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La valeur

Cet article n’est pas un de nos articles habituels. Il fait plutôt partie d’une nouvelle série d’articles provenant de notre syndicat des travailleurs et travailleuses autonomes, qui évaluera les différents enjeux vécus par ces travailleurs et travailleuses dont le domaine est, par nature, imprévisible. Et, d’une manière plus importante, elle évaluera ce que nous pouvons faire à propos de ces enjeux.

 

Est-ce que la critique de film a encore de la valeur? J’ai vu de plus en plus de grondements à cet effet ces derniers temps, mais comme pour toutes choses, cela aussi passera. C’est une passe transitoire; j’ai à peine la trentaine et le cinéma est mort et a été sauvé une douzaine de fois durant ma vie. Les critiques sont des penseurs et penseuses; ils et elles contextualisent l’art du monde. Mais je ne suis pas ici pour débattre du rôle de critique. Ce que je suis ici pour faire est de décomposer le travail qui va dans une critique de film assez standard. Parce que, naturellement, la critique est un travail.

Peu de choses sont aussi tenues pour acquises que l’écrit publié en ligne. Il y a eu une dévaluation constante de l’écriture à nature culturelle sur internet en tant que service payé, depuis plus d’une décennie maintenant. Les légendes de ce domaine ne peuvent maintenir un contrat. Les éditeurs et éditrices mènent un concours de médiocrité pour voir la quantité de contenu qu’ils et elles peuvent presser de leur écurie avec un financement presque inexistant. Tout ce que vous voyez en ligne a été écrit par quelqu’un-e et une choquante partie de ces écrits a été faite pour des peanuts.

Alors combien vaut une critique de film? Détaillons le tout.

Avant d’aller plus loin, précisons que ceci est à 100% une estimation. Les taux que je vais utiliser sont basés sur de solides intuitions et un peu de math de cinquième année. Là où j’essaie d’en venir ici est une figure approximative qui est plus grande que, bien, zéro.

Maintenant, avant même que vous preniez papier et crayon pour écrire cette vicieuse ligne ou cette notice scintillante, vous devez regarder ce maudit film. Il est donc évident que cela fasse partie du boulot, et donc vous devriez être payé-es pour cela. Considérez-le comme une formation; c’est la partie du boulot où vous apprenez ce à quoi vous avez à faire. Sans cela, vous ne pouvez pas faire le boulot. Les critiques devraient absolument être payé-es pour le temps qu’ils et elles passent à regarder le film. Maintenant, je sais que les critiques sont souvent invité-es aux diffusions,obtiennent des liens ou reçoivent d’une façon ou d’une autre une copie de film. Mais vous ne regardez pas le film pour le plaisir! Si nous allons exister dans un système capitaliste, et si quelqu’un va extraire de la valeur de notre travail (dans ce cas, une critique de film), un salaire équitable devrait être attendu. Ce temps durant lequel vous êtes coincé-es sur le siège du cinéma est une partie de cette valeur qui est extraite parce que c’est une partie inextricable du travail que vous faites. Pas de film, pas de critique, c’est aussi simple que ça.

« Mais attendez » dira sans aucun doute quelqu’un-e dans les coulisses,  « est-ce que ça veut dire qu’un-e critique de jeu vidéo devrait être payé-e pour les nombreuses heures qu’il ou elle place dans un jeu pour pouvoir écrire à son propos? » Absolument. À 100%. “Mais “Breath of the Wild” est un jeu de 45 heures?!” Vous voulez que je joue le jeu complet et que j’écrive à son propos? Payez!

