Les hippies ont raison sur un point
Un cri d’agonie.
Les pleurs de l’enfant.
Le silence lourd.
Les camarades de la guérilla se regardent successivement, sept autres personnes avec qui combattre dans le paroxysme d’un conflit armé, ce génocide contre les Mayas au Guatemala. Après le colonialisme espagnol, l’acculturation et l’ethnocide contre les populations indigènes, une culture qui est déjà enseignée comme éteinte, respire fièrement. Les droits humains ne s’applique pas pour les rebelles ; le gouvernement militaire placé au pouvoir par les États-Unis lors de la Guerre froide ne considère même pas les Mayas comme des êtres humains, de toute façon. En 1981, c’est la 27e année de guerre entre le front du peuple, composé de 15% de gens éduqués et de 85% de rebelles des campagnes, majoritairement des indigènes, contre l’autoritarisme raciste et capitaliste.
Un autre cillement assourdissant, acouphène.
Le tank militaire ayant tiré se profile derrière le nuage de poussière en suspension.
La bataille continue.
Elle est réelle.
Partout, la peur, le sang, les corps, le feu, les bombes, les balles, les cris, la douleur, la souffrance, les camarades qui tombent, les proches qui s’affaissent, la famille, l’amour de leur vie, un regard qui perd sa lumière d’existence, le viol, la torture, les enveloppes charnelles dépouillées de leurs membres, de leur dignité, tout orifice violé, massacré, des ventres ouverts dont la tête d’un parent vivant était plongée dans les viscères encore chaudes, le béton qui éclate. « Les gargouillis du sang résonnent au rythme de mes propres battements de cœur. Je suis dans la guérilla. Je m’appelle Maria. Mon mari est porté disparu depuis quelques mois déjà, mais mon inconscient sait que jamais je ne le reverrai. Mes yeux brûlent, à cause de la poussière, des larmes, du sang, un éclat d’obus, pas le temps de savoir, je dois combattre et dans ma tête, une seule phrase, une seule idée ; la lutte pour le peuple, la lutte pour la liberté, pour l’égalité. Une idée plus forte que toute l’horreur de la guerre, qui m’oblige à avancer encore et encore, des valeurs passées et comprises à travers l’enseignement et l’entraînement que j’ai reçu dans les montagnes, je souffre, avec les autres camarades parce que je crois en l’humanisme, j’aime l’humanité. »
Maria est une femme ayant participé à la guerre contre le génocide maya. Étant elle-même Maya, sa mission est de conscientiser les gens aux horreurs cachées au Guatemala. Malgré son âge avancé, elle milite encore dans un groupe de conscientisation contre la violence sexuelle, cultive une terre de café avec son second mari et agit en tant que porte-parole avec d’autres personnes de sa communauté pour dénoncer les crimes contre l’humanité perpétrés entre 1960 et 1996.
Quand on fait partie d’un milieu militant, on se retrouve face à des idées, des valeurs, des méthodes que l’on doit comprendre, puis assimiler, faire progresser ou rejeter. Ce qui nous pousse à joindre, c’est en majorité, je crois, parce que l’on se reconnait dans les fondements de base d’un groupe et que nous avons un désir d’avoir un impact sur notre monde, ou encore sur le monde. Par contre, qu’est-ce qui nous pousse à rester ? Au niveau de la gauche active, l’un des premiers chocs auxquels on fait face, c’est la violence à notre égard, tant au niveau des jugements que dans les attitudes ou la façon de nous aborder. Second choc, c’est la violence à l’égard des personnes qui ne possèdent pas nos privilèges qui frappe. En ce qui me concerne, même ayant fait intervention dans des plusieurs situations de harcèlement contre des personnes opprimées, jamais je n’aurais pu conceptualiser la violence dans son entièreté, même quand la police me frappait par plaisir de me faire souffrir, si ce n’avait été de par les témoignages que j’ai entendus au Guatemala, tous plus horrifiants les uns que les autres, peignant un portrait glauque tout droit sorti des caves de Sade… Malgré tout cela, mon moment de choc le plus fort fut lorsque me promenant dans la capitale avec des camarades, l’une des personnes me pointa un vieil édifice en briques de béton et me dit : « Regarde, ce sont des impacts qui datent de la guerre », puis, de voir les dizaines de trous de balles, qui avaient visé et ou tué il y a 20 ans, imaginant toutes ces histoires en un flash.
Tout cela ramène aux raisons de devenir et rester dans le militantisme actif : le point commun de tous les récits entendus portait sur la façon d’aborder la violence, qui se basait sur l’acceptation de la situation et sur un désir, dès lors, de la changer, au prix de sa sécurité et de sa vie. L’amour de l’humanité, la solidarité du peuple et une empathie des souffrances étaient ce à quoi se raccrochaient les camarades pour continuer à lutter, pour passer par-dessus la peur, le froid, la faim, l’agonie. Gavino, un rebelle de la communauté, me dit d’ailleurs, vers la fin de mon séjour, que ce qui a fait perdre l’organisation militaire, c’est que leur combat était basé sur la haine, ce qui nuisait grandement à la solidarité entre les unités, donc les rendait vulnérables. Au final, Gavino m’a sommé de combattre, pas par la haine, mais par philanthropie, communautarisme, désir d’égalité et compréhension, et c’est là que les hippies ont raison, mais aussi de ne jamais cesser au profit d’une émancipation personnelle, parce que le danger réel et le point fondamental de notre lutte est d’éduquer et de prendre action avant que la situation ne dégénère au point de nous rendre à un point critique, donc de faire la révolution et non pas l’insurrection.
Emma Parsons