Bâtir le pouvoir ouvrier au Royaume-Uni

Original article in English.

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Il y a quelques mois, New Syndicalist (un groupe de Wobblies originaire du Royaume-Uni qui écrit des textes à propos de théories et stratégies anticapitalistes et autogestionnaires) fut approché par Workers’ Power, une section du journal Industrial Worker, afin de rédiger un texte réflectif sur la croissance récente du IWW au Royaume-Uni. Ceux qui nous ont suivis sur les médias en ligne savent que nous avons franchi un cap important cette année, avec une adhésion qui dépasse désormais les 1000 membres. Nous avons célébré ce nombre important à notre conférence annuelle de Bradford, Angleterre. Un membre plus ancien se souvient avoir participé à la conférence de 2005, dans la même ville, où seulement sept membres étaient présents. En 2015, la plupart des délégations de sections étaient plus nombreuses.

Nous avons témoigné d’une croissance fantastique de notre adhésion lors de la dernière décennie, en particulier dans le cas de certaines sections plus larges qui comptent maintenant entre 100 et 300 membres. Qu’est-ce que cela implique d’avoir des sections aussi populeuses, et comment se sont-elles bâties ? Telles étaient les questions clés qui nous étaient posées. Ce sont évidemment de grandes questions, qui n’offrent en aucun cas de réponses simples, particulièrement lorsque vient le temps de conter le travail dévoué et patient des organisateurs et organisatrices du IWW dans tout le pays au cours des dix dernières années. Néanmoins, après une réflexion collective à New Syndicalist, nous avons décidé de nous concentrer sur cinq facteurs que nous considérons comme les plus importants, afin de soutenir la croissance de nos sections dans le Nord (où nous sommes situés), dont certaines ont doublé de taille au cours de la dernière année.

Cette liste ne se veut en aucun cas exhaustive, et certain-e-s Wobblies plus expérimenté-e-s pourraient avoir l’impression que ces conseils sont redondants, reconnaissant plusieurs concepts de base qui se trouvent déjà intégrés dans les programmes de formation d’organisateurs et organisatrices. Nous présentons toutefois cette réflexion en espérant inspirer la solidarité, le dialogue ouvert et un débat rehaussé.

La formation

Évaluer la qualité des membres est aussi, sinon plus, important que de garder les livres à jour sur le nombre de cartes rouges distribuées. Dans un monde idéal, les « membres-papiers » ne devraient constituer qu’une très faible proportion des membres. Des formations régulières nous permettent de transformer chaque détenteur de carte rouge en un membre actif qui participe à la section. La participation est une réalité assez difficile à évaluer. Outre les mesures absolues telles que la présence aux réunions et le taux de réponse aux courriels, nous sommes souvent contraint-e-s de nous fier à notre intuition afin de déterminer à quel point nos membres se sentent connecté-e-s au syndicat. Il existe toutefois des mesures que nous pouvons prendre afin de maintenir cette connexion.

Offrir des formations sur une base régulière est une très bonne manière de conserver une culture syndicale saine. Des formations formelles tels que la Formation d’organisateurs et organisatrices 101 et des formations par les délégué-e-s du syndicat permettent aux membres de collaborer d’une manière qui n’est pas accessible lors des réunions de section. Elles permettent de développer des talents pratiques qui, lorsque qu’appliqués, renforcent l’appartenance au IWW et à notre lutte commune.

La formation informelle, telle qu’informer les membres à propos du IWW, des campagnes en cours et des bases de fonctionnement d’un syndicat est toute aussi importante. Contribuer à la culture syndicale est ce qui donne de la force à la section, qui fait que les membres sont motivés à prendre quelques minutes de leur temps, à comprendre certaines propositions, à animer des réunions, ou tout simplement à partager un peu de savoir. Dans la section de Sheffield, nous avons mis sur pied un programme de mentorat pour les nouveaux et nouvelles membres, les jumelant avec un-e Wobblie plus expérimenté-e qui travaille dans son industrie. Cette approche horizontale et moins intensive envers la formation nous permet de transformer nos « membres-papiers » en Wobblies à part entière.

Cultiver sa section intérieurement implique que les Wobblies les plus impliqué-e-s peuvent céder leur place et éviter de s’épuiser, sachant très bien qu’ils et elles seront remplacé-e-s par quelqu’un-e de compétent-e. Cela implique aussi que les membres seront plus à l’aise de prendre des tâches, car ils et elles sauront qu’ils et elles pourront compter sur l’aide de leurs camarades s’ils éprouvent des difficultés.

Au final, stimuler la croissance interne à l’aide de la formation des membres est essentiel afin de diversifier et décentraliser la section, en plus de constamment bâtir la culture syndicale.

Atteindre un équilibre

Les tenants du syndicalisme de solidarité mettent fréquemment en opposition les méthodes d’organisation et tactiques qui servent à créer une confiance et une solidarité ouvrière sur le lieu de travail avec les méthodes employées par les syndicats légalistes et hiérarchiques, qui se basent en grande partie sur les lois du travail. Il est vrai que cette division existe dans le monde de l’organisation syndicale, et notre penchant en tant que Wobblies sera toujours de diriger nos campagnes vers le militantisme et des moyens qui habilitent collectivement les travailleurs et travailleuses. Toutefois, nous avons décidé d’aborder une approche qui nous permet une certaine flexibilité à l’intérieur de nos campagnes, en cessant de percevoir ces deux approches comme mutuellement exclusives. Cette approche est d’autant plus pertinente dans les situations où nous avons bâti nos campagnes en réponse à des problématiques concrètes sur les lieux de travail ou à l’occasion de congédiements injustes.Traîner un employeur en cour est à la fois très dispendieux et extrêmement risqué au Royaume-Uni. Les frais varient entre 300£ à 1000£ (608$ à 2028$), et ce grâce à une loi pro-patronale récemment adoptée par le gouvernement en raison des succès légaux des travailleurs et travailleuses. Même lorsque les frais sont déboursés, les taux de succès sont assez minces. Cela implique que la phase initiale du cheminement de la plupart des griefs consiste à bluffer l’employeur, en tentant de capitaliser sur sa peur des procédures juridiques et parfois même sur son manque de confiance envers les lois du travail. Une bonne vieille menace d’action directe saura mettre un peu de chair autour de l’os et permettre de diverger de l’avenue légale dans le cas où celle-ci atteint ses limites.Cette coquille légale nous permet aussi de bâtir une certaine crédibilité auprès des employeurs quand et si le besoin existe. Les employeurs vont s’asseoir et négocier avec des représentant-es de syndicats accrédités et des exécutifs de section (même si ces distinctions sont surtout fonctionnelles dans le SITT-IWW), et vont refuser de parler avec des piqueteurs/piqueteuses et des manifestant-e-s. Un appel à l’improviste du secrétaire national du syndicat s’est avéré une tactique efficace afin de faire céder les patrons récalcitrants dans cet étrange jeu de poudre aux yeux. Au final, l’approche légale nous permettra-t-elle de gagner la guerre ? Non. Est-ce notre tactique préférée ? Non. Toutefois, elle peut certainement permettre certaines victoires, et, avec un solide travail de repérage social et de construction de comité, elle permet de remporter certaines des campagnes les plus ardues.

Le mentorat

steelcitywobs-copyTel que mentionné plus haut, la section de Sheffield a mis sur pied un programme de mentorat tous les nouveaux membres sont jumelés avec un-e camarade plus expérimenté-e, idéalement un-e camarade travaillant dans la même industrie.L’objectif du/de la mentor est de fournir des conseils au nouveaux et nouvelles membres à propos de l’organisation de son lieu de travail et de l’aider à se familiariser avec le fonctionnement du SITT-IWW. Le/la mentor garde le nouveau ou la nouvelle Wobblie informé-e des événements syndicaux à venir et l’encourage progressivement à prendre un rôle plus actif dans le syndicat en le faisant passer au travers de plusieurs activités, surnommées « l’échelle Wobblie ». Le principe est de développer de nouveaux organisateurs et nouvelles organisatrices, afin qu’ultimement ceux et celles-ci puissent nous remplacer et réduire le roulement de membres à l’intérieur du syndicat. Ce programme encourage aussi une communication et une coopération accrue entre les Wobblies de la même industrie, contribuant ainsi à la formation de comités d’organisation industriels et de campagnes d’organisation sur le terrain. Le programme fonctionne-t-il ? Bien qu’il soit trop tôt pour en tirer des conclusions claires, certains indices sont révélateurs. Par exemple, depuis la mise en place du programme, il y a 6 mois, aucun-e membre qui fut jumelé-e avec un-e mentor n’a quitté le syndicat, et nous avons maintenant des ex-mentoré-e-s qui sont devenu-e-s des mentors. Deux nouveaux membres et mentoré-e-s sont aussi des membres actifs au sein d’un nouveau comité d’organisation visant le milieu de l’éducation.

La portée

Dans la dernière année, nous avons tenté d’étendre la portée de notre section. Par le passé, plusieurs de nos activités de sensibilisation étaient concentrées dans le centre-ville. Ces activités pouvaient inclure la tenue de kiosques durant la fin de semaine, la participation à des manifestations ou encore la distribution de littérature lors d’événements populaires. Toutefois, en raison de ces choix, nous avons manqué plusieurs opportunités dans des communautés et des industries où les travailleurs et travailleuses vivent et travaillent, à l’extérieur des grands centres commerciaux. Lorsque nous avons décidé de redéfinir notre portée, nous avons commencé par cartographier nos aires de recrutement potentielles autour de Sheffield. Avec une meilleure compréhension de notre environnement à l’esprit, nous avons divisé la carte en plusieurs secteurs d’une taille plus facilement gérable qui seront assignés à des individus, des comités ou des organisateurs et organisatrices. Ces secteurs sont typiquement basés sur des caractéristiques géographiques, telles que les résidences formant leur propre quartier, les industries majeures, ou encore les communautés homogènes occupant le territoire.

Les organisateurs, les organisatrices et les comités ont par la suite menés des recherches approfondies dans leur territoire assigné afin d’en comprendre l’activité économique, la vie sociale et les autres attributs pertinents de ces communautés. Ces recherches serviront de point de référence afin de mettre sur pied une campagne de sensibilisation adaptée aux besoins spécifiques de chaque territoire. En général, les organisateurs et organisatrices travaillent sur les territoires dans lesquels ils et elles habitent, ce qui facilite la collecte d’information.

Un manuel pratique est fourni aux bénévoles afin de les aider dans leurs activités de sensibilisation. Ces activités débutent avec des activités plus « passives », telles que la distribution de tracts et la socialisation avec la base dans des endroits stratégiques, et devraient graduellement progresser vers notre objectif de sensibilisation active et visible, qui peut prendre la forme de réunions publiques ou de séances de formation dans ces quartiers.

Une des motivations derrière ce projet était le désir d’encourager la diversité à l’intérieur de la section. Il a aussi été motivé par la réalisation que plusieurs des grandes industries dans le Nord, incluant plusieurs de nos cibles privilégiées, tirent leur main-d’œuvre de quartiers locaux, à l’extérieur des grands centres commerciaux. Notre discussion avec des membres de la Sveriges Arbetares Centraloganisation (SAC, une confédération syndicale suédoise) à propos de leur modèle d’organisateurs-organisatrices voyageurs-voyageuses nous a aussi inspiré plusieurs idées et approches utiles. Un ouvrage récent d’AK Press à propos des Comités de défense de la Confederación Nacional del Trabajo (CNT) dans le Barcelone des années 1930 nous illustre à quel point la sensibilisation basée sur le territoire et les communautés peut être une grand atout pour aider la mobilisation de masse des syndicats industriels.

Les médias

Nous sommes assez chanceux de compter sur des camarades aux talents techniques bien développés dans la section de Sheffield. Nous avons eu droit à une couverture vidéo de haute qualité de nos actions cette année. Ces vidéos ont permis de fournir une introduction concise et accessible au SITT-IWW et nos campagnes pour le public qui nous retrouve sur Facebook ou nous croise dans la rue. Lorsque nous tenons un kiosque ou que nous procédons à une levée de fonds, nous présentons toujours une de ces vidéos. Ils se sont vites intégrés à la culture syndicale, et nous rappellent fièrement tout le bon travail que nous avons accompli.

Nous n’utilisons pas exclusivement les médias sociaux, mais il est important de noter que notre présence en ligne a augmenté à un rythme constant lors de la dernière année. Nous utilisons les médias sociaux afin de publier tout événement public et chaque brin de nouvelle de la section, en plus d’offrir de la visibilité aux autres groupes britanniques qui partagent notre vision d’une société meilleure. Cela veut dire que même lorsque nous avons l’impression que les temps ne sont pas particulièrement occupés (par exemple quand nous n’avons pas de campagne publique active), nous informons tout de même les gens que nous travaillons sur des projets reliés au SITT-IWW, tel le groupe New Syndicalist.

Lors de notre dernière campagne publique, nous avons assigné à un attaché de presse les responsabilités d’interagir avec les radios et télévisions locales, les journaux nationaux et toute autre plateforme médiatique majeure. La stratégie fut très efficace. Nous avons fini par obtenir une couverture par The Telegraph, Pink News, et une tonne d’autres journaux dont nous n’attendions pas le moindre intérêt, du moins pas pour un si petit syndicat dans une si petite ville.

New Syndicalist est un groupe de Wobblies originaire du Royaume-Uni qui écrit des textes à propos de théories et stratégies anticapitalistes et autogestionnaire. Ils tiennent un blog à http://newsyndicalist.org

Texte original publié dans le Industrial Worker (Juillet/Août 2015)

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