Donc, si nous tenons pour acquis un taux horaire de 15$ de l’heure (et sérieusement, pourquoi ne le ferais-je pas?) et qu’un film dure en moyenne deux heures, ça devrait faire 30$ dans vos poches dès le début. Nous n’avons même pas encore commencé à mettre des mots ensemble. Encore une fois, en utilisant des maths bien élémentaires, présupposant un ratio 1:1 de temps de visionnement – temps d’écriture, un salaire à 15$ de l’heure, et un texte de 700 mots, nous en arrivons à un taux d’environ quatre cents le mot (ce qui est dans le bas de la bracket de prix des travailleur-euse-s autonomes). Donc le taux minimum pour ce texte de 700 mots serait 60$. Une courte capsule de 200 mots revient à 38$. Un texte de 1000 mots vaudrait 70$. Ce taux de quatre cents le mot en plus d’un salaire décent pour le visionnement du film est un plancher absolu de ce que votre travail vaut.

Ceci est pour un seul film. Ces chiffres ne sont pas transposables pour une semaine complète; ceux et celles qui gardent le score à la maison se rendront compte que notre texte moyen de 700 mots a coûté quatre heures de travail: deux pour le regarder, deux pour l’écrire. Il n’y a absolument aucune chance qu’une personne regarde dix films en une semaine et écrive à propos de chacun. C’est une façon assurée d’annihiler votre équilibre travail-vie. De plus, la quantité la plus élevée de sorties de films en une semaine est de quatre, avec une moyenne plus près de trois. Mais assumons que la section films d’une publication engage une personne sur les nouvelles sorties, et disons qu’il y a une grosse fin de semaine de quatre films qui s’en vient. Prenons par exemple les 6-8 avril 2018. Cette semaine a vu les sorties de :

  • A Quiet Place
  • Blockers
  • The Miracle Season
  • Chappaquiddick

Ces quatre films ont été couverts dans le New York Times donc utilisons les chiffres établis plus haut avec la longueur respective de leurs revues dans le Times comme base, décomposons ces films en termes de coûts de travail (15$ de l’heure pour le visionnement, quatre cents le mot).

  • A Quiet Place: (651 mots*$0.04) + (91’*($15/60’)) = $48.79
  • Blockers: (674 mots*$0.04) + (91’*($15/60’)) = $52.46
  • The Miracle Season: (252 mots*$0.04) + (99’*($15/60’)) = $34.83
  • Chappaquiddick: (881 mots*$0.04) + (101’*$15/60’)) = $60.49

Donc si une personne couvre toute la fin de semaine, cela revient à une paye de 196,57$. Ces films sont relativement courts et une de ces revues est grosso modo une capsule; si nous gardons notre exemple de deux heures, 700 mots, une fin de semaine à quatre films reviendrait à une paye de 232$, ce qui n’est toujours pas un salaire permettant de vivre. Mais il y a des précédents pour ce qui est d’être capable de vivre sur un salaire de critique de nouvelles sorties. Laissez-moi vous ramener aux temps lointains, pré-récession de 2008, et au taux horaire de Mike D’Angelo, présentement un des nombreux et nombreuses critiques de films qui travaillent à contrat. D’après ce tweet, il était payé 400$ par revue quand il travaillait pour le Las Vegas Weekly. C’est quatre zéro zéro. C’est un taux qu’il a négocié du 200$ la revue qu’on lui offrait parce que, selon lui, il n’avait “pas besoin du travail”. M. D’Angelo, et présumément d’autres critiques à temps plein autour de la même époque, gagnaient assez d’argent en écrivant pour avoir un salaire permettant de vivre avec deux ou trois revues, ou environ 2100 mots, par semaine, et avaient assez de poids pour négocier un taux deux fois plus élevé qui ce qui leur était offert au début. C’est ahurissant.

Plus déprimant encore: prenons le taux horaire que D’Angelo recevait en 2008 selon son tweet (400$ par revue, 600-800 mots par revue) et analysons-le. Gardons le même taux horaire de 15$ pour le temps passé à regarder le film et assumons une fin de semaine moyenne de trois sorties de films, à deux heures le film. Six heures, 90$. Cela laisse 310$ pour l’acte d’écrire, et si on présuppose une critique moyenne de 700 mots, cela nous donne un taux par mots juste au-dessus de 44 cents.

Tout ceci est une autre façon de dire quelque chose que vous saviez déjà. Le capitalisme a détruit le filet de secours que les critiques avaient il y a une décennie et depuis s’est hâté de couper le plus de coins ronds. Mais vous devriez être compensé-es équitablement pour votre travail, sans exception. En se tenant ensemble, les taux équitables peuvent devenir une réalité plutôt qu’une rareté.

Solidarité,

Yancy Richardson

In english

Worth

This article is not our usual cup of tea. Instead it is part of a new series of articles by our union local for freelancers that will examine the various issues faced by workers who’s sector is, by its very nature, unpredictable and subject to change from day-to-day. And, more importantly, what we can do about these issues.

 

Does the film critic matter anymore? I’ve seen rumblings to this effect more and more lately, but as with all things, this too shall pass. It’s a transient take; I’m barely in my 30s and cinema has died and been saved about a dozen times while I’ve been alive. Critics are thinkers; they contextualize the art of the world. But I’m not here to debate the role of the critic. What I am here to do is break down the labour that goes into a fairly standard film review. Because, naturally, criticism is work.

Little is taken more for granted than the written word as published online. There’s been a steady devaluing of internet culture writing as a paid service for over a decade now. Legends in the field can’t hold down a contract. Editors are in a race to the bottom to see how much content they can squeeze out of their stable with a next-to-nonexistent bankroll. Everything you see online has been written by someone and a shocking amount of it is done for peanuts.

So how much is a film review worth? Let’s break it down.

Now before I go any further, I’d like to point out this is 100% guesswork. The rates I’m going to be using are based on some solid hunches and a little fifth-grade math. What I’m trying to get at here is a ballpark figure that’s higher than, well, zero.

Now, before you even set pen to paper to write that vicious pan or that gushing notice, you actually have to watch the damn movie. So it stands to reason this is part of the job, and thus you should be paid for it. Consider it like a form of training; this is the part of the job where you learn what you are dealing with. Without it, you can’t do the job. Critics should absolutely have the time they spend watching movies remunerated. Now, I know that critics are often invited to screenings or get links or are otherwise provided with a copy of the film. But you’re not watching this for funsies, bud! If we are going to exist in a capitalist system, and if someone is going to extract value from your work (in this case, a piece of film criticism), a fair wage should be expected. That time when your butt is parked in the theatre seat is part of that value extraction because it’s an inextricable part of the work you are doing. No movie, no review, simple as that.

“So wait,” someone in the wings will undoubtedly say, “does that mean a video game critic should be paid for the hours and hours they sink into a game in order to write about it?” Absolutely. 100%. “But Breath of the Wild is like a 45-hour game?!” You want me to play the whole thing and write about it? Pay up, son.

So if we assume an hourly wage of $15 an hour (and really, why wouldn’t I) and an average movie length of two hours, that’s $30 that should be in your pocket right up front. We haven’t even started putting words together. Again, using some shaky math assuming a 1:1 running time-to-writing time ratio, a $15 an hour wage, and a 700-word text, we end up with a rate of about four cents a word (which is on the low end of what freelancers charge). So the minimum rate for that 700-word text would be $60. A short 200-word capsule adds up to $38. A 1,000-word longread would be worth $70. This rate of four cents a word plus a living wage for the runtime of the film is the absolute floor of what your labour is worth.

Now this is all for a single movie. These numbers absolutely do not scale for a whole week; those keeping score at home will notice that our average 700-word piece has cost four hours of labour: two to watch, and two to write. There is no way in Hell someone is going to watch ten movies in a week and write about all of them. That is a surefire way to annihilate your work-life balance. Plus, the high end number of new wide releases in a given week is four, with the average being closer to three. But let’s assume a publication’s movie section has one person on the new release beat, and let’s say there’s a big four-movie weekend coming up. Let’s take April 6-8, 2018 as an example. This weekend saw the wide release of:

  • A Quiet Place
  • Blockers
  • The Miracle Season
  • Chappaquiddick

All four of these were covered in the New York Times So using the numbers established above with the length of their respective review in the Times as a baseline, let’s break these movies down as far as the labour cost goes (i.e. 15$ an hour of runtime, four cents a word):

  • A Quiet Place: (651 words*$0.04) + (91’*($15/60’)) = $48.79
  • Blockers: (674 words*$0.04) + (91’*($15/60’)) = $52.46
  • The Miracle Season: (252 words*$0.04) + (99’*($15/60’)) = $34.83
  • Chappaquiddick: (881 words*$0.04) + (101’*$15/60’)) = $60.49

So if one person covers the whole weekend’s slate, that adds up to a payout of $196,57. Now these movies are a bit on the short side and one of those review is basically a capsule; if we maintain our two-hour, 700-word example, a four-movie weekend would add up to a $232 payout, which is still not what I would call a living wage. But there is precedent for being able to live off the new release grind. Let me take you to the far-away, pre-recession land of 2008, and the working rate of Mike D’Angelo, currently one of many film-crit lifers working as a hired gun. As per this tweet, he was paid $400 per review while working at the Las Vegas Weekly. That’s four zero zero. That’s a rate he negotiated up from $200 a review because, according to him, he didn’t “need the gig.” Mr. D’Angelo, and presumably other full-time critics around the same time, was pulling enough dosh writing to earn a living wage writing two or three reviews, or about 2100 words, per week, and held enough saw to negotiate twice the rate he was initially offered. It boggles the mind.

Let’s get depressing: let’s take the rate D’Angelo was pulling in 2008 according to his tweet (i.e. $400 per review, 600-800 words per review) and break it down. Let’s keep the same hourly rate of $15 for the time spent watching movies and assume an average weekend release of three movies, at two hours a movie. Six hours, $90. This would leave $310 for the actual act of writing, and if we assume an average review length of 700 words, that gives us a per-word rate of just north of 44 cents.

This was a roundabout way of saying something you already knew. Capitalism collapsed whatever safety net writers had a decade go and has hastened a race to cut the most corners since. But you should be compensated fairly for your work, no exceptions, and by banding together, fair rates can become a reality instead of a rarity.

Solidarity,

Yancy Richardson.

En français

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Manifestation pour les libertés syndicales à Berlin

Image of the FAU demonstration 
*Manifestation pour les libertés syndicales à la remise des prix du 
Festival international du film de Berlin*

Le 20 février 2010, 600 personnes ont marché dans Berlin pour soutenir les 
libertés syndicales en Allemagne. La FAU Berlin a appelé à la manifestation 
en réaction à une décision d'un tribunal berlinois qui leur interdit de se 
nommer syndicat.

Cette décision est l'aboutissement d'un conflit d'un an sur les conditions de 
travail au cinéma Babylon Mitte, qui héberge le festival. 

Des membres de différents mouvements sociaux, allant des antifascistes 
aux syndicalistes de gauche, se sont joint à la manifestation. Dans son 
allocution, Renate Hürtgen, du comité pour les libertés civiles, a affirmé 
que plus de la moitié des syndicats des autres pays européens seraient 
interdits si les lois allemandes s'appliquaient à eux.

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La gauche allemande soutien l’interdiction d’un syndicat ouvrier

Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

La FAU-AIT (Freie Arbeiterinnen- und Arbeiter Union, union libre des travailleuses et des travailleurs) est une petite organisation ouvrière allemande, la section outre Rhin de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT). Elle essaie de promouvoir un mode d’organisation autonome des travailleurs, renouant ainsi avec le syndicalisme originel, sans permanent ni représentants élus. A l’intégration dans les organismes paritaires qu’elle refuse, elle privilégie l’organisation collective des travailleurs en assemblée générale, et l’action directe (c’est-à-dire sans intermédiaire) plutôt que le compromis de classe. En un mot, elle essaie de promouvoir et pratiquer l’anarchosyndicalisme.

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