Guide de l’action directe à l’usage des travailleur·euses

Cette traduction a été adaptée par nos camarades de la branche de Bruxelles d’un pamphlet publié par BossBusters, un projet de l’IWW de la région de la baie (San Francisco).

L’action directe est toute forme d’activité qui paralyse la capacité du patron à faire des bénéfices et l’oblige à céder aux demandes des travailleur·euses. La forme la plus connue d’action directe est la grève, dans laquelle les travailleur·euses quittent simplement leur emploi et refusent de produire des bénéfices pour le patron jusqu’à ce qu’ils/elles obtiennent ce qu’ils/elles veulent. C’est la tactique préférée des « syndicats traditionnels », mais c’est en fait pas forcement le meilleur moyen pour s’opposer au patron.

L’indignité de travailler pour survivre est bien connue de tous celleux qui l’ont fait. La démocratie, le grand principe sur lequel notre société est censée être fondée, est jetée par la fenêtre dès que l’on pointe à l’heure au travail. Comme nous n’avons aucun droit de regard sur ce que nous produisons, ni sur la façon dont cette production est organisée, et que seule une petite partie de la valeur de ce produit se retrouve sur notre chèque de paie, nous avons le droit d’en vouloir à nos patrons.

En fin de compte, bien sûr, nous devons créer une société dans laquelle les travailleur·euses prennent toutes les décisions concernant la production et la distribution des biens et des services. Les industries nuisibles ou inutiles, comme la fabrication d’armes, ou les escroqueries des banques et des assurances, seraient éliminées. Les produits de première nécessité, comme la nourriture, le logement et les vêtements, pourraient être produits par tout le monde en travaillant seulement quelques heures par semaine.

En attendant, cependant, nous devons développer des stratégies qui préfigurent ce futur ET qui contrecarrent la corvée quotidienne de la servitude salariale contemporaine. L’action directe sur le lieu de travail est la clé pour atteindre ces deux objectifs. Mais qu’entendons-nous par action directe ?

Les patrons, avec leurs importantes réserves financières, sont plus à même de résister à une grève de longue haleine que les travailleurs. Dans de nombreux cas, les injonctions des tribunaux gèleront ou confisqueront les fonds de grève du syndicat. Et le pire, c’est qu’un long débrayage ne fait que donner au patron une chance de remplacer les travailleurs en grève par une main-d’œuvre de remplacement.

Les travailleurs sont bien plus efficaces lorsqu’ils mènent une action directe tout en restant sur le lieu de travail. En réduisant délibérément les bénéfices du patron tout en continuant à percevoir les salaires, vous pouvez paralyser le patron sans donner à un briseur de grève la possibilité de prendre votre place. L’action directe, par définition, désigne les tactiques que les travailleurs peuvent entreprendre eux-mêmes, sans l’aide des agences gouvernementales, des bureaucrates syndicaux ou des avocats coûteux. Demander de l’aide aux agences gouvernementales ou juridiques peut être approprié dans certains cas, mais ce n’est PAS une forme d’action directe.

Voici quelques-unes des formes les plus populaires d’action directe que les travailleurs ont utilisées pour obtenir ce qu’ils voulaient. Pourtant, presque chacune de ces tactiques est, techniquement parlant, illégale. Toutes les grandes victoires remportées par les syndicats au fil des ans ont été obtenues par des actions directes militantes qui étaient, à l’époque, illégales et soumises à la répression policière. Après tout, jusqu’au début du 20e siècle, les lois relatives aux syndicats étaient simples – il n’y en avait pas. La plupart des tribunaux considéraient les syndicats comme des conspirations illégales visant à entraver le « libre-échange », et les grévistes étaient régulièrement attaqués par la police, les troupes et les hommes de main de la sécurité privée.

Le droit légal des travailleurs de s’organiser est maintenant officiellement reconnu, mais il existe tellement de restrictions qu’une action efficace est plus difficile que jamais. C’est pourquoi tout travailleur qui envisage une action directe sur le lieu de travail – en contournant le système juridique et en frappant le patron là où il est le plus faible – doit être pleinement conscient du droit du travail, de son application et de la manière dont il peut être utilisé contre les travailleurs militants. Dans le même temps, les travailleurs doivent prendre conscience que la lutte entre les patrons et les travailleurs n’est pas un match de badminton – c’est la guerre. Dans ces circonstances, les travailleurs doivent utiliser ce qui fonctionne, que cela plaise ou non aux patrons (et à leurs tribunaux).

Voici donc les formes d’action directe les plus utiles :

Ralentissement

Le ralentissement a une longue et honorable histoire. En 1899, les dockers organisés de Glasgow ont exigé une augmentation de 10 % des salaires, mais se sont heurtés au refus des patrons et se sont mis en grève. Des briseurs de grève ont été recrutés parmi les travailleurs agricoles, et les dockers ont dû reconnaître leur défaite et reprendre le travail avec les anciens salaires. Mais avant de reprendre le travail, ils ont entendu ceci de la part du secrétaire de leur syndicat :

« Vous allez reprendre le travail à l’ancien salaire. Les employeurs n’ont cessé de répéter qu’ils étaient ravis du travail des ouvriers agricoles qui ont pris notre place pendant plusieurs semaines de grève. Mais nous les avons vus au travail. Nous avons vu qu’ils ne pouvaient même pas marcher sur un navire et qu’ils laissaient tomber la moitié des marchandises qu’ils portaient ; bref, que deux d’entre eux pouvaient à peine faire le travail d’un seul d’entre nous. Néanmoins, les patrons se sont déclarés enchantés du travail de ces gaillards. Eh bien, il n’y a rien d’autre à faire pour nous que la même chose. Travailler comme les ouvriers agricoles ont travaillé. »

Cet ordre fut obéi à la lettre. Au bout de quelques jours, les entrepreneurs firent venir le secrétaire du syndicat et le supplièrent de dire aux dockers de travailler comme avant, et qu’ils étaient prêts à accorder l’augmentation de salaire de 10%.

Au début du siècle, une bande d’ouvriers travaillant sur un chemin de fer dans l’Indiana, aux États-Unis, a été informée d’une réduction de son salaire. Les travailleurs ont immédiatement apporté leurs pelles à l’atelier du forgeron et ont coupé deux centimètres sur les pelles. En retournant au travail, ils ont dit au patron « salaire réduit, pelles réduites ».

Du travail à la règle (Grève du zèle)

Presque chaque emploi est couvert par un dédale de règles, de règlements, d’ordres permanents, etc., dont beaucoup sont totalement inapplicables et généralement ignorés. Les travailleurs violent souvent les ordres, recourent à leurs propres techniques pour faire les choses et ignorent les lignes d’autorité simplement pour atteindre les objectifs de l’entreprise. Il est souvent admis tacitement, même par les responsables dont le travail consiste à faire respecter les règles, que ces raccourcis doivent être pris afin d’atteindre les quotas de production dans les délais.

Mais que se passerait-il si chacune de ces règles était suivie à la lettre ? Il en résulterait de la confusion, une chute de la production et du moral. Et surtout, les travailleurs ne peuvent pas avoir d’ennuis avec cette tactique car, après tout, ils ne font que « suivre les règles ».

Sous la nationalisation, les grèves ferroviaires françaises étaient interdites. Néanmoins, les cheminots ont trouvé d’autres moyens d’exprimer leurs griefs. Une loi française oblige le mécanicien à s’assurer de la sécurité de tout pont sur lequel le train doit passer. Si, après un examen personnel, il a encore des doutes, il doit consulter les autres membres de l’équipage du train. Bien entendu, tous les ponts ont été ainsi inspectés, toutes les équipes ont été ainsi consultées, et aucun des trains n’a circulé à l’heure.

Afin d’obtenir certaines revendications sans perdre leur emploi, les postiers autrichiens ont strictement observé la règle selon laquelle tout le courrier doit être pesé pour vérifier si l’affranchissement approprié est apposé. Auparavant, ils passaient sans les peser toutes les lettres et tous les colis dont le poids était manifestement insuffisant, respectant ainsi l’esprit du règlement mais pas sa formulation exacte. En amenant chaque pièce de courrier à la balance, en la pesant soigneusement, puis en la remettant à sa place, les postiers ont fait en sorte que le bureau soit encombré de courrier non pesé le deuxième jour.

La grève du bon travail

L’un des plus gros problèmes pour les travailleurs du secteur des services est que de nombreuses formes d’action directe, telles que les ralentissements, finissent par nuire au consommateur (principalement les collègues de travail) plus qu’au patron. Une façon de contourner ce problème est de fournir un service meilleur ou moins cher – aux frais du patron, bien sûr.

Les travailleurs de l’hôpital Mercy en France, qui craignaient que les patients ne soient pas soignés s’ils se mettaient en grève, ont refusé de remplir les bordereaux de facturation des médicaments, des tests de laboratoire, des traitements et des thérapies. En conséquence, les patients ont reçu de meilleurs soins (puisqu’ils passaient leur temps à s’occuper d’eux au lieu de remplir des papiers), et ce gratuitement. Les revenus de l’hôpital ont été réduits de moitié et les administrateurs, pris de panique, ont cédé à toutes les revendications des travailleurs au bout de trois jours.

En 1968, les travailleurs des bus et des trains de Lisbonne ont offert des trajets gratuits à tous les passagers pour protester contre le refus d’augmenter les salaires. Les chefs de train et les conducteurs sont arrivés au travail comme d’habitude, mais les chefs de train n’ont pas pris leur sac d’argent. Inutile de dire que le soutien du public était solidement ancré dans le camp de ces grévistes.

À New York, les travailleurs de la restauration de l’IWW, après avoir perdu une grève, ont obtenu certaines de leurs revendications en suivant le conseil des organisateurs de l’IWW : « empiler les assiettes, les servir deux fois et calculer les chèques [factures] au plus bas ».

Grève assise

Une attaque n’a pas besoin d’être longue pour être efficace. Bien programmée et exécutée, une grève peut être gagnée en quelques minutes. Il s’agit de grèves « assises », lorsque tout le monde arrête le travail et reste assis, ou de grèves de masse, lorsque tout le monde quitte le travail pour se rendre dans le bureau du patron afin de discuter d’une question importante.

Les IWW de Detroit ont utilisé le sitdown (grève assise) à bon escient à la Hudson Motor Car Company entre 1932 et 1934. Le message « Asseyez-vous et regardez votre salaire augmenter » circulait le long de la chaîne de montage sur des autocollants fixés sur des outils de travail. La pratique régulière de la grève assise a permis d’augmenter les salaires de 100 % (de 0,75 dollar de l’heure à 1,50 dollar) en pleine dépression.

Les figurants de théâtre de l’IWW, confrontés à une réduction de salaire de 50 %, ont attendu le bon moment pour faire grève. Pour la pièce de théâtre, 150 figurants étaient habillés en soldats romains pour porter la reine sur scène. Lorsque le signal de l’entrée de la reine a été donné, les figurants l’ont entourée et ont refusé de bouger jusqu’à ce que le salaire soit non seulement rétabli, mais triplé.

Les occupations assises sont toujours des armes puissantes. En 1980, la KKR Corporation a annoncé qu’elle allait fermer son usine de Houdaille, en Ontario, et la déplacer en Caroline du Sud. Les travailleurs ont répondu en occupant l’usine pendant deux semaines. KKR a été forcée de négocier des conditions équitables pour la fermeture de l’usine, y compris des pensions complètes, des indemnités de départ et le paiement des primes d’assurance maladie.

Grèves sélectives

L’imprévisibilité est une grande arme dans les mains des travailleurs. Les enseignants de Pennsylvanie ont utilisé la grève sélective à bon escient en 1991, lorsqu’ils ont tenu un piquet de grève le lundi et le mardi, se sont présentés au travail le mercredi, ont fait grève à nouveau le jeudi et se sont présentés au travail le vendredi et le lundi.

Cette tactique d’alternance a non seulement empêché les administrateurs d’embaucher des briseurs de grève pour remplacer les enseignants, mais a également forcé des administrateurs qui n’avaient pas mis les pieds dans une classe depuis des années à travailler dans les écoles pendant que les enseignants étaient absents. Cette tactique a été si efficace que le corps législatif de Pennsylvanie a rapidement présenté des projets de loi visant à interdire les grèves sélectives.

Lanceur d’alerte

Parfois, le simple fait de dire la vérité sur ce qui se passe au travail peut exercer une forte pression sur le patron. Les industries de consommation comme les restaurants et les usines d’emballage sont les plus vulnérables. Et encore une fois, comme dans le cas de la grève du bon travail, vous gagnerez le soutien du public, dont le soutien peut faire ou défaire une entreprise.

La dénonciation peut être aussi simple qu’une conversation en tête-à-tête avec un client, ou aussi dramatique que l’ingénieur de P.G.&E. qui a révélé que les plans du réacteur nucléaire de Diablo Canyon avaient été inversés. Le roman d’Upton Sinclair, La Jungle, a révélé les normes sanitaires et les conditions de travail scandaleuses de l’industrie de l’emballage de la viande lorsqu’il a été publié au début du siècle.

Les serveurs peuvent expliquer à leurs clients les divers raccourcis et substitutions qui entrent dans la composition de la fausse haute cuisine qui leur est servie. Tout comme Le travail à la règle met fin au relâchement habituel des normes, la technique des lanceurs d’alerte le révèle au grand jour

Sick-In

Le Sick-In est un bon moyen de faire grève sans faire grève. L’idée est de paralyser votre lieu de travail en faisant en sorte que tous les travailleurs ou presque se fassent porter pâle le même jour ou les mêmes jours. Contrairement au débrayage officiel, il peut être utilisé efficacement par des départements et des zones de travail uniques, et peut souvent être utilisé avec succès même sans organisation syndicale officielle. Il s’agit de la méthode traditionnelle d’action directe pour les syndicats d’employés du secteur public, qui sont légalement empêchés de faire grève (à cause du service minimum aux USA).

Dans un hôpital psychiatrique de Nouvelle-Angleterre, la seule idée d’un Sick-In a donné des résultats. Un délégué syndical, discutant avec un superviseur au sujet d’un membre du syndicat licencié, a mentionné avec désinvolture qu’il y avait beaucoup de grippe dans l’air et qu’il serait dommage qu’il n’y ait pas assez de personnes en bonne santé pour remplir les services. Au même moment – par pure coïncidence, bien sûr – des dizaines de personnes appelaient le bureau du personnel pour savoir combien de jours de congé de maladie il leur restait. Le superviseur a compris le message et le syndicaliste a été réembauché.

Double pouvoir (Ignorer le patron)

La meilleure façon d’obtenir quelque chose est de s’organiser et de le faire soi-même. Plutôt que d’attendre que le patron cède à nos demandes et instaure les changements tant attendus, nous avons souvent le pouvoir d’instaurer ces changements par nous-mêmes, sans l’approbation du patron.

Le propriétaire d’un café de San Francisco gérait mal son argent et, une semaine, les chèques de salaire ne sont pas arrivés. Le directeur a continué à assurer aux travailleurs que les chèques arriveraient bientôt, mais les travailleurs ont fini par prendre les choses en main. Ils ont commencé à se payer au jour le jour directement dans la caisse, en laissant des reçus pour les montants avancés afin que tout soit en règle. Cela a provoqué un tollé, mais les chèques sont ensuite toujours arrivés à temps.

Dans une petite imprimerie du quartier financier de San Francisco, une vieille presse offset vétuste a finalement été retirée du service et poussée dans le fond de la salle des presses. Elle a été remplacée par une machine flambant neuve, et le directeur a déclaré son intention d’utiliser l’ancienne presse « uniquement pour les enveloppes ». Mais les opérateurs ont commencé à la cannibaliser pour obtenir des pièces de rechange, afin de faire fonctionner les autres presses. Très vite, il est devenu évident pour tout le monde, sauf pour le directeur, que cette presse ne serait plus jamais utilisée.

Les imprimeurs ont demandé au directeur de la déplacer à l’étage, dans la salle de stockage, car elle ne faisait que prendre un espace précieux dans une salle des presses déjà surchargée. Il a tergiversé et n’a jamais semblé vouloir s’en occuper. Finalement, un après-midi, après que les imprimeurs aient pointé pour la journée, ils ont pris un chariot de déménagement et ont poussé la presse dans l’ascenseur pour l’emmener à l’étage. Le directeur les a trouvés juste au moment où ils la mettaient dans l’ascenseur, et bien qu’il soit devenu furieux de cette usurpation flagrante de son autorité, il ne leur a jamais parlé de l’incident. L’espace où se trouvait la presse a été transformé en « salon des employés », avec plusieurs chaises et un porte-revues.

Monkey-Wrenching

Le « monkey-wrenching » est le terme générique pour désigner toute une série d’astuces, de diableries et de méchancetés diverses qui peuvent rappeler au patron à quel point il a besoin de ses employés (et à quel point ces derniers ont peu besoin de lui). Si toutes ces tactiques d’emprise sont non violentes, la plupart d’entre elles constituent des interdits sociaux majeurs. Elles ne devraient être utilisées que dans les batailles les plus violentes, lorsqu’il s’agit d’une guerre ouverte entre les travailleurs et les patrons.

La perturbation des informations stockées magnétiquement (comme les cassettes, les disquettes et les disques durs mal protégés) peut être réalisée en les exposant à un champ magnétique puissant. Bien entendu, il serait tout aussi simple d’ »égarer » les disques et les bandes qui contiennent ces informations vitales. Les employés du restaurant peuvent acheter un tas de grillons ou de souris vivants à l’animalerie du quartier, et les libérer dans un endroit approprié. Pour mieux rire, donnez un coup de file anonyme au Health and Safety Executive (agence de contrôle sanitaire).

Une chose qui hante toujours un appel à la grève est la question des briseurs de grève. Lors d’une grève des chemins de fer en 1886, le problème des briseurs de grève a été résolu par les grévistes qui emportaient chez eux des « souvenirs » du travail. Curieusement, les trains ne pouvaient pas rouler sans ces petites pièces essentielles, et les briseurs de grève se sont retrouvés sans rien à faire. Bien sûr, de nos jours, il peut être plus sûr pour les travailleurs de simplement cacher ces pièces dans un endroit sûr sur le lieu de travail, plutôt que d’essayer de les faire sortir clandestinement de l’usine.

Utilisez l’en-tête du patron pour commander une tonne de fournitures de bureau indésirables et faites-les livrer au bureau. Si votre entreprise a un numéro 800 (numéro vert/ gratuit), demandez à tous vos amis de bloquer les lignes téléphoniques avec des appels de colère sur la situation actuelle. Faites preuve de créativité dans l’utilisation de la superglue. Les possibilités sont infinies.

Solidarité

La meilleure arme est, bien sûr, l’organisation. Si un travailleur se lève et proteste, les patrons l’écraseront comme un insecte. Les insectes écrasés sont évidemment peu utiles pour leurs familles, leurs amis et les mouvements sociaux en général. Mais si tous les travailleurs se lèvent ensemble, le patron n’aura d’autre choix que de vous prendre au sérieux. Il peut licencier tout travailleur individuel qui fait de l’agitation, mais il pourrait avoir du mal à licencier l’ensemble de ses effectifs.

Le succès de toutes les tactiques abordées ici dépend de la solidarité, des actions coordonnées d’un grand nombre de travailleurs. Les actes individuels de sabotage n’offrent guère plus qu’un sentiment éphémère de vengeance, ce qui, il est vrai, peut être la seule chose qui vous permette de rester sain d’esprit lors d’une mauvaise journée au travail. Mais pour un véritable sentiment d’émancipation collective, rien ne vaut l’action directe d’un grand nombre de travailleurs mécontents.

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La pyramide renversée

Une organisatrice et un travailleur décrivent une campagne d’action directe ayant récolté de belles victoires pour ensuite s’effondrer faute d’avoir bâtie de solides fondations.

Toute personne ayant déjà suivi la formation d’organisation 101 du SITT-IWW (OT101) sera familière avec la pyramide d’organisation partagée ci-dessous. Si vous ne l’avez jamais vu ou avez besoin de vous faire rafraîchire la mémoire, elle va comme suit : Une pointe étroite «d’actions directes» est posée sur un étage plus large de «démocratie sur le lieu de travail» (par exemple, des réunions), lui-même posé sur un étage encore plus large de «relations entre collègues» (bâties à travers des discussions en tête à tête) reposant finalement sur une fondation de «connaissances de son milieu de travail» (qui y travaille, comment sont divisés les lieux, etc).

Cette pyramide est parfois opposée à une autre allant «du bas vers le haut» et dans laquelle quelques travailleuses et travailleurs très motivé.es se mettent à faire des actions directes avant (ou à la place) de se bâtir une solide base organisationnelle.

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles cette autre pyramide peut être séduisante : L’une d’entre elle est que pour bien des travailleuses et travailleurs qui n’ont pas confiance en leur habileté de persuasion ou en l’habileté de leurs collègues à les aider dans l’organisation de leur lieu de travail, une action directe concrète et victorieuse semble être une bonne preuve à montrer à leurs collègues. que «l’action collective, ça fonctionne !». Une autre est que bâtir un comité bien établi nécessite beaucoup de travail, souvent ennuyeux, alors que le recours rapide à l’action directe est excitant et mène parfois aux gains qui constituaient les raisons de vouloir s’organiser au départ.

En contrepartie, une raison évidente de s’opposer à cette méthode est que l’action directe échouera probablement s’il n’y a pas une organisation derrière pour supporter le petit groupe (ce qui, après tout, est la raison pour laquelle il faut s’organiser au départ). Il s’agit d’une très bonne observation. Cependant, il y a un autre problème, bien plus profond encore, qui est que même si la ou les actions fonctionnent, sans le reste de la pyramide, il y a peu à faire pour utiliser cette ou ces actions afin de créer une solidarité ou une organisation durable, et sans elles, tous les gains risque d’être très éphémères. Leur durée dépendra finalement bien plus de la volonté des patrons de les retirer ou non que de la force de l’organisation à les maintenir.

Pour illustrer ce point, j’aimerais partager avec vous un exemple venant d’une campagne d’organisation que j’ai supporté et écrit par l’organisateur lui-même :


J’ai utilisé par inadvertance le modèle de pyramide du bas vers le haut quand j’étais un «bébé organisateur» qui travaillait sur sa première campagne. J’étais relativement nouveau a l’IWW et malgré que j’avais assisté à quelques formations sur la manière d’avoir des conversations d’organisation et lu quelque livres, je n’avais pas encore été en mesure de faire une formation d’organisation 101.

La compagnie pour laquelle je travaillais était une entreprise familiale dans laquelle les différent.es membres de la famille possédaient chacun.e leur département en tant qu’entreprise indépendante malgré qu’ils et elles occupaient le même bâtiment. À la place de voir cette structure comme ce qu’elle était, c’est-à-dire une tentative de séparer les employé.es, j’ai plutôt perçu mon département comme étant la totalité de l’entreprise pour laquelle je travaillais. J’ai donc commencé à avoir des conversations en tête-à-tête avec mes collègues qui me semblaient les plus réceptifs et réceptives à l’idée d’organiser notre milieu. Bien que j’avais une idée globale de la cartographie sociale de mon milieu, je n’avais pas analysé de façon approfondie les relations sociales et d’influence avant de commencer.

J’ai laissé l’aspect saisonnier de l’entreprise, le fait qu’elle ferme chaque hiver, aveugler mon jugement et justifier une approche accélérée pour cette campagne d’organisation. J’ai donc réussi à rassembler trois de mes six collègues pour faire un «march on the boss[1]» relativement à quelques enjeux clés incluant les horaires et les salaires. Je ne savais pas que l’IWW enseignait une marche à suivre spécifique pour cette tactique dans l’OT101, mais nous avons eu de la chance et la riposte de mon patron n’a pas fonctionnées. Nous avions sans le savoir procédé relativement comme la formation le suggère, par exemple en faisant des demandes spécifiques et en donnant une date butoir. Cependant, pendant ce march on the boss, l’une de mes collègues a soulevé des enjeux que j’ignorais parce que je n’avais pas pris le temps d’adéquatement lui parler. Hélas, aucun d’entre eux n’a été résolu.

Malgré tout, quelque jours après notre march on the boss, nous avons eu gain de cause sur plusieurs demandes importantes : Premièrement, tout le monde excepté le contremaître a eu une augmentation de salaire. Deuxièmement, les travailleuses et travailleurs ont eu le contrôle de l’horaire qu’ils et elles on pu faire sans contrainte de la part du propriétaire ni du contremaître, excepté pour son propre horaire. Troisièmement, nous nous étions plaint.es que des employé.es étaient coupé.es avant la fin de leur journée et qu’il leur manquait souvent des heures et cette pratique s’est arrêtée. Finalement, nous voulions un retour sur le programme de «dollar days» de l’été précédent qui nous avait fait perdre des ventes et nous l’avons obtenu.

Sur le moment, j’étais en extase! J’ai raconté avec fierté nos succès à la réunion suivante du comité d’organisation de ma branche locale, puis les questions se sont mises à débouler : « Quelles questions exactes as-tu posé à tes collègues pendant les rencontres en tête-à-tête? Qu’est ce qu’ils et elles ont dit ?» Comme je n’avais pas pris la peine de prendre des notes détaillées, je n’étais pas en mesure de donner des réponses exactes, donc je n’ai pas pu rapporter beaucoup de ce que j’avais appris au reste du groupe. « Est-ce que pendant le march on the boss vous avez fait X, Y et Z, comme on l’a enseigné ?» Je ne savais tout simplement pas que nous avions une marche à suivre optimale pour cette tactique.

Alors que la saison tirait à sa fin, la campagne s’est peu à peu démantelée. J’ai compris que l’un des trois participants avait harcelé sexuellement les autres tout au long de l’été. Que le patron avait installé de nouvelles caméras de sécurité et que cela avait eu un effet dissuasif sur notre campagne. Qu’il a dit à toutes les personