combats, pourquoi nous recevons toujours des lois briseuses de grève et pourquoi l’organisation syndicale est la meilleure manière de contrer ces mesures. Ensemble nous pouvons renverser la vapeur et mettre de la pression sur la compagnie. Je n’étais pas certain de la réaction des travailleurs.ses face à mes idées mais, avec l’aide d’autres militant.e.s, les gens se sont enrôlés en masse  et nous avons remplis notre salle de cours 6 fois en Juin, avec 20 personnes à chaque fois. Cette masse de gens représente le noyau de notre nouveau contingent d’organisateurs.trices et nous avions maintenant des représentants.tes dans chaque secteur de l’entreprise. 

Nous avons eu plusieurs actions directes dans sept de nos onzes principaux lieux de travail, impliquant ainsi de nouveaux.elles travailleurs.ses dans des actions directes; confronter des patrons intimidants, adresser des problèmes de paies etc. Avec l’action directe, nous avons pu voir une amélioration majeure de nos conditions de travail en quelques semaines, alors que nous n’avions vu aucun changement en plusieurs années.

Avez-vous peur des pénalités, suite à toutes ces actions directes, considérant que vous êtes souscrits aux lois de retour-au-travail?

C’est une inquiétude très présente. Quelques personnes croient que ce n’est pas vraiment important de considérer les amendes, mais la réalité est qu’auprès de la majorité de nos membres, c’est un enjeux à ne pas prendre à la légère.

Beaucoup de nos actions ont lieu autour du fait que notre convention collective nous donne le droit de se plaindre. Disons que tu as un patron qui fait de l’intimidation – comme la semaine dernière, il y avait une section de 25 travailleurs.ses dans un site qui ont été aux prises avec un superviseur harcelant qui leur tombait systématiquement sur la tête. Il ne laissait pas les gens partir avant l’ultime dernière minute, ce qui est largement mal reçu puisqu’il faut mettre au moins 5 minutes pour traverser l’immense shoppe. Ils et elles se sont tanné de remplir des griefs à l’égard de ce superviseur et 20 des 25 travailleurs.ses ont marché jusqu’au bureau du Directeur pour le sommer de les écouter. Ce dernier a quitté les lieux et les travailleurs.ses lui ont dit ‘’On va t’attendre jusqu’à ce que tu reviennes’’. Il est éventuellement revenu et ils et elles ont pu lui expliquer tous leurs problèmes avec le Superviseur en question. Le directeur l’a ensuite réprimandé et le superviseur a même présenté des excuses aux travailleurs.ses. Depuis, il semble se tenir plus droit et agir avec plus respectueusement.

La compagnie a ensuite délivré des lettres disciplinaires à tous.tes les travailleurs.ses sous le prétexte qu’ils et elles avaient stoppé la production pour une demi heure. Nous nous sommes battu.e.s contre cette mesure disciplinaire. Dans le cadre de mes fonctions de président, j’ai dit: ‘’Nous avons fait usage de notre droit de nous plaindre. Le directeur a fuit son bureau, allongeant ainsi une rencontre qui aurait pu durer seulement qu’une minute’’ Même si nous avons stoppé la production, pourquoi ne nous ont-ils pas ressorti la loi ? Il y a eu plusieurs reprises ou ils auraient pu nous la remettre en plein visage, mais je pense que les patrons ont peurs de mettre de l’huile sur le feu. 

À Rosedale, une des plus grande centrales de tri du courrier à Edmonton, il y a eu une erreur dans la catégorisation d’un certain flyer, les patrons ont donc insisté qu’on le délivre individuellement chez tout le monde. Cette demande ajoutait jusqu’à 4 kilomètres additionnels de marche aux facteurs.trices déjà surmené.e.s. J’étais encore facteur à cette époque et nous avons effectué un march on the Boss en disant ‘’ Vous devez re-classifier ce flyer’’. La direction de cette station a ensuite ordonné que l’on délivre tout de même le flyer. Plutôt que d’obtempérer, les travailleurs.ses sont passés.e.s au vote sur le sujet et ont voté non. Alors, le direction leur a dit ‘’Nous allons devoir effectuer des mesures disciplinaires’’  mais nous lui avons tous et toutes ris au visage. Des 60 personnes qui ont refusé de distribuer le flyer, seulement 5 ont été ciblé.e.s et ont reçu une suspension d’un jour. Normalement, nous aurions reçu une suspension de 5 jours pour une telle action d’insubordination flagrante. Considérant que nous avions reçu par deux fois un ordre direct et avons quand même refusé d’obéir.

Cet incident aurait été une autre opportunité d’utiliser la Loi spéciale contre nous que le patronat n’a pas saisi. Pourquoi ne l’ont-ils pas fait et pourquoi ne sont-ils pas plus sévères sur les travailleurs.ses qui ont participé? On pense que ça n’en prend pas gros pour leur faire peur.

En quoi consiste le cours Take Back the WorkFloor ?

La formule AEIOU (Agiter, Éduquer, Inoculer, Organiser, Unité) apprend aux travailleurs.ses à se bâtir une équipe de support dans leur milieu de travail. Effectuer la cartographie du milieu de travail augmente souvent le registre des allié.es potentiel.les. Comment organiser une réunion de collègues. Nous faisons aussi beaucoup de jeux de rôles et simulations de réunion et de confrontations potentielles – tout cela dans une journée de 8 heures.

Nous essayons de convaincre le plus de personnes possible puisque nous voulons recruter plus largement qu’auprès des personnes déjà idéologiquement convaincues. Nous inscrivons des personnes selon leurs horaires de travail. Ils et elles participent avec d’autres collègues qui partagent le même genre de tâches et le même rang. Ensuite, nous leur demandons s’ils et elles aimeraient poursuivre leur implication syndicale, et les reléguons ensuite à des groupes Facebook, Signal ainsi que la liste courriel.

Nous avons eu tellement de succès que tous les différents niveaux de notre syndicat ont été enthousiasmés à l’idée de suivre notre cours. Nous faisons partie de la région des prairies – Alberta, Saskatchewan et Manitoba – et le reste de la région semble inspirée à se joindre à l’effort tel que lancé à Edmonton. D’autres locaux nous demandent pourquoi un tel programme n’existe pas chez elles et eux. Nous partageons donc nos méthodes organisationnelles avec d’autres sections locales – Lethbridge, Grande Prairie Saskatoon, Winnipeg. Ainsi, nous envoyons donc nos formateurs.trices dans les différents locaux pour donner le cours mais aussi pour former d’autres travailleurs.ses pour qu’ils et elles puissent ensuite être autonome. Nous les aidons à prendre leur air d’allée pour qu’ensuite leur local se gère par lui-même. Avec ces différents locaux nous pouvons même créer des comités d’organisation régionale – une première pour notre syndicat!

Comment a réagit le CUPW National, a-t-il même réagit?

C’est dur à dire. Pour ce qui est de l’organisation syndicale en tant que telle, c’est intéressant parce que nous faisons face à un succès jamais vu auparavant. Nous avons presque triplé nos niveaux de participation aux Rencontres Mensuelles, résultant de l’immense participation aux comités d’organisation, aux groupes de volontaires, à tous ceux et celles qui partagent nos progrès sur les réseaux sociaux. Toutes ces choses qui font réagir des personnes sur notre page Facebook où des groupes d’au travers le pays commencent à se questionner sur ‘’pourquoi est-ce que ce genre d’activité n’émerge pas ailleurs?’’

C’est difficile de déterminer si ces personnes, au national, sont aussi sceptiques parce qu’elles n’ont pas initié le mouvement et sont maintenant gênées , en quelque sorte, de s’y rallier aussi tardivement, ou si c’est parce qu’elles sont carrément opposées à nos méthodes. J’aime comparer le syndicalisme à un oiseau. Une aile n’est que procédures; mettre les barres sur les T, gérer des griefs, l’arbitrage, les consultations etc. L’autre aile représente l’Organisation de terrain. Notre syndicat ne s’est appuyé que principalement sur son aile procédurale depuis 1985. C’est à ce moment là que les pénalités et amendes attribuées aux grévistes sont passées de pénalités carcérales aux lois de retour-au-travail que nous connaissons aujourd’hui. Ensuite, la stratégie à changé en fonction de la réflexion suivante : ‘’Nous sommes les spécialistes dans notre domaine, c’est nous qui allons avoir de bien meilleurs témoignages pour l’arbitrage’’.  L’idée n’était probablement pas de démobiliser les travailleurs.ses, mais cet entrain à mettre l’emphase sur la procédure est venue au dépit de la solidarité collective. Le danger est qu’une fois que nous sommes habitué.e.s de concevoir le syndicalisme de cette façon, il devient difficile de croire qu’il peut exister de toute autre manière. Je n’ai pas envie de prêter des intentions malicieuses aux syndicalistes procéduraux, mais je crois que nous pouvons puiser notre force collective en acceptant qu’il y a plusieurs visions et approches qui méritent d’être prises en considération. Je comprend que quelqu’un qui a passé l’entièreté de sa carrière à remplir des griefs pourrait se sentir menacé par des membres friands d’une autre stratégie. 

 J’ai vu que vous avez décidé de sonder vos membres par rapport à la question du respect de la loi de retour au travail. Pourquoi avez vous décidé de procéder ainsi et quel a été le résultat de ce sondage?

C’est intéressant parce que pendant que nous étions en planification de campagne et offrons des formations syndicales à nos membres, ils et elles regardaient déjà la situation en se demandant ‘’Comment est-ce qu’on va se battre contre ça’’. 

Les routes d’un département étaient en train d’être réévaluées. C’est une pratique qui survient chaque 4 ou 5 ans, en fonction du nombre de paquets et de lettres. Même si le nombre de lettres ne cesse de diminuer, la quantité de paquets, elle, augmente plus vite, créant ainsi plus de travail pour nos membres. Notre convention collective n’a pas de clause claire par rapport à ces évaluations de nos routes et n’exige pas de l’employeur de nous fournir des nombres exacts. Ces chiffres, fournis par des observateurs du syndicat, sont envoyés à Postes Canada, qui les ajoute à ses algorithmes et sont ensuite mélangés et tordus d’une manière incompréhensible. Nous leur avons demandé de nous montrer leurs calculs, mais leur réponse à toujours été : ‘’Si vous n’êtes pas content.e.s, remplissez des griefs’’. En guise de réponse, nous avons fait circuler une pétition dans toute la ville par presque chaque facteur.trice, 800 personnes, en demandant les chiffres exacts et la création de 3 nouveaux postes ; des demandes basées sur les calculs de nos propres chiffres. Nous avons menacé le CEO de Postes Canada d’une escalade des moyens de pressions si P.C ne répondait pas à nos demandes. À la base ils allaient couper 8 postes, mais n’en ont finalement coupé que 3. Nous avons donc réussi à préserver 5 postes grâce à notre organisation – bien que toute coupure est, selon nous inacceptable.

Une rencontre de masse à été organisée où 120 travailleurs.ses sont venu.e.s supporter les travailleurs.ses de ce département en disant ‘’Comment allons-nous augmenter la pression, tout en étant souscrit aux lois de retour-au-travail qui nous font risquer des amendes de $1000 par jour?’’ Puisque personne n’a les moyens de payer de telles amendes, nous nous sommes demandés ‘’Avons nous suffisamment de support pour se battre de manière à ce que les amendes ne soient pas exécutables? ‘’  Et nous avons décidé collectivement que nous n’avions pas les effectifs pour escalader les moyens de pression. C’était trop gros pour nous, à ce moment là ; nous avions besoin de plus de support. 

On m’a demandé d’organiser un référendum en Octobre. Je suis donc allé dans toutes nos succursales d’Edmonton avec des boîtes et des ballots de vote, une courte présentation sur nos conditions de travail, la loi de retour-au-travail ainsi que plein d’exemples de moments où nos droits n’ont pas, et ne sont pas, pris au sérieux par l’employeur. J’ai aussi insisté sur le fait qu’il n’y avait pas de bonne ou de mauvaise réponse – au cas où les travailleurs ne voudraient pas désobéir à la loi. Après tout, on souhaite une solution réaliste, pas idéaliste. Le résultat du vote, au travers de la ville, à été en faveur de la désobéissance à la loi de retour-au-travail à 83%. Cependant, cette désobéissance était conditionnelle au support de l’ensemble du local, en plus du national. 

Ensuite, j’ai rédigé une lettre ouverte au nom du local, “Nous devons nous sortir de ce cycle sans fin de loi de retour-au-travail’’  et nous avons insisté sur le fait que rien ne nous différencie des autres facteurs et factrices du pays, ici à Edmonton. Si quelqu’un allait poser ces mêmes questions à la grandeur de Poste Canada, nos collègues seraient probablement du même avis que nous. Ainsi, le national nous a donc aidé à étendre notre référendum à l’extérieur d’Edmonton. 

Nous avons eu notre premier appel avec le syndical national au début de Novembre puis un second la semaine dernière. À leur défense, ils ont été honnêtes de prime abord sur le fait qu’ils ne pouvaient pas vraiment supporter des mesures de désobéissance des lois briseuses de grève. Je ne vois rien de mal sur le fait d’être honnête par rapport à ca. Si nous avions $20 millions, la moitié de nos membres auraient pu défier la loi pour seulement une journée ; et ce n’est vraiment pas assez. Mais l’idée à toujours été que si nous voulions avoir du succès dans notre compagne, ce n’est pas parce que certain.e.s d’entre nous peuvent éponger les amendes, mais bien parce que nous aurions un si grand effectif que ces amendes ne pourraient jamais possiblement être mises en oeuvre.

Le national n’avait pas les ressources financières pour nous appuyer, et n’était pas prêt à faire des sorties publiques en faveur de la désobéissance aux lois, mais a été très encourageant et présent pour notre campagne. Ils se sont donc très élégamment sortis de l’idée du référendum.

Par contre, si tu veux faire de la désobéissance civile, ce n’est pas nécessairement en passant par le national et en attendant d’avoir la permission que tu vas réussir. C’est plutôt sur le terrain des vaches, dans les shoppes que ce genre de chose va escalader. Une bonne façon de l’envisager est de gérer ses problèmes locaux, ensuite régionaux puis éventuellement ce sera plus facile d’avoir ce genre de conversation au niveau national.

Même si le national n’est pas emballé à l’idée de notre défiance, au moins il ne porte pas entrave à notre campagne. Pour quiconque a déjà eu à dealer avec des grosses centrales syndicales, cela représente déjà une victoire. C’est souvent nos propres organisations qui limitent notre potentiel.

Comment planifiez-vous étendre votre approche?

Nous savons que d’autres niveaux du syndicat – régional, national- ne vont pas se lancer dans un tel programme sans avoir plus qu’assez de preuve. Alors à Edmonton, nous nous sommes simplement concentré.e.s sur le processus. On continue de planter des graines et espérer que quelque chose prenne racine. Si tu donnes les bons outils aux travailleurs.ses dont les droits se font bâcler, c’est inévitable qu’ils et elles vont s’en servir. En plus, la rumeur sur nos succès commence à se répandre. Les réseaux sociaux nous ont beaucoup aidé sur ce front.

J’ai aussi eu le plaisir de partager nos histoires dans un forum éducatif où j’ai partagé que Edmonton serait prêt à partager ses outils et même envoyer des formateurs.trices à quiconque serait intéressé. Immédiatement, nous avons eu plusieurs réponses de la part d’autres locaux et nous allons leur prêter main forte dans la nouvelle année. Si des sections éloignées déboursent les frais, nous pouvons même envoyer nos formateurs.trices en avion pour former d’autres collègues et leur permettre rapidement de s’organiser indépendamment. Nous pensons que toutes ces actions de terrain un peu partout dans d’autres sections locales inspireront les régions à s’y joindre aussi. 

C’est impossible d’avoir trop de formateurs et de formatrices. Je vais continuer à promouvoir mon cours tant qu’il y aura une demande. Si les actions syndicales se multiplient, le stigmat autour de ces méthodes diminuera sûrement et plus de travailleurs.ses s’y prêteront. Le plus longtemps nous continuons la construction de ce modèle d’organisation, le mieux préparé nous serons pour le futur et ce peu importe la situation, que ce soit des lois ou des conditions de travail indécentes. Parce que c’est en fait ce qui nous attends. C’est la suite logique de toute l’histoire de la classe ouvrière. Alors nous devons maintenir notre cap sur l’organisation. La désobéissance aux lois de retour-au-travail est la seule façon de pousser le mouvement syndical dans la bonne direction et éviter que les choses s’empirent.

Si ce n’est qu’un département à Edmonton, ils vont vous tomber dessus à toute vitesse. Mais toute la ville? Une des choses sur lesquelles j’insiste dans ma présentation pour le référendum est l’organisation syndicale comme départ de tout mouvement de contestation. C’est inévitable. Et ces travailleurs.ses vont commencer quelque chose de magnifique. Mais c’est une chose que d’y rêver, et une autre que de s’organiser en conséquence. 

Article Original de Organizing Work
Traduit de l’Anglais par Elizabeth Stone
Mars 2020

Pourquoi exiger un salaire minimum à 22$/h?

On nous dira qu’on exagère : que demander un salaire minimum de 22$ de l’heure est irréaliste, utopique ou que ça n’a juste aucun bon sens. Quelques syndicats ont récemment revendiqué un salaire minimum à 18$ de l’heure. Cette proposition, basée sur des études de l’IRIS, n’est pas inintéressante. Comme le dit un de mes camarades : « il faut le dire quand les centrales font de la bonne job ». Donc, good job aussi aux militant.es de la FTQ qui ont tracté au métro Frontenac il y a quelques semaines pour informer les travailleuses et travailleurs des changements à la loi sur la Santé et sécurité au travail. C’est important de laisser ses intérêts corpos de côté et d’aller vers les gens. Vous êtes plusieurs dans les centrales à pousser dans cette direction, sans doute à contre-courant, lâchez pas.

Pour ce qui est de la revendication du salaire minimum à 18$ de l’heure, c’est malheureusement trop peu. Devant les coûts exorbitants des loyers, l’explosion des prix sur la nourriture, le prix de l’essence qui coûte les yeux de la tête, 18$ de l’heure, de l’avis même de certain-es qui travaillent pour des miettes, c’est trop peu. Surtout que les grands patrons de ce monde n’ont fait que s’enrichir depuis le début de la pandémie. C’est sans parler des tas de subventions qui ont été distribuées aux entreprises privées en laissant de côté les gens qui en arrachaient le plus : les travailleuses et travailleurs de premières lignes, du milieu communautaire en passant par les épiceries, qui ont dû rentrer au travail dans des conditions difficiles et inhabituelles. On ne parlera pas non plus des gens sans-emploi, des personnes assistées sociales, des gens sans statuts et celles et ceux vivant dans la rue qui ont le plus souffert de la pandémie et du manque de ressources. L’Organisation populaire des droits sociaux se bat depuis des décennies pour un revenu minimum garanti. C’est étonnant de constater que cette proposition n’est pas davantage prise en compte par les syndicats et partis politiques. Faudrait les écouter. 

C’est sûr que l’argent ne règle pas tout. Mais ça demeure une des ressources les plus essentielles pour survivre dans ce régime capitalisme. Avoir un bon salaire permet à des gens d’avoir un meilleur espace de vie, d’avoir accès à de meilleurs aliments, d’avoir accès à des p’tits plaisirs aussi banal que d’aller au cinéma. Avoir un bon salaire et des bonnes conditions de travail, être reconnu.es comme travailleurs et travailleuses ou tout simplement comme personne à part entière, c’est important aussi pour la santé mentale et la santé en général. Au cas où vous ne le savez pas, les boss et les riches vivent plus vieux que nous autres… Bref, l’argent ne règle pas tout, mais permet d’espérer vivre un peu mieux, plus longtemps…

Comme vous le savez, le IWW n’est pas un syndicat partisan. Nous avons aucune ligne de parti. Certains de nos membres sont communistes, d’autres anarchistes; certains sont sociaux-démocrates. Bien que nos membres soient libres de leur choix politique, nous n’appuierons jamais, comme organisation, un parti politique, quel qu’il soit. L’histoire du parlementarisme et des partis politiques, de gauche comme de droite, ont démontré leur incapacité à changer radicalement le mode de vie des gens ordinaires. Pire, les leaders des partis politiques ont tous plus souvent qu’autrement nui au bien commun par diverses politiques mises en place. En revanche, nous sommes un syndicat qui se bat dans le quotidien pour améliorer les conditions de vie des gens par des actions directes et de l’auto-formation. On n’est pas parfait, mais on essaie de proposer des solutions qui aideront les travailleuses et travailleurs les plus précaires. Revendiquer un salaire minimum à 22 $ de l’heure, et tenter d’amener nos camarades à lutter pour cette revendication, c’est une solution susceptible d’aider concrètement, ici et maintenant, les travailleuses et travailleurs qui en ont le plus besoin. 

Venez prendre la rue avec nous le 1er mai 2022 au métro Papineau dès 12h30 pour revendiquer, entre autres, un salaire minimum à 22$ de l’heure. 

Solidairement,

Un texte original du Blog des Wobs du Communautaire

COMMENT LA PANDÉMIE A DÉCLENCHÉ UNE VAGUE DE GRÈVES EN ITALIE

Morgan M jette un œil sur la vague de grèves en Italie à la lumière de la pandémie du coronavirus et les réponses du gouvernement et de l’industrie, interviewant un pompier militant dans un syndicat local de base. Image: Des travailleurs des installations de TNT FedEx à Gênes et Bologne en grève le 7 avril pour des conditions plus sûres.

Lorsque le COVID-19 a frappé l’Italie, le gouvernement a tenté d’isoler les personnes tout en laissant rouler l’économie. Alors que le gouvernement interdisait les rassemblements et soulignait l’importance de l’isolement, il poussait également les travailleurs à continuer de se présenter au travail, quelles que soient les conditions. Cette contradiction a provoqué une vague de grèves sauvages à travers le pays.

En Italie, le Travail se négocie généralement à deux niveaux : les accords sectoriels fixant des normes industrielles et les accords spécifiques fixés à une entreprise particulière.

Il existe trois grandes confédérations syndicales (comme la CSN, la FTQ, et la CSQ) ainsi que deux petites confédérations de droite. Les trois grandes confédérations sont la CGIL, qui est la plus grande et affiliée au Parti Communiste ; la CISL qui était chrétienne-démocrate ; et l’UIL qui était affiliée au Parti Socialiste.

Au niveau national, les confédérations syndicales négocient avec la Confindustri, qui représente les employeurs et le gouvernement dans une sorte de partenariat social triparti.

Au niveau de l’entreprise, il existe des « conseils de travail » qui représentent les travailleurs. Tous les syndicats qui ont le soutien de plus de 5 % des employés (il n’y a pas de formule Rand comme au Canada) peuvent participer au conseil. Il existe deux types de conseils où la force du syndicat dépend de la largeur du membership au sein de l’entreprise. Les deux types diffèrent selon que les syndicats nomment les délégués syndicaux ou que les employés les élisent.

Parallèlement, il y a les syndicats Cobas – les COmités de la BASe (syndicale). Il existe de nombreux syndicats Cobas, allant des très petits à ceux qui comptent entre 40 et 50 000 membres. Ils fonctionnent de manière similaire au Syndicat Industriel des Travailleurs et Travailleuses-IWW en Amérique du Nord, c’est-à-dire organisés en dedans et en dehors de la structure légale du travail. Le SI Cobas a attiré l’attention pour avoir su organiser des grèves dans le secteur de la logistique. Le SI Cobas fera souvent grève jusqu’à la fin (jusqu’à ce qu’une résolution soit atteinte) par opposition à la grève limitée, qui est une tactique plus courante.

Malheureusement, les différentes directions syndicales des Cobas se voient souvent comme des rivales et ne font pas grèves ensemble.

J’ai eu la chance d’interviewer Mariopaolo, un pompier et militant de la base du syndicat Cobas «Unione Sindacale Di Base» (USB), au sujet des grèves qui s’y sont déroulées. Il y milite depuis quelques années, luttant pour que l’USB demeure hors des accords nationaux afin de maintenir sa liberté de faire grève. Il est également actif dans une coordination de militants Cobas de la base, encourageant l’unité d’action entre les différents syndicats Cobas.

Lorsque la pandémie a éclaté, l’Italie a commencé à isoler des individus dans le nord du pays. Pouvez-vous expliquer la réaction de la classe ouvrière à la limitation des actions des travailleurs et travailleuses ?

En Italie, comme dans la plupart des pays – en particulier ceux où le capitalisme est âgé – la classe ouvrière est depuis des années marquée par une passivité générale.

Dans cette passivité générale, un gouvernement décidant de limiter la liberté d’action des syndicats n’est pas considéré par la plupart des travailleurs et travailleuses comme un problème. En effet, si nous ne sommes plus habitué.e.s d’utiliser un outil de protestation (grèves, assemblées, piquets), lorsque celui-ci nous est retiré, on ne le remarque qu’en principe : dans les faits, on ne remarque plus son absence.

Il y a cependant eu des exceptions. Vendredi le 4 mars, ArcelorMittal – le plus grand aciériste du monde, propriétaire à la fois de Bethléem et de Republic Steel aux États-Unis – a conclu un accord avec le gouvernement sur les plans de licenciements et les congédiements dans ses aciéries en Italie. À l’aciérie de Gênes, le syndicat FIOM-CGIL – le plus grand syndicat des métallurgistes et des travailleurs et travailleuses de l’automobile en Italie – a convoqué une réunion d’usine le 9 mars, ce qu’ils peuvent faire à tout moment pour des questions syndicales. ArcelorMittal a interdit la réunion en invoquant le décret d’isolement social que le gouvernement avait publié ce jour-là. Le syndicat FIOM de l’aciérie a répondu qu’il allait déclarer la grève et organiser une réunion à l’extérieur de l’usine. Les jours suivants, cependant, la propagation de l’épidémie s’est considérablement aggravée, ce qui a conduit à la révocation des assemblées.

Il convient toutefois de préciser que ni le décret gouvernemental du 4 mars ni les décrets ultérieurs n’ont interdit les grèves. Par conséquent, par crainte de contagion, c’est-à-dire pour défendre leur propre santé, les travailleurs et travailleuses ont déclenché une grève dans de nombreuses usines au cours des jours suivants.

Le gouvernement a-t-il rendu obligatoire le travail dans les zones d’isolement ?

Le gouvernement n’a pas arrêté les activités essentielles avant le 23 mars (nous y reviendrons plus tard). Les premiers cas ont été découverts 21 février dans 10 petites communes de quelques milliers d’habitants de la province de Lodi (en Lombardie, au sud de Milan) et dans une petite commune de la région Vénétie. Le gouvernement a fermé ces 11 municipalités en tant que « zones rouges », d’où personne ne pouvait ni entrer ni sortir. Comme il s’agissait de petites municipalités, il était difficile pour les entreprises qui y étaient situées de poursuivre la production car une partie plus ou moins importante de leur personnel habitait d’autres municipalités ; et ces travailleurs et travailleuses ne pouvaient donc plus accéder à leurs emplois dans la zone rouge. Notons aussi que ces entreprises n’avaient plus accès aux matières premières et produits semi-finis nécessaires à la production.

Cependant, la situation a changé le 9 mars, lorsque le gouvernement a créé une zone rouge beaucoup plus étendue, qui englobait l’ensemble de la région de Lombardie et 14 provinces d’autres régions.

Par le fait même, le gouvernement a élargi son contrôle face à la circulation des personnes et la limitation des manifestations, réunions et rassemblements à un tiers du territoire national. Mais comme aucun arrêt de production n’avait été annoncé, les entreprises des 11 zones rouges de la municipalité d’origine ont pu reprendre la production.

La même chose s’est produite le 11 mars, lorsque le gouvernement a étendu la zone rouge à l’ensemble du territoire national.

Ces mesures visant à étendre les restrictions de circulation et d’assemblées ont commencé à inquiéter les travailleurs et les travailleuses, ce qui a eu pour effet de les faire déclencher des grèves dans bon nombre d’usines.

Des grèves se sont propagées dans tout le pays. Précisons que ces dernières n’étaient pas instiguées par les dirigeants des syndicats du régime (CGIL, CISL, UIL – les centrales syndicales qui signent les accords nationaux), ce qui ne s’était pas produit en Italie depuis de nombreuses années.

Le 14 mars, face à cette situation, les syndicats du régime ont signé un accord avec le gouvernement et la plus grande organisation d’industriels italiens (la Confindustria) visant non pas à arrêter la production non-essentielle, mais plutôt à garantir des mesures de sécurité pour les travailleurs et travailleuses.

Les décrets du gouvernement ont établi des mesures obligatoires pour atténuer le risque de contagion. Dans plusieurs cas, les syndicats ont utilisé ces dispositions légales pour imposer des licenciements temporaires aux employeurs en attendant la mise en œuvre de ces mesures, comme le prévoit le protocole du 14 mars.

Où les syndicats et les entreprises ne sont pas parvenus à un accord sur les licenciements temporaires, des grèves ont été organisées. Dans certains cas, les syndicats ont déclaré qu’il ne s’agissait pas de grèves mais « d’abstentions de travail ». Il va sans dire qu’une grève n’est rien d’autre qu’une abstention collective de travail. Cependant, cette distinction a probablement été utilisée par les syndicats – et les travailleuses et travailleurs – dans l’espoir que des allocations de chômage seraient versées, comme le prévoient les décrets gouvernementaux.

Comment la vague de grèves a-t-elle commencé? Étaient-elles spontanées? Provenant des syndicats Cobas? De l’intérieur de la CGIL?

Les grèves ont commencé à se multiplier lorsque la gravité de l’épidémie est devenue apparente. Elles sont également le produit de l’escalade des mesures gouvernementales, du 21 février au 11 mars.

Nous devons préciser ce qu’est une « grève spontanée ». Certes, les travailleurs et travailleuses ont exercé une pression pour faire grève. Dans de nombreux cas, ils et elles ont trouvé le soutien des délégués d’usine [délégués syndicaux] des syndicats du régime, qui ne se sont pas opposés aux grèves. Certaines des structures régionales des syndicats du régime ont proclamé des grèves générales. Ce fut le cas de la FIOM (CGIL- automobiles et métallurgie) en Lombardie, au Trentin et à Turin; et le cas de la FILCAMS-CGIL-CGIL (le syndicat CGIL du commerce, des services et du tourisme) à Gênes.

Ce sont les dirigeants nationaux des confédérations – la CGIL, la CISL et l’UIL – qui n’ont pas organisé le mouvement de grève afin de stopper les activités non-essentielles à plein salaire. Ils n’ont pas appelé à une grève générale nationale multisectorielle et le 14 mars – alors que l’épidémie avait déjà montré toute sa gravité et fait des milliers de victimes dans le nord de l’Italie – ils ont signé le protocole susmentionné.

Les syndicats de base – SI Cobas, USB, CUB, ADL Cobas – ont appelé à des grèves nationales dans certaines industries et, le 25 mars, l’USB a appelé à une grève dans toutes les industries, à l’exception des travailleurs essentiels.

Cependant, ces syndicats n’ont pas la force de promouvoir de véritables grèves générales, même au sein des industries corporatistes, à l’exception de SI Cobas, situé dans la logistique. Même après les 8 et 11 mars (avec l’extension de la zone rouge d’abord à l’ensemble de la Lombardie et ensuite à l’ensemble du pays) et la multiplication des grèves qui résultèrent, les grèves nationales des syndicats Cobas n’ont pas réussi à impliquer une partie importante des travailleurs et travailleuse. Cela est dû au fait que les syndicats du régime – bien que soutenant les grèves qui ont eu lieu au niveau corporatiste et au niveau régional – n’essaient jamais d’unifier les grèves au niveau national. De plus, même dans cette situation propice à la mobilisation des travailleurs et travailleuses, les dirigeant.e.s des syndicats Cobas ont refusé de faire corps et n’ont cessé de se faire la guerre.

Comment ces grèves ont-elles été organisées?

Les grèves sont l’expression d’un mouvement de base de la part des travailleurs et travailleuses qui, face aux appels du gouvernement à rester confiner, se sont retrouvés contraints de se rendre au travail avec un risque évident de contagion. Les délégué.e.s syndicaux étant soumis.e.s eux-mêmes à cette double contrainte, cela explique en partie leur large soutien aux grèves.

D’un autre côté, le manque d’unification des grèves n’aboutissant pas à une grève nationale de toutes les catégories de travail, visant non seulement à ne pas exposer les travailleurs au risque de contagion mais aussi à obtenir le plein salaire, a empêché l’extension des grèves. Ces grèves se limitant ainsi aux zones où l’épidémie était la plus importante, où les travailleurs étaient aux prises avec le choix « santé ou salaires ».

La CGIL et d’autres syndicats cherchent à travailler avec des entreprises, comme le fait l’UAW aux États-Unis (ou les grandes centrales du Québec). Si je comprends bien, la CGIL a essayé de travailler avec l’industrie mais n’a pas réussi et des grèves sauvages ont alors éclatées ?

La gravité de l’épidémie s’était déjà clairement manifestée le 8 mars. Face à la généralisation des grèves, le protocole signé par les dirigeants nationaux de la CGIL, de la CISL et de l’UIL – avec le gouvernement et l’industrie – a permis de reporter la fermeture complète des secteurs économiques non-essentiels autant que possible. Ce protocole prévoyait que la mise en œuvre des mesures (de santé et de sécurité, et de confinement) se fasse de concert entre l’entreprise et les syndicats dans chaque secteur de production. Le protocole prévoyait également une suspension temporaire de la production, avec des fonds de chômage destinés aux travailleurs et travailleuses, si aucun accord ne pouvait être trouvé. Si tel était le cas, le syndicat se réservait le droit de déclencher une grève.

Ainsi, les syndicats du régime ne s’opposent pas aux grèves, mais se réservent plutôt la possibilité de les organiser. En revanche, les syndicats ont permis au gouvernement de reporter la suspension des activités non-essentielles jusqu’au 25 mars, 11 jours plus tard.

Le respect des règles de confinement (des accords entre le syndicat et l’entreprise) était possible dans les entreprises où les syndicats du régime avaient une force suffisante et où les délégué.e.s étaient combattifs et combattives.

À la fin, les travailleurs et travailleuses de la plupart des petites et moyennes entreprises – où travaille la majorité de la classe travailleuse d’Italie – sont laissés à la merci des patrons.

Un texte original de Organizing Work.

Conseil d’organisation que j’aurais aimé recevoir il y a 10 ans

L’auteur, qui a préféré demeurer anonyme, a travaillé comme organisateur de terrain pour le plus grand syndicat de la fonction publique aux États-Unis, avant de devenir enseignant dans une grande région urbaine. Il fait aujourd’hui de l’organisation avec collègues et étudiant.es autour d’enjeux relatifs à l’accessibilité de l’éducation et l’obtention de permis de conduire pour migrants sans-papiers. 

Je me suis mit à réfléchir à une série de conseils que je me donnerais, si je pouvais parler au jeune organisateur que j’étais il y a dix ans. J’ai tellement appris au courant de cette dernière décennie et j’ai aussi commis beaucoup d’erreurs. Alors voici ce que j’aurais aimé entendre il y a dix ans, basé sur mon expérience personnelle, ainsi que mes propres erreurs. Évidemment, ces conseils me concernent toujours aujourd’hui; je ne suis quand même pas devenu un organisateur parfait.

  • Il est important de s’organiser autour d’objectifs clairs, réalistes et qui représentent des points progressifs qui nous permettent de mesurer l’avancement et le succès de notre campagne. La sensibilisation et les réjouissances à elles seules ne nous permettent pas de mesurer ces choses là. Il faut s’organiser autour de choses tangibles qui ont un impact direct sur la qualité de vie et de travail des gens.
  • Participer aux manifestations n’est pas l’épicentre de l’organisation syndicale. Parfois, ce peut être de bons moments, mais il ne faut pas se laisser croire que ça compte comme ‘’faire quelque chose’’ de constructif et mettre son énergie à sauter de manif en manif.
  • Écouter les opinions et l’apport des gens autour de soi. Écouter leurs idées en premier. Vérifier où ils et elles en sont, quels sont leurs problèmes et enjeux au lieu de deviner et d’anticiper ces derniers. 
  • Éviter de s’organiser seulement avec des personnes issues des mêmes sous-cultures et scènes culturelles en marge desquelles nous sommes issu.es. Le résultat d’une telle organisation va créer un effet d’exclusion auprès de personnes qui ne viennent pas des mêmes milieux.
  • Ne pas se laisser emporter dans les théories super idéologiques et dogmatiques. La majorité des personnes se foutent des chicanes idéologiques qui ont eu lieu en 1936 ou de tes divergences politiques avec un tel ou une telle. Bien que ce soit intéressant comme passe-temps et que la théorie et l’histoire peuvent nourrir des idées, la gauche est parfois trop obsédée avec l’idéologie comme identité. Démontres plutôt ta méthodologie au travers de tes méthodes d’organisation.
  • Respecter le processus collectif en travaillant au travers de désaccords et en planifiant collectivement.
  • Cogner aux portes, décrocher le téléphone et faire des appels; contacter les gens sans toujours passer par les réseaux sociaux.
  • Être constant.e, comme un riff de drum. Être à l’heure et tenir parole sur ses engagements.
  • Ne pas fermer la porte à certaines personnes suite à un accrochage ou un différend idéologique. Ne pas laisser de camarades derrière ou oublier certaines personnes. Les gens ne sont pas une ressource inépuisable.
  • Inclure et aller vers des personnes qui ne sont pas déjà en position d’autorité. Trop souvent, les organisateurs.trices vont instinctivement vers des personnes qui ont déjà beaucoup de capital social et donc plus d’autorité.
  • Le pouvoir est dans la shoppe, pas dans le bureau. Voir les rangs tels qu’ils sont sur le plancher des vaches.
  • Pas besoin de demander la permission. 
  • Rester proches des travailleurs.ses.
  • Participer à construire les compétences d’organisation des étudiants.es. Considérer les étudiants.es comme des adultes et même des camarades de luttes, tout en sachant que tu es leur professeur. L’essentiel est de bâtir de vraies relations, fais-les rire. 
  • Ne pas avoir peur d’être en désaccord, mais ne pas devenir odieux.se pour autant.
  • Ne pas se laisser accaparer par toutes les fioritures de l’organisation. Bien que les affiches, les tracts et les info-lettres sont de supers outils, on ne mérite pas de dessert avant d’avoir mangé son assiette!
  • Organiser la classe ouvrière, pas la gauche.

Article original d’Organizing Work.
Traduit de l’anglais par Elizabeth Stone

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Trouvons d’autres solutions que la grève!

Rasmus Hästbacka et Kristian Falk, du syndicat suédois SAC (Sveriges Arbetares Centralorganisation, ou Organisation centrale des travailleurs de Suède), plaident en faveur d’une troisième voie entre le « fondamentalisme consensuel » de la bureaucratie syndicale dominante en Suède et « l’idéalisation » des grèves au sein de la base : il nous faut réapprendre à faire pression sur nos lieux de travail.

Let’s find alternatives to striking
Affiche du SAC des années 1970 : « Vous faites le travail! Vous devez prendre part aux décisions! »

Qu’est-ce qui définit un mouvement syndical? C’est un mouvement constitué de collègues qui se serrent les coudes et qui agissent ensemble. Il faut le distinguer de la bureaucratie syndicale représentée par les élu.e.s et les responsables syndicaux juché.e.s loin de la base et rémunéré.e.s à part des travailleur.e.s. Sur le marché du travail suédois, le mouvement syndical prend la forme de petits îlots dispersés dans l’ombre des grandes bureaucraties syndicales. Ces îlots comprennent le SAC syndicaliste, le syndicat suédois des débardeurs et quelques branches locales de travail au sein des bureaucraties centrales LO (Landsorganisationen i Sverige ou Organisation nationale suédoise), TCO (Tjänstemännens Centralorganisation ou Confédération des employé.e.s professionnel.le.s) et SACO (Sveriges Akademikers Centralorganisation ou Confédération suédoise des associations professionnelles).

La renaissance du mouvement syndical suédois est entravée par le « fondamentalisme consensuel » : les hauts responsables syndicaux se concentrent sur la recherche d’un consensus (samförstånd) avec les employeur.e.s par le biais des conventions collectives mais depuis des décennies, les employeur.e.s négligent de plus en plus les intérêts des travailleur.e.s au profit de la recherche de ce consensus. Le marché du travail se détériore en Suède, et les conditions de travail commencent à ressembler à celles du début du 20e siècle : on y trouve des environnements de travail dangereux, des salaires très bas et des employeur.e.s tout simplement criminel.le.s.

En tant que syndicalistes, nous ne rejetons pas les conventions collectives légalement contraignantes. En fait, au SAC, nous testons actuellement une nouvelle stratégie en matière de conventions collectives. Mais nous soulignons toujours que c’est la lutte collective qui donne aux conventions collectives leur valeur.

Romancer les grèves

Alors que les hauts fonctionnaires de la LO, du TCO et de SACO souffrent du fondamentalisme consensuel, l’opposition de la base souffre souvent d’une obsession de la grève. Au sein du mouvement ouvrier populaire en Suède, on entend souvent un appel à de grandes grèves, voire à une grève générale. Le recours aux grèves a pris de l’ampleur en réponse à la remise en question de la loi suédoise sur la protection de l’emploi, à la prolifération des bas salaires et aux attaques contre le droit de grève. En 2019, des groupes ont tenté d’organiser une grève symbolique afin de souligner la crise climatique, mais à notre connaissance, aucun lieu de travail n’a été fermé.

Il faut reconnaître que nous-mêmes, membres du CAS, avons parfois laissé cette obsession de la grève nous gagner. Nous aussi, nous avons essayé d’en précipiter quelques-unes. La grève pour la défense des fonds d’assurance chômage en 2006, qui étaient attaqués par le gouvernement suédois, en est un exemple. Elle s’est soldée par une défaite douloureuse.

La fréquence des grèves en Suède est en fait très faible depuis le début des années 1990 et l’appel à la grève a tendance à relever du fantasme. Les organisateur.e.s de ces prétendues grèves idéalisent les grèves françaises, ou celles de la Suède avant la Seconde Guerre mondiale. Mais la grève à outrance ne doit pas être fétichisée, et elle n’a aucune valeur si elle ne mène pas à l’obtention de résultats. Cette vision de la lutte s’inscrit dans le mythe fallacieux que la grève représente toujours la meilleure arme des salariés.

Un fait important, mais peu connu, est que le SAC syndicaliste a historiquement été sceptique à l’égard des grèves. Cela a été exprimé dès 1910 dans le Manifeste aux travailleur.e.s de Suède, publié par le SAC. Les luttes ouvrières ne doivent pas être réduites à une lutte de « bras croisés », dit-on dans le Manifeste, et « ce temps est révolu, où il suffisait de jeter la pelle et le rabot de côté et d’imposer nos conditions aux employeur.e.s ». Selon les syndicalistes, les grèves sont souvent coûteuses, longues et peuvent facilement être ruinées par des briseur.e.s de grève et des lock-out. Les employeur.e.s suédois.e.s ont souvent répondu par des lock-out de solidarité dans de nombreuses industries.

L’objectif des lock-out n’était pas seulement de gagner la lutte en cours. Le politologue Peter A. Swenson parle d’un objectif à plus long terme :

Les lock-out ont permis à la classe dominante de façonner les syndicats de manière à en faire des partenaires dans la régularisation du marché du travail. La direction des syndicats, qui est étroitement liée au Parti social-démocrate, n’opposait pas de résistance au mouvement souhaité par les employeurs. Ce qui leur faisait obstacle, c’était le manque de contrôle sur le militantisme décentralisé dans les rangs. Par conséquent, […] les syndicalistes ont parfois accueilli favorablement les lock-out ou les menaces de lock-out. Le claquement de fouet des employeur.e.s leur donnait un prétexte cohérent avec leur idéologie pour intervenir contre le militantisme perturbateur de la base.

Pendant l’âge d’or des grèves, dans les années 1920, les syndicalistes suédois.e.s sont devenu.e.s encore plus sceptiques à l’égard des grèves « tous azimuts ». Les syndicalistes ont concentré la lutte à l’interne sur les services d’emploi des syndicats (bureaux de placement) et sur l’augmentation de l’influence des travailleur.e.s sur le mode de gestion des lieux de travail. La lutte à l’interne pouvait prendre la forme, par exemple, de ralentissements collectifs. Les services d’emploi des syndicats pouvaient aussi stipuler que les employeur.e.s devaient obligatoirement suivre l’ordre et les conditions dictés par les syndicats lors de l’embauche de travailleur.e.s. Lorsque ces services étaient efficaces, ils permettaient aux travailleur.e.s et aux chômeur.e.s de poursuivre des revendications communes contre la partie patronale.

Augmenter la pression

Dans les programmes d’éducation du SAC, nous avons appris à souligner que la route qui mène à des grèves réussies est généralement longue. Les travailleur.e.s peuvent simplement commencer par prendre la parole, par exemple en demandant d’avoir leur mot à dire sur les horaires. Ensuite, ils et elles peuvent faire signer une pétition pour demander à ce que l’employeur.e paye pour leurs uniformes de travail. Si la charge de travail est élevée, l’étape suivante peut consister à demander l’embauche de plus de personnes. Si la direction n’est pas réceptive, c’est peut-être l’heure de commencer à refuser les heures supplémentaires.

Il faut du temps pour acquérir la capacité de faire pression sur les employeurs. Nous finissons par l’oublier à force de concentrer toute notre attention sur la mise en œuvre de grèves épiques. Nos collègues doivent apprendre à gagner de petites batailles avant de voir s’ils et elles sont prêt.e.s à passer à l’étape suivante.

Nous présentons ci-dessous une série de moyens de pression qui contribuent à renforcer la capacité à faire grève. Ces options imposent quatre types de pression différents : morale, psychologique, économique et juridique.

1) La pression morale

Exercer une pression morale signifie que les travailleur.e.s font appel à la volonté des patron.ne.s de faire ce qui est juste selon leur propre compas moral, ou à la volonté d’être perçus comme justes aux yeux du personnel. Par exemple, les travailleur.e.s peuvent remettre en question des décisions prises lors des réunions du personnel, réaliser des sondages auprès des employé.e.s et critiquer des actions de la direction dans leur journal syndical local.

La pression morale est humiliante pour les patron.ne.s. bien sûr, mais il arrive souvent que les patron.ne.s ne se soucient pas d’être perçus comme injustes et qu’ils et elles ne perçoivent pas cette pression comme une punition. Dans ces cas, la pression morale n’aura pas d’effet, mais la pression psychologique pourrait faire l’affaire.

2) La pression psychologique

La pression psychologique consiste à mettre les patron.ne.s sans vergogne dans l’eau chaude. L’objectif est de les déranger. Par exemple, les travailleur.e.s syndiqué.e.s pourraient envoyer des avertissements  aux patron.ne.s qui ont mal traité leurs collègues. Selon le droit du travail suédois, seul.e.s les employeur.e.s peuvent prendre des mesures disciplinaires, mais cela n’empêche pas le syndicat de remettre des avertissements écrits aux patron.ne.s et d’en informer tous.tes les employé.e.s.

Un autre exemple consiste à semer la zizanie entre les patron.ne.s. Les employé.e.s peuvent essayer de s’allier avec des patron.ne.s qui sont réceptifs aux demandes des travailleur.e.s et de s’opposer ensemble aux mauvais.e.s patron.ne.s. Les travailleur.e.s peuvent également rendre visite aux cadres supérieur.e.s pour les persuader de faire pression sur leurs subordonné.e.s.

Une autre variante de la pression psychologique consiste à prendre ses distances avec la direction. On fait alors comprendre aux patron.ne.s que les travailleur.e.s ne veulent pas avoir affaire à eux tant qu’ils ne proposent pas de solutions sensées. Ils et elles pourraient, par exemple, boycotter la fête de l’entreprise, organiser des dîners de Noël sans les patron.ne.s ou renoncer à un voyage d’affaires.

3) La pression économique

Les travailleur.e.s peuvent certes exercer une pression économique sur leur employeur.e en faisant baisser ses revenus ou en faisant augmenter ses dépenses, mais ils et elles peuvent aussi le faire en jouant le jeu de la direction. Comment cela peut-il se faire ?

Une méthode consiste à suivre scrupuleusement toutes les règles. On appelle cela une « grève du zèle », car elle permet aux travailleur.e.s de rester sur leur lieu de travail tout en allongeant considérablement le temps requis pour accomplir toutes les tâches.

On peut aussi penser à la « sous-traitance syndicale ». Cela signifie qu’on fait pression sur un employeur.e par l’intermédiaire d’un.e autre employeur.e qui a un lien quelconque avec le premier. Par exemple, si un conflit de travail survient dans une entreprise de nettoyage qui travaille auprès d’autres entreprises, la direction de l’entreprise de nettoyage peut être mise sous pression par un avis syndical envoyé aux entreprises clientes.

Les formes les plus connues de pression économique sont les grèves et les blocages. Les grèves provoquent généralement l’arrêt complet du travail, tandis que les  blocages entraînent l’interruption de certaines parties du processus de travail. Dans le droit du travail suédois, le blocage est également appelé « action industrielle partielle ».

Les blocages se présentent sous de nombreuses formes : refus de faire des heures supplémentaires, refus d’accomplir certaines tâches, refus d’utiliser certains outils de travail, refus de participer aux voyages d’affaires, blocage du transfert de la force de travail entre différents lieux de travail au sein d’une même entreprise, refus de livrer des marchandises à certaines entreprises, blocage de l’embauche de nouveaux et nouvelles employé.e.s (nyanställningsblockad), etc.

Le blocage de l’embauche de nouvelles personnes est un appel à la solidarité des demandeur.e.s d’emploi : ceux et celles-ci sont invité.e.s à ne pas accepter d’emploi sur le lieu de travail tant que le conflit n’est pas résolu. La loi suédoise stipule que les demandeur.e.s d’emploi ont alors droit à la neutralité, ce qui signifie que le service public de l’emploi ne doit pas diriger les demandeur.e.s d’emploi vers ce lieu de travail.

Une autre méthode, appelée « bonne grève » ou « bon blocage », a vu le jour dans l’industrie du service à la clientèle. Elle consiste à offrir à aux consommateurs et aux consommatrices un service moins cher ou de meilleure qualité aux frais de l’employeur. Cela peut se faire, par exemple, en faisant en sorte que les employé.e.s n’effectuent que les tâches qui touchent directement les client.e.s et ignorent les autres tâches.

La lutte par le biais des syndicats touche les moyens de production. Elle peut être combinée à des actions de la part des consommateur.e.s, si les personnes qui détiennent les moyens de production appellent à de telles actions. Le boycottage est une méthode bien connue, mais son contraire l’est moins. Les syndicats peuvent offrir une certification aux employeur.e.s qui respectent certaines exigences et recommander au public d’acheter chez eux : c’est ce qu’on pourrait appeler une « étiquette syndicale ».

4) La pression légale

La pression légale, quant à elle, se révèle pertinente lorsque les employeur.e.s enfreignent les lois et les ententes. Selon le droit du travail suédois, les recours légaux s’exercent essentiellement par les particuliers et c’est au syndicat d’entamer un processus de négociation collective en vertu de la loi sur la codétermination (Medbestämmandelagen). Cependant, il est préférable que le personnel garde les affaires sous contrôle  sur le lieu de travail et combine la pression légale avec d’autres types de pression.

Raviver le mouvement ouvrier

Une grève est le fruit d’un long processus. Au fil de celui-ci, il est possible que les travailleur.e.s découvrent que d’autres actions fonctionnent mieux que la grève sur leur lieu de travail. En fin de compte, ce sont les résultats qui comptent : l’’objectif est de créer une société meilleure et un monde professionnel plus éthique.

Au sein du SAC, les responsables syndicaux ont le devoir d’aider les sections locales qui décident de faire grève, même s’ils et elles sont sceptiques à l’égard de la grève. Les sections locales sont aussi bien avisées de réfléchir soigneusement aux chances de gagner une grève avant d’en entreprendre une

L’organisation du travail n’est pas toujours  un long fleuve tranquille, mais l’humour renforce généralement l’esprit de combat. Dans ses mémoires, le syndicaliste suédois John Andersson raconte l’histoire d’un conflit salarial dans le port de Göteborg en 1912.

En réponse aux  débardeurs qui avaient procédé à des ralentissements, des contremaîtres.se.s avaient été envoyé.e.s dans les cales pour compenser les pertes. Les travailleur.e.s avaient alors répondu en travaillant encore plus lentement et en chantant l’hymne chrétien Mörkrets furste stiger ned (« le diable descend »). Puis, quand les contremaîtres.se.s épuisé.e.s  ont commencé à monter l’échelle pour sortir, les travailleur.e.s ont entonné Din klara sol går åter upp (« ton soleil glorieux s’élève à nouveau dans le ciel »).

Rasmus Hästbacka est avocat et membre de la section locale d’Umeå du SAC. Kristian Falk est historien économique et membre de la section d’Enköping-Heby du SAC. Une autre version de cet article a été publiée en suédois.

Texte originale de Rasmus Hästbacka et Kristian Falk pour Organizing Work
Traduction: Alex V. et Florence M. pour le SITT-IWW Montréal.

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Une histoire de la Formation d’Organisation du SITT-IWW

Marianne Garneau présente le développement du programme de formation unique de l’IWW et de son approche novatrice en organisation syndicale.

La formation syndicale de l’IWW est virtuellement unique en son genre. Elle consiste en deux ateliers intensifs de deux jours. Ces ateliers sont ouverts à tout·e membre ou travailleur·euse pour leur inculquer les compétences nécessaires à l’organisation de leur milieu de travail : la collecte d’informations, les contacts de leurs collèges, les rencontres un à un, la construction d’un comité d’organisation et le traitement collectif des problèmes. Le but du premier atelier, « Formation en organisation 101 : Construire le comité », est de s’assurer que n’importe quel.le participant·e — sans aucune expérience préalable en organisation — puisse entreprendre sa propre campagne d’organisation au travail et même organiser une modeste action directe avec ses collègues pour régler un grief ou obtenir une concession. Le deuxième atelier, la « Formation en organisation 102 : Le Comité en action », présente une approche systématique pour le traitement des griefs fondée sur l’action en milieu de travail, de même que les détails pratiques et les questions stratégiques concernant le maintien d’un comité d’atelier.

Son curriculum n’est pas pensé pour le personnel employé par les centrales, mais bien pour les travailleur·euses, dans le but de leur enseigner comment organiser leur milieu de travail sans l’intermédiaire d’un personnel syndical payé. L’objectif ultime de l’approche du SITT-IWW est de bâtir une structure dont les actions sont majoritairement menées par les travailleur·euses concerné·es, par l’entremise d’un comité représentatif du milieu de travail, où les décisions sont prises de manière horizontales et qui est capable d’organiser des actions directes sur le plancher pour régler des griefs et assurer de nouveaux gains. Cette approche est une alternative au système des délégué·es syndical·es et au processus standard de négociation, griefs et arbitrage, qui se déroule loin du plancher de travail et qui s’appuie sur des avocat·es et autres professionnel·les. La position de l’IWW est qu’outre le fait que ce processus est couteux et lent, son but est de limiter les actions en milieu de travail, surtout celles qui entraîne une perturbation de l’économie de l’entreprise ou de la société . Pour reprendre leur language: « Travaillez maintenant, déposez un grief plus tard. »

C’est pour toutes ces raisons que la formation de l’IWW est exceptionnellement démocratique comparée aux autres formations syndicales. Elle est aussi démocratique dans sa structure, puisque son objectif est de former les futures formateur·trices. Tout·e membre peut assister aux formations et postuler ensuite pour suivre un cours de certification et devenir formateur·trice. Le programme est supervisé par un comité élu de cinq formateur·trices et est remarquablement stable et capable d’assurer sa pérénité, compte tenu du fait qu’il est entièrement géré par des bénévoles et que son budget est limité (les formateur·trices sont remboursé·es pour le coût de déplacement et reçoivent un petit per diem). Sa capacité augmente systématiquement — en nombre de formateur·trices et en fréquence des formations données — depuis ses débuts, il y a presque 20 ans, ce sont des milliers de personnes qui ont été formées. Cette accessiblité et cette horizontalité sont parmis les aspects les plus populaires et appréciés de l’IWW, de même que la pierre angulaire des campagnes d’organisation les plus efficaces du syndicat.

La conception de la formation d’organisation de l’IWW est une histoire intéressante, parce qu’elle suit l’établissement d’une approche unique au syndicat dans les dernières décennies. Pendant longtemps, suite à la perte des locaux de machinerie lourde de Cleveland dans les années 1950, le syndicat battait de l’aile avec une présence quasi inexistante en milieux de travail et avec des membres bénévoles activistes (n’importe qui sauf un· patron·e peut prendre sa « carte rouge ») qu’on ne comptait que par centaines. Chaque fois que l’IWW tentait de se réinvestir comme organisation ouvrière, son approche était empruntée à celle des syndicats traditionnels et les résultats en étaient majoritairement décevants. Ce qui a motivé le programme de formation était un autre forme de « retour aux choses sérieuses » à la fin des années 1990 et au début des années 2000, alors que l’IWW recommençait à organiser des campagnes. Le programme était une tentative de fournir de meilleures pratiques aux campagnes autonomes, alors marquées par des cycles d’expansion et d’affaiblissement.

Dans un premier, l’IWW a à nouveau emprunté du matériel éducatif et du savoir technique aux syndicats traditionnels grâce aux membres en « dual-carding » qui travaillaient en tant qu’organisateur·trices ou délégué·es chez d’autres syndicats, et grâce aux membres qui avaient été formé·es par d’autres syndicats, comme par l’« Organizing Institute » de l’AFL-CIO. À travers un ensemble de techniques et de stratégies éparpillées, additionnées d’une critique politique de la loi du travail, le syndicat a vu naître son système du comité d’atelier en développant une approche qualitativement différente pour l’organisation du pouvoir ouvrier.

 L’approche « luttez pour des gains, pas pour de la reconnaissance » situe l’IWW dans les marges du monde syndical, comme il l’a toujours été, mais c’est ainsi qu’il a finalement retrouvé ses racines révolutionnaires en rejetant les conventions collectives et la coopération avec le patronat. « L’IWW ne reconnaît aucun droit aux boss », a dit Big Bill Haywood à la Commission on Industrial Relations du Congrès américain en 1915. « Nous disons qu’aucun syndicat n’a le droit de signer un accord avec le patronat… parce que c’est la mission inhérente à la classe ouvrière de renverser le capitalisme et de prendre le pouvoir à sa place. » À travers sa longue période de dormance — alors que se normalisaient les conventions collectives contenant des clauses interdisant le droit de grève et des clauses sur les droits patronaux — l’IWW a maintenu que la loi du travail n’était pas un cadeau à la classe ouvrière. Toutefois, c’était une position quelque peu abstraite, puisque le syndicat n’avait pas d’alternative distincte en terme d’organisation et peu de locaux actifs.

Même si dans les dernières décennies, d’autres syndicats sont devenus plus cyniques par rapport au National Labor Relations Board et aux cours de justice, l’IWW est resté unique en son genre avec un modèle de négociation en milieu de travail séparé des votes d’accréditation, des certifications et des conventions et qui ne se fonde pas non plus sur de l’activisme financé ou sur des coalitions électoralistes, mais qui s’appuie plutôt sur le pouvoir ouvrier en milieu de travail.

Ce qui suit est l’histoire de la conception par l’IWW de sa propre formation d’organisation et de son approche syndicale en général telle qu’elle a évolué pendant presque cinq décennies. Je débute avec des manuels d’organisation distribués aux membres dans les années 1970 et je conclus avec les derniers développements du programme en cours. Cette recherche est fondée sur une revue de chaque manuel de formation que le syndicat a publié depuis les années 1970, sur du matériel d’archive tel que le journal Industrial Worker et le Bulletin d’organisation général, ainsi que sur une douzaine d’entrevues détaillées avec des membres, ancien·nes et actuel·les.

Préhistoire du programme d’aujourd’hui : Pamphlets d’organisation et manuels des années 1970 à 1990.

« A Worker’s Guide to Direct Action » (1974)

Avant le développement d’une formation en personne dirigée par le Comité de formation des organisateurs et organisatrices, les membres avaient accès à plusieurs pamphlets et manuels d’organisation, publiés par des membres et disponibles au quartier général ou dans les branches locales.

L’un d’eux était le « A Worker’s Guide to Direct Action », un pamphlet de 15 pages qui décrivait brièvement des tactiques comme les ralentissements, la grève du zèle, les grèves sur le tas, les grèves de congés de maladie et la dénonciation. Ce pamphlet était en fait une réédition abrégée d’un pamphlet publié par Solidarity au Royaume-Uni en 1971. La version de l’IWW présentait ces tactiques comme une alternative à deux choses : la procédure « lente et maladroite » des griefs, où « une dispute passe par une série de rencontres et finit par être tranchée par une arbitre, habituellement un·e avocat·e ou une professeur·e » et les « longues grèves », qui « coûtent trop cher et sont trop épuisantes pour être utilisées souvent ». De plus, le pamphlet note que « l’exécutif de l’AFL-CIO-CLC… accumule de gros fonds de grève. »

Le pamphlet a été réédité et très modestement mis à jour au cours des ans, par exemple par la branche de Lehigh Valley dans les années 1990, qui a réécrit l’introduction pour décrire les origines historiques du cadre des lois du travail, qui aurait pour but de contenir la guerre des classes, et pour définir l’action directe comme de la « guérilla ». Le pamphlet a aussi été republié par la branche d’Edmonton dans les années 2000 sous le titre « Comment virer son patron ».

Bien que le recours aux actions sur le plancher s’accorde avec l’approche historique de l’IWW, ces écrits sont adressés à des travailleur·euses individuel·les et ne contiennent pas de conseils pour l’agitation ou le développement de ses collègues, ni pour la construction d’une campane et encore moins pour la résistance aux représailles qui suivent l’action directe. Le pamphlet note que pour utiliser ses tactiques, il faut avoir « de l’organisation au travail », du moins dans le sens d’un « accord général que les conditions de travail doivent changer », mais les exemples colorés cités hors contexte sont quelque peu ambitieux, peut-être même irresponsables.

Manuel d’organisation (1978)

Une autre série de pamphlets — cette fois écrits par des membres de l’IWW — a été publiée dans les années 1970. On y trouve un manuel d’organisation et un manuel de négociation. « Le problème de la croissance — comment rejoindre les gens et s’organiser — a dominé la convention [de 1971] », selon les mémoires d’Ottilie Markholt, une activiste syndicale de longue date du Nord-Ouest Pacifique, mais à l’époque une nouvelle Wobbly. Une « femme aux airs trompeurs de grand-mère qui était en fait une syndicaliste intransigeante », selon un hommage posthume publié dans le Industrial Worker trente ans plus tard. Selon Markholt, à la lumière de cette nouvelle priorité, « un groupe de délégué·es s’est rencontré informellement pour planifier la rédaction d’un manuel d’organisation pour l’IWW… La convention a approuvé notre plan et m’a nommée coordinatrice. » Le groupe a « réfléchi au problème des membres-organisateur·trices avec un cercle toujours grandissant de correspondant·es », y compris Fred Thompson, figure emblématique de l’IWW. Le groupe a produit un manuel de 23 pages qui sera vendu par le quartier général.

 D’un point de vue pratique, le manuel reprend les bons conseils habituels de l’époque en matière d’organisation : il conseille d’obtenir une liste de travailleur·euses — sans toutefois fournir beaucoup de conseils techniques — et d’effectuer des visites à domicile. Il souligne l’importance du contact direct, mais discute également d’organiser de grandes réunions pour parler du syndicat aux travailleur·euses (le recours aux réunions de masse pour le développement de contacts a été abandonné dans le programme de formation actuel : ces réunions sont trop perméables aux fuites et se limitent souvent à ce que dans le milieu on appelle le plus petit dénominateur commun). Le manuel conseille sobrement de créer un comité représentatif de l’ensemble du lieu de travail — donc de « chaque département et/ou quart de travail » et de « chaque groupe ethnique et racial… équilibré en termes d’âge et de sexe selon les proportions du lieu de travail ». Il insiste sur le fait que le syndicat « doit être un mouvement majoritaire ou il ne sera rien » et sur l’importance d’élaborer des « règles de travail démocratiques ».

Le manuel reproduit les approches syndicales traditionnelles, incluant la campagne pour remporter un vote d’accréditation. La plupart de ses conseils sont axés sur l’usage de moyens alternatifs comme le piquetage ou la grève pour remporter un vote d’accréditation ou une reconnaissance légale (les formateur·trices d’aujourd’hui rétorqueraient que d’obtenir la reconnaissance légale par ces autres moyens n’en ouvre pas moins la porte à des relations de travail formalisées). La section consacrée à l’action antisyndicale se concentre sur les tactiques légales de blocage de l’accréditation utilisées par le patronat. Un modèle de carte d’adhésion est inclus.

Il est fascinant de constater cette focalisation sur l’accréditation malgré la présence de l’avertissement suivant :

Contrairement au mythe officiel du syndicalisme libéral, le droit de s’organiser et de négocier collectivement n’a pas été codifié… par amour pour la classe ouvrière. Cette législation a plutôt été adoptée pour contenir la rébellion croissante du syndicalisme… Par conséquent, bien que vous puissiez rencontrer des enquêteur·trices et des avocat·es sympathiques dans les bureaux régionaux du NLRB, vous êtes essentiellement sous la direction d’un appareil judiciaire hostile.

En fait, une longue section au début du manuel déplore la récente capitulation de l’IWW au cadre des relations de travail. Il maintient que ce faisant, le syndicat a perdu de vue son intuition fondamentale : le pouvoir des travailleur·euses est fondé sur l’action des travailleur·euses et non sur l’intervention du gouvernement:

Au cours de récentes campagnes, nous avons ignoré la différence fondamentale entre l’IWW et tous les autres syndicats : la reconnaissance de la lutte des classes et le fait que la seule façon d’y mettre fin est d’abolir le système du salariat. On s’est présenté comme un syndicat de négociation avec des cotisations bon marché et des officier·ères peu ou pas rémunéré·es. Nous avons attribué les échecs des autres syndicats aux responsables bureaucratiques et/ou corrompu·es.

Les auteurs et autrices indiquent clairement que les autres syndicats ne sont pas corrompus en raison des lacunes morales de leurs officier·ères, mais bien parce que ces syndicats sont prisonniers d’un cadre gouvernemental qui lie les mains des travailleur·euses :

Les syndicats conventionnels sont fondés sur la prémisse que le travail et le capital sont partenaires, avec le gouvernement comme arbitre, dans un système de collaboration de classe qui profitera aux deux parties… En reconnaissant le droit du gouvernement d’arbitrer le partenariat, ces syndicats renoncent à leur seule véritable source de force, le pouvoir économique…

Les fonctionnaires locaux·ales reflètent ces contradictions. Elles peuvent être des personnes très honnêtes et sincères, mais elles sont immobilisées par ces contradictions. Même si elles comprennent elles-mêmes la lutte des classes et voudraient vraiment voir leurs sections locales négocier sur cette base, elles ne peuvent tout simplement pas accomplir grand-chose face au poids du reste du syndicat.

Encore une fois, les auteurs et autrices soulignent l’absurdité de penser que l’IWW peut participer au système des relations de travail sans tomber dans les mêmes pièges que les autres syndicats. Leur manuel souligne le fait que la participation à ce cadre juridique revient à abandonner l’idée fondatrice de l’IWW :

Nous avons essayé de couper l’IWW en deux et de séparer le préambule [qui affirme que la classe ouvrière et la classe patronale n’ont rien en commun et que le système salarial doit être aboli – MG] et le syndicat en tant que véhicule pour obtenir des revendications immédiates. En fait, nos campagnes disent maintenant : « Oubliez ces idées visionnaires. Nous y croyons, mais nous ne nous attendons pas à ce que vous, des travailleur·euses ordinaires y croient. Considérez-nous simplement comme un syndicat pur et simple pour l’instant. » Nous avons essayé de nous vendre comme un syndicat qui est bon, jeune, pauvre et propre, en opposé à un syndicat qui est mauvais, vieux, riche et corrompu. Ces campagnes ont été uniformément vouées à l’échec.

En d’autres mots, l’action ouvrière directement sur le point de production est essentielle à la construction du pouvoir de la classe ouvrière et à l’obtention de ses revendications, et c’est exactement ce que le système du NLRB s’est efforcé de faire disparaître. En adoptant ce système, l’IWW ne peut faire mieux.

Ce manuel d’organisation nous met face à la contradiction d’une analyse lucide qui reconnaît ces contraintes, mais qui se résout à conseiller aux membres de l’IWW de poursuivre les mêmes stratégies légalistes que les autres syndicats. Alors que l’IWW s’était fixé comme objectif de s’arracher à l’insignifiance historique et d’organiser à nouveau des milieux de travail, le syndicat ne disposait pas encore d’un modèle pour y parvenir. Dans ce premier manuel, la stratégie ne s’agençait pas au but — la pratique était dissociée de la théorie. Il n’y avait aucun moyen d’institutionnaliser l’idée d’une organisation dirigée par les travailleur·euses ou fondée sur la lutte des classes. L’IWW ne disposait pas encore de son propre programme d’organisation.

Manuel de négociation collective (1978)

Le manuel d’organisation a été publié en même temps qu’un manuel de 33 pages sur la négociation collective, également dirigé par Markholt et vraisemblablement aussi rédigé en grande partie par elle.

On y trouve également une réflexion sur le pouvoir des travailleur·euses dans son introduction. On y présente la négociation comme étant fondamentalement une lutte pour le contrôle du milieu de travail et de ses conditions. Malgré cela, les conseils qui suivent sont des documents assez orthodoxes et techniques portant sur la définition de l’unité d’accréditation et sur les trois catégories de clauses de sécurité, de conditions de travail et de rémunération. On reconnaît que la constitution de l’IWW interdit le prélèvement à la source des cotisations, car « l’efficacité accrue ne compense pas la perte de contact personnel entre les membres et le syndicat ».

Dans l’ensemble, le manuel de négociation est quelque peu irréaliste, déconnecté de ce qui serait nécessaire pour appliquer ses conseils : le pouvoir ouvrier. Par exemple, une note explique que « la réduction des heures de travail sans réduction de salaire devrait être un objectif à long terme pour tou·tes les syndicalistes » et suggère que « pour commencer, il faut essayer de passer à une semaine de 30 heures avec 5 jours de 6 heures » — sans vraiment élaborer de stratégie qui vous permettrait de développer un pouvoir de négociation suffisant pour faire de votre compagnie une exception dans son secteur, voire dans l’économie.

Mises à jour de ces manuels

Ces deux manuels ont été mis à jour au fil des ans, mais pas vraiment en fonction des succès ou des échecs des campagnes du syndicat. Le manuel de négociation a été mis à jour en 1983 par Paul Poulos et Rochelle Semel, deux membres de longue date du nord de l’État de New York, qui souhaitaient également que l’IWW reprenne « du sérieux » et se mette à organiser des milieux de travail et à négocier des contrats. À cette époque, le syndicat était surtout composé de militant·es radical·es — des anarchistes et des communistes orienté·es vers le syndicalisme, des officier·ères syndical·es souscrivant à la lutte des classes, des ancien·nes qui se souvenaient de l’âge d’or de l’IWW, des partisan·es têtu·es et des sympathisante·s. Le nombre total des membres du syndicat était de quelques centaines, tout au plus.

Poulos et Semel ont supprimé l’introduction de Markholt sur la lutte de pouvoir entre les travailleur·euses et le patronat. D’autres sections techniques ont été rajoutées (par exemple sur les périodes de probation) avec des modèles pour la formulation de chaque section d’une convention.

Toutefois, il n’est pas certain que le manuel de négociation ou le manuel d’organisation ait été utilisés. L’IWW est parvenu à remporter quelques accréditations et à négocier quelques conventions dans les années 1980 : University Cellar Bookstore, le People’s Wherehouse (un entrepôt d’épicerie) et le restaurant Leopold Bloom’s à Ann Arbor ; Eastown Printing à Grand Rapids ; SANE et Oregon Fair Share à Portland ; et des usines de recyclage dans la région de San Francisco. À l’exception du People’s Wherehouse (qui a duré dix ans) et des usines de recyclage (qui ont encore des conventions IWW à ce jour), la plupart de ces campagnes ont été de courte durée, se terminant souvent à la fermeture de l’entreprise. De nombreuses autres tentatives d’accréditation, souvent accompagnées d’une grève, ont tout simplement échoué.

En 1988 et en 1994 ou 1996 (les archives sont imprécises), le manuel d’organisation est mis à jour, intégrant des commentaires de l’ensemble du syndicat. Cette plus récente version s’est éloignée du modèle de l’organisation d’une majorité pour déposer une requête d’accréditation, notant que « beaucoup de choses peuvent encore être accomplies par un petit groupe sur le plancher qui s’efforce de mobiliser ses collègues autour de griefs particuliers et de coordonner des campagnes d’action directe… » Alors que la version antérieure reconnaissait les diverses tactiques légales à la disposition du patronat pour subvertir ou faire échouer un vote d’accréditation syndicale, les mises à jour ont adopté une ligne plus dure, notant que

même lorsque vous « gagnez » grâce aux lois du travail, vous finissez par perdre — des heures interminables sont passées à poursuivre l’affaire, l’élan est perdu et le pouvoir passe du lieu de travail aux tribunaux patronaux. Même s’il est utile de connaître la loi afin de prendre des décisions éclairées sur toutes les options possibles, le milieu de travail reste votre véritable source de force.

Il reconnaît que le processus de plainte pour pratiques déloyales prend parfois « cinq ou sept ans avant d’aboutir à une “victoire” complète. À ce moment-là, le syndicat a presque certainement été démantelé et la plupart de ses militant.es ont trouvé un autre emploi. » Il s’agit très probablement d’une réflexion sur l’expérience de l’IWW chez Mid-America à Virden, dans l’Illinois. En 1977, l’IWW y a recruté six des sept travailleur·euses et a demandé la tenue d’un vote d’accréditation:

la longue marche à travers les cours de justice voit les membres du syndicat diminuer en nombres, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un en juin 1978… Deux ans plus tard, à l’automne 1980, toutes les procédures d’appels ayant été épuisées, Mid-America a finalement accepté de reconnaître le syndicat et d’entamer des négociations. À ce moment-là, bien sûr, le syndicat n’était plus présent sur le milieu de travail… Le Comité d’organisation industrielle… [a envoyé] des lettres aux employée·s actuel·les de Mid-America pour les informer de la campagne et leur proposer que l’IWW négocie en leur nom. Il n’y a pas eu de réponse et la campagne de Virden a été consignée à l’histoire.

Cette expérience s’est répétée presque exactement de la même manière des décennies plus tard, lorsqu’en 2013, l’IWW a remporté un vote d’accréditation chez Mobile Rail Systems à Chicago, pour ensuite perdre toute présence sur le milieu de travail (relativement petit) pendant la négociation de la convention collective. Le syndicat a finalement accepté d’abandonné la campagne en 2020.

Cependant, même si cette version du manuel d’organisation était plus critique à l’égard du légalisme dans les relations de travail, et même si elle reconnaissait « la possibilité — et même la légalité — de se battre pour des griefs spécifiques, ou même de demander la reconnaissance du syndicat, sans passer par le NLRB », la plupart de ses conseils étaient orientés vers une accréditation formelle en prévision de la négociation d’un contrat.

La mise en place du programme de formation actuel

Il convient de noter à nouveau que ces manuels ne semblent pas avoir été beaucoup utilisés. En1996, l’année où le manuel d’organisation a apparemment été mis à jour pour la dernière fois, il y a eu plusieurs campagnes de l’IWW très médiatisées. Pourtant, les membres de ces campagnes interrogé·es par l’autrice n’ont pas déclaré l’avoir utilisé, bien que certain·es en aient eu connaissance. Les Wobblies se sont débrouillées à tâtons pour mener à bien leurs campagnes enivrantes, guidées par les conseils de membres sporadiquement présent·es, avec un succès mitigé.

Toujours en 1996, l’IWW a perdu de justesse un vote légal d’accréditation chez Borders Books à Philadelphie. Une organisatrice au centre de la campagne a été licenciée et une campagne nationale très médiatisée a été lancée pour protester contre ce licenciement et boycotter la chaîne, avec une forte participation de plus d’une douzaine de branches de l’IWW. Dans la foulée, une série de nouvelles campagnes a vu le jour – au dépanneur MiniMart à Seattle, au Applebee’s de La Nouvelle-Orléans, chez Wherehouse Entertainment dans la région de San Francisco, à Snyder’s Pretzels en Pennsylvanie, à la librairie Sin Fronteras à Olympia et dans plusieurs entreprises de Portland.

Alexis Buss, une membre de Philadelphie qui est devenue plus tard secrétaire-trésorière générale, a déclaré : « Après Borders, nous ne recevions que des miettes, et les gens n’avaient pas d’autre moyen de s’impliquer. La nature d’un syndicat était toujours évaluée à la lumière de la question : “Combien de contrats avez-vous ?” »

Elle était souvent envoyée personnellement pour prêter assistance à ces campagnes. John B, qui a ensuite fait partie du Comité de formation des organisateurs et organisatrices, a décrit la situation ainsi :

Nous avons eu plusieurs campagnes nationales, très publiques, très visibles, qui ont totalement implosé… c’était essentiellement des situations où les milieux de travail étaient déjà sous haute pression, puis trois gars se mettaient debout sur une table en criant : “Travailleurs du monde, unissez-vous !” avant d’être tous congédiés sur le champs. Alexis s’est penchée sur ces campagnes et a mis au point une journée de formation consacrée aux meilleures pratiques en organisation.

Selon Buss : « Nous avons essayé de prendre le temps d’apprendre et de nous améliorer après chaque échec. » Elle a commencé à organiser des ateliers d’une journée pour les campagnes et les branches :

Disons que vous avez un [nom censuré] de Applebee’s qui contacte votre branche, que faites-vous ? Vous ne leur donnez pas des cartes d’adhésion ou des pamphlets sur la méchanceté de leur patron en leur disant : « Bonne chance, gamin. » Donc, on voulait vraiment essayer de construire un comité sur le milieu de travail… On a essayé d’expliciter les défauts des organisateur·trices externes qui faisait le travail d’organisation, les dangers de ne pas avoir de comité, les risques d’ignorer les leaders sociaux au travail…

Peu après, un groupe de quatre membres de l’IWW s’est mis à rassembler sérieusement des documents provenant des syndicats traditionnels. Il s’agissait de Buss, de John Hollingsworth (délégué syndical à Ottawa de la section 225 de l’OPEIU à l’époque et chercheur engagé par l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université), de Josh Freeze (membre de l’Amalgamated Transit Union et plus tard délégué syndical de l’Association of Flight Attendants) et de Chuck Hendricks (de Baltimore et plus tard du Connecticut, devenu un organisateur de UNITE HERE). Hendricks se souvient que le groupe a « commencé à rassembler du matériel de formation de l’AFL-CIO, de UNITE HERE et d’autres syndicats pour créer un manuel d’organisation » et des « formations sur le modèle d’une classe d’école ».

Hendricks faisait partie d’un certain nombre de Wobblies qui avait participé au « Organizing Institute » de l’AFL-CIO. Cet atelier de trois jours permettait d’acquérir les compétences nécessaires pour effectuer une « visite à domicile », notamment avec l’utilisation de jeux de rôles, à l’issue desquels les participant·es ayant réussi étaient recrutées par les syndicats. Ce modèle de classe avec jeux de rôles est devenu la structure de base de la formation en organisation 101.

Ainsi, l’IWW a trouvé le cœur original de son programme de formation chez les autres syndicats : rassembler des contacts, cartographier socialement et physiquement le milieu de travail, identifier les leaders, avoir des conversations individuelles avec ses collègues en suivant le scénario AEIOU (Agiter, Éduquer, Innoculer, Organiser et ”Unioniser”). On y a ajouté une analyse de la différence entre l’IWW et les autres syndicats (pas de personnel rémunéré, pas d’affiliation à un parti politique, pas de prélèvement des cotisations), ainsi qu’une critique du droit du travail et une « chronologie d’une plainte pour pratiques déloyales » rédigée par Buss, destinée à prévenir les participant·es de la lenteur et de l’inefficacité des processus juridiques.

La première formation d’organisation 101 a eu lieu à Portland en août 2002. Selon le rapport du Comité de formation des organisateurs et organisatrices à la convention annuelle :

Quarante membres sont venu·es de tout l’ouest des États-Unis pour un week-end de discussions formelles, de présentations et de jeux de rôle. Nous avons abordé des sujets allant du développement de contacts, de militantes et de leaders à la cartographie du milieu de travail ; d’inciter les collèges à assumer plus de responsabilités et de tâches aux négociations ; des défis des milieux de travail à fort roulement au droit du travail américain… Sans aucun doute, le commentaire le plus fréquent que nous avons reçu dans les évaluations était qu’il devrait y avoir plus de jeux de rôle. Les formateur·trices sont d’accord et pour la plupart des formations à venir, leur place sera considérablement élargie.

Dans les années qui ont suivi, d’autres membres de l’IWW provenant souvent d’un syndicalisme plus classique ont élaboré d’autres modules : deux organisateur·trices de Minneapolis qui avaient toutes deux de l’expérience avec l’AFSCME ont conçu une réunion avec un public captif et un exercice « One Big Organizer » dans lequel les participant.es posent à tour de rôle des questions à un·e membre potentiel·le du syndicat, pour l’agiter et l’éduquer. Dans l’ensemble, l’évolution de la formation d’organisation de l’IWW l’a fait passer d’un format magistral à un modèle d’éducation populaire.

Ainsi, de 1996 à 2003 environ, le programme de formation s’est consolidé, passant d’ateliers informels organisés par Buss à un programme officiel géré par le Comité de formation des organisateurs et organisatrices. Ce comité a rédigé et tenu à jour un manuel de formation, a coordonné les formations et a accrédité les nouvel·les formateur·trices. Lorsque la structure du comité a été effectivement mise en place, elle est devenue une ressource stable qui ne dépendait plus des talents de Buss, qui était depuis passée à d’autres projets.

Cependant, puisqu’il avait fortement emprunté aux syndicats traditionnels, ce programme de formation d’organisation portait encore à ses débuts les marques des approches traditionnelles. MK Lees, qui allait devenir formateur et siéger au Comité de formation des organisateurs et organisatrices, se souvient avoir suivi une première formation d’organisation 101 à Chicago en 2002, alors qu’il organisait des coursier·ères à vélo avec le Chicago Couriers Union de l’IWW. « La formation progressait encore vers le syndicalisme de solidarité… Elle était très critique à l’égard de l’organisation dans le cadre du NLRB, mais elle avait toujours un pied dans les deux mondes. Elle prévoyait qu’elle pouvait être utilisée pour l’organisation via le NLRB ou non » — comme pour les coursier·ères à vélo, classé·es comme travailleurs.euses indépendant·es et non comme employé·es — « mais de nombreux exemples étaient tirés de campagnes d’accréditation légale. » Même si elle ne formait pas et n’encourageait pas les participant·es à déposer une requête d’accréditation, la trame narrative de la formation de deux jours culminait avec une sortie publique du syndicat, comme le font les campagnes d’accréditation. L’atelier présentait également les « étapes d’une campagne » avec comme point culminant une « stratégie de reconnaissance » suivie d’une « négociation » — l’IWW présentait essentiellement une approche traditionnelle qui contournait le NLRB.

En d’autres termes, le syndicat était encore en train de forger sa propre approche à la syndicalisation.

Applications en campagne et révisions du programme

À partir de 2003, le programme de formation en organisation commence à évoluer à la lumière des expériences des campagnes de l’IWW.

Même si la formation d’organisation 101 n’a jamais conseillé de déposer une demande d’accréditation et qu’elle mettait plutôt en garde les participant·es contre le droit du travail, cette leçon s’est concrétisée avec les campagnes axées sur l’accréditation à Portland à la fin des années 1990 et au début des années 2000. En 2003, Portland a publié un document intitulé « Apprendre de nos erreurs », un retour sur quatre campagnes différentes : une entreprise de messagerie à vélo, deux épiceries distinctes et un organisme communautaire à but non lucratif. Les conclusions sont sans équivoque : « Le NLRB a ralenti l’organisation » ; « La bureaucratie du NLRB a ralenti le processus, a freiné notre élan et a pris énormément de temps à plusieurs personnes » ; « Nous n’avons pas envisagé la campagne sans l’accréditation au NLRB » ; « Nous n’avons pas reconnu que le syndicalisme direct fonctionnait bien sans l’accréditation au NLRB » ; « L’organisation s’est concentrée sur le vote d’accréditation plutôt que sur les problèmes des travailleur·euses et la lutte pour des gains concrets » ; « Choses à éviter à l’avenir : avoir un vote avec le NLRB » ; « Utiliser le NLRB  ; « Chercher la reconnaissance officielle du syndicat » ; « Viser à obtenir une convention collective officielle » ; « Abandonner la construction démocratique au sein des comités d’organisation pour se concentrer sur l’immédiateté d’un vote d’accréditation ». Pour une campagne où l’accréditation a été remportée : « Les vrais problèmes n’ont pas été abordés au cours de la négociation » ; « Le syndicat était plus une idée qu’une réalité ». « Choses à faire différemment la prochaine fois : plus de tactiques de syndicalisme d’action directe ». « Expérimenter avec des tactiques de syndicalisme plus minoritaires/directes ».

Néanmoins, le Starbucks Workers Union, lancé à New York en 2004, et le Jimmy John’s Workers Union, lancé à Minneapolis en 2010, ont initialement cherché à obtenir une reconnaissance officielle en déposant des requêtes d’accréditation auprès du NLRB. Le premier a abandonné cette campagne lorsqu’un jugement a déclaré que l’unité d’accréditation devait inclure tous les magasins de Manhattan. Le second a perdu de justesse un vote d’accréditation, et même si ce résultat a plus tard été annulé par le NLRB, le syndicat n’a plus jamais déposé de requête par la suite.

Cependant, au fur et à mesure que ces campagnes progressaient de magasin en magasin et de ville en ville, elles ont augmenté leur capacité à se servir de tactiques d’action directe au travail pour obtenir des gains, notamment des tapis de sol, des pots à pourboire, des contrôles de température, des changements d’horaires, des pauses toilettes, des augmentations, des congés payés, la fin de l’intimidation patronale et le renversement de certains licenciements.

Puisque les campagnes avaient plus de succès avec l’action directe qu’avec les approches juridiques, le programme de formation s’est développé davantage dans cette direction. Des ateliers, parfois donnés en supplément de la formation 10, sont devenus en août 2010 une formation 102 à part entière : « Le comité en action ». Nick Driedger, ancien membre du Comité de formation des organisateurs et organisatrices et vétéran « dual-carder » de l’IWW à Postes Canada (voir ci-dessous), note que le programme a été créé suivant la concrétisation de plusieurs efforts en organisation de l’IWW :

Le 102 a été créé après l’établissement d’une douzaine de comités d’ateliers dans différents milieux de travail. Nous avons donc commencé à élaborer un système pour recueillir les problèmes, cibler le niveau de gestionnaire approprié et faire aboutir les revendications de manière concertée (la procédure de griefs par action directe). On a mis l’accent sur la création de comités capables de durer sur le long terme ; certains de nos comités ont existé pendant environ six ans.

La formation comportait deux volets. Le premier est la tactique March on the boss, où plusieurs employé·es confrontent un·e patron·ne à propos d’une politique particulière ou du traitement des employé·es. D’abord un exercice demandant des réponses écrites détaillées, cette formation s’est transformée en jeux de rôles avec attribution de rôles (vigie, porteur·euse de la demande, interrupteur, etc.) et où les formateur·trices prenaient le rôle patronal.

Une autre section du 102 était une section intitulée « Parties d’une action directe », divisant cette dernière en dix parties. Entre autres : « la demande », « les participant·es », « les témoins », « la cible », « la tactique », « les résultats ». Cette section soulignait l’importance de l’escalade de la pression. De plus, des remarques étaient faites sur la différence entre le « contractualisme sur le milieu de travail » et l’approche de l’IWW, désormais appelée « syndicalisme de solidarité ». La formation discutait des arbitres qui prennent des décisions sans conséquence pour leurs propres conditions de vie, des conventions qui rendent la plupart des grèves illégales et qui repoussent le traitement de plusieurs problèmes jusqu’au prochain cycle de négociation, de ces conventions qui « font perdre du pouvoir aux travailleur·euses pendant la durée du contrat, généralement par le biais de clauses interdisant le droit de grève et faisant la promotion des droits de la direction, et par la reconnaissance de la légitimité patronale en esprit, en pratique et dans la loi ». La formation a opposé à ce modèle celui du « comité d’atelier ». Elle a également abordé l’intégration des nouvelles embauches, de l’efficacité du piquetage, de la gestion des représailles comme les licenciements et de la tenue de bonnes réunions.

Au fur et à mesure que les campagnes se multipliaient et que le programme de formation gagnait en popularité, les sections sur l’action directe ont été intégrées à la formation 101, qui était offerte beaucoup plus fréquemment que la 102. Pour sa part, le programme 102 est devenu une étude systématique du maintien des comités et d’un processus complet pour le traitement de griefs par action directe. La procédure de traitement de griefs a été élaborée après le succès de la campagne de « dual carding » à Postes Canada au début des années 2010. Les membres de l’IWW au sein du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes ont créé et dirigé un programme de formation intitulé « Reprendre le contrôle du plancher de travail ». Leur méthode était d’identifier les leaders sociaux sur le plancher et de leur faire suivre la formation, en utilisant l’infrastructure d’éducation du STTP. Encore Driedger :

Nous avons fait suivre ces formations à environ 160 personnes et nous les avons ensuite ajoutées à une liste de messages texte… pour assurer la coordination entre les comités d’atelier… Nous avons remporté de grandes victoires, notamment lorsque nous avons forcé Postes Canada à embaucher 200 personnes alors que la direction tentait de supprimer des postes grâce à des actions de style March on the boss auxquelles ont participé environ 2000 travailleur·euses [et] lorsque nous avons fait annuler une réduction de salaire de 30 % pour les facteurs et factrices rurales grâce à une grève sauvage de quatre jours. D’innombrables March on the boss, à coups de 8 à 120 travailleur·euses à la fois, ont permis de remporter des revendications allant de changements dans les mesures disciplinaires à l’application de l’ancienneté dans la sélection des routes de livraison, en passant par l’arrêt du temps supplémentaire obligatoire (auquel nous avons mis fin pour environ 1000 travailleur·euses pendant environ six ans, alors que c’était une pratique répandue partout dans les postes depuis des décennies auparavant).

Le processus de traitement de griefs de la formation 102 comprenait désormais une activité de tri et de hiérarchisation des griefs, ainsi qu’un exercice où il fallait dire aux travailleur·euses que leur propre grief ne peut pas être traité pour le moment. La formation a aussi abordé des questions de responsabilité démocratique liées aux campagnes dirigées horizontalement par les travailleur·euses.

Derniers développements

La dernière révision du programme 101 s’est étalé sur l’année 2018-2019. C’était encore le résultat de nouvelles expériences : des retours sur le succès de la campagne IWW au Ellen’s Stardust Diner et sur les défis rencontrés par d’autres campagnes IWW.

Chez Ellen’s, les travailleur·euses ont rendu public leur syndicat en août 2016. Les représailles de la direction se sont fait sentir par le nombre stupéfiant de 31 licenciements illégaux au cours des cinq mois suivants (16 en une seule journée). Le syndicat a fini par obtenir gain de cause en renversant les licenciements et en obtenant des arriérés de salaire dans le cadre d’un règlement supervisé par le NLRB. Toutefois, la campagne a survécu — et le règlement a été imposé — grâce à des efforts soutenus d’organisation, dont le recrutement et la formation d’autres travailleur·euses et la poursuite des campagnes d’action directe dans l’entreprise, en plus des piquets de grève et des campagnes de pression sur la question de la réintégration. Pendant ce temps, le syndicat a obtenu une série impressionnante de victoires, notamment une nouvelle scène, des mesures de sécurité, une salle pour l’allaitement, une augmentation du personnel, des réparations substantielles, des augmentations pour les cuisinier·ères, les plongeur·euses et les hôtes·ses, et la fin des répétitions non payées et du vol de pourboires, le tout sans reconnaissance ni négociation officielle. Tout cela a été rendu possible par une adhésion fidèle aux directives de la formation 101 existante et par la mise en place d’une structure formelle — l’adhésion au syndicat et le paiement des cotisations, des postes de dirigeant·es élu·es, des réunions et des motions, un budget. Cette structure est un contre-exemple aux campagnes hors NLRB qui ont tendance à être des affaires peu organisées gravitant autour de personnalités fortes.

À la lumière de cette expérience, la formation 101 a été révisée pour supprimer la « chronologie d’une campagne » originale qui culminait avec la « sortie publique ». MK Lees et cette autrice ont écrit deux articles pour tenter de résumer les leçons tirées de Stardust. Le premier s’intitule « Do Solidarity Unions Need to “Go Public” ? » (Est-ce que les Syndicats de Solidarité ont besoin de devenir public?) et soulignait que cette démarche n’était qu’un vestige d’une campagne d’accréditation au cours de laquelle la direction est officiellement informée de l’effort syndical et qui, d’après l’expérience de l’IWW, n’avait entraîné que des représailles et des pertes, alors que les luttes permanentes fondées sur les griefs ne subissaient pas ce genre de contrecoup décisif.

L’autre article, « Boom without Bust : Solidarity Unionism for the Long Term » (Exploser sans éclater: Le Syndicalisme de solidarité sur le long terme) , était une réflexion sur la façon dont l’IWW pouvait maintenir son modèle de syndicalisme de solidarité non contractuel dans le long terme, maintenant qu’il disposait de quelques modèles pour le faire. (Il faut reconnaître que les campagnes IWW chez Jimmy John’s et Starbucks ont elles-mêmes duré une dizaine d’années, mais elles n’étaient pas très structurées et avec le temps, elles se sont appuyées de plus en plus sur la publicité et les médias et de moins en moins sur la présence sur le plancher.) L’article a décrit les caractéristiques organisationnelles stabilisantes du syndicat de solidarité de Stardust. Le programme de formation, pour sa part, a remis l’accent sur le recrutement des travailleur·euses en tant que membres en règle à part entière, et sur l’adoption d’une approche systématique en général.

La section de la formation 101 sur le droit du travail, devenue alors un exposé incisif, quoique relativement long du contexte politique et historique de la loi Wagner et de Taft-Hartley, est désormais réduite à une inoculation contre les plaintes pour pratiques déloyales de travail et à une mise en garde général contre les procédures légales. Cette section de près de deux heures a toujours été très controversée : elle était soit la plus aimée, soit la plus détestée des participant·es dans leurs évaluations, mais les formateur·trices responsables de la révision de cette section ont réalisé que sa longueur contredisait effectivement son message, à savoir : mettre de côté le droit du travail et se concentrer sur l’action directe.

La formation 101 se termine maintenant par une note sur la « durabilité des comités » et les « prochaines étapes », donnant des conseils sur la façon dont les travailleur·euses peuvent « monter de niveau » dans leurs campagnes sans tirer sur la gâchette d’un vote d’accréditation ou d’une sortie publique pour récompenser leur organisation, qu’elle soit envisagée comme un moment triomphant ou bien comme un geste désespéré pour renverser une baisse d’énergie. On suggère plutôt : « d’augmenter le nombre de membres » et «de prendre en charge des demandes plus importantes ».

Conclusion

Le programme de formation de l’IWW correspond désormais à son rejet politique de la collaboration de classe et à son cynisme par rapport au droit du travail. Cependant, il n’a pas été élaboré de manière idéologique ou « a priori » ; au contraire, il a progressivement condensé environ 25 ans d’expérience dans des campagnes réelles.

Alors que son matériel original était emprunté aux syndicats traditionnels, il s’en distingue désormais dans les moindres détails. La version de l’AEIOU de l’IWW, par exemple, est axée sur l’action directe et non sur la signature d’une carte d’adhésion. Le programme vise à développer de larges compétences et une conscience de classe chez tou·tes les travailleur·euses. L’échelle d’évaluation indique si un·e travailleur·euse contribue activement à la campagne en participant à de rencontres individuelles, des actions directes ou des travaux administratifs, ou si son soutien à la campagne ne dépasse pas les paroles (à l’autre extrémité du spectre : les travailleur·euses passivement ou activement opposé·es à l’effort syndical).

Cette approche reflète également la structure même de l’IWW : des taux de cotisation très bas qui ne permettent généralement pas de financer du personnel rémunéré, des comités et des conseils d’administration composés de membres bénévol·es, et des campagnes dans des secteurs à bas salaires, à petits milieux et à fort taux de roulement, tel que le commerce de détail, la restauration rapide, les restaurants et les centres d’appel, où les membres du syndicat ont tendance à travailler et où les autres syndicats ne tentent généralement pas de certifier des unités d’accréditation pour des raisons évidentes de coût-bénéfice.

Cependant, toutes les campagnes de l’IWW ne souscrivent pas à l’approche du syndicalisme de solidarité (et cet article n’a abordé qu’une fraction des campagnes des cinq dernières décennies). Il existe toujours des campagnes d’accréditation et de convention au sein du syndicat, en plus d’autres modèles d’organisation, ce qui est rendu possible par le fait que l’IWW est très décentralisé. Les années 2010 ont vu une série de campagnes d’accréditation et de reconnaissance — 18 sur 20 ont été formellement couronnées de succès — qui se sont soldées par la fermeture de plusieurs de ces magasins ou par la disparition de la présence syndicale en quelques années. Le Burgerville Workers Union (BVWU) à Portland, qui a mené une campagne conventionnelle dès le début et qui entre actuellement dans sa troisième année de négociation, demande maintenant au reste du syndicat de l’autoriser à signer une clause interdisant le droit de grève, actuellement interdite par les statuts de l’IWW, et s’est déjà engagé dans un système d’arbitrage des griefs (où la partie perdante paie !). Cela reflète les contradictions, comme le disait le premier manuel d’organisation, d’essayer de construire un pouvoir ouvrier dans le cadre légal des relations de travail. En d’autres termes, les expériences des campagnes de l’IWW, même celles qui ne suivent pas le modèle défini dans la formation d’organisation actuelle, reflètent toujours les leçons et les avertissements distillés dans son programme, ne serait-ce que négativement. Mais le syndicat dans son ensemble, grâce à son modèle de syndicat de solidarité, a dépassé le stade de « syndicat de négociation » qui ne se différencie que par ses « cotisations bon marché et l’absence de dirigeantes rémunérées ». Enfin, le syndicat peut à nouveau mettre en pratique ses idéaux révolutionnaires.

Texte original par Marianne Garneau, présidente du Conseil du département de l’éducation du SITT-IWW et éditrice du blog de réflexion syndicale Organizing Work.

Traduction réalisé en janvier-février 2022 par Félix T. Membre de la section locale montréalaise du SITT-IWW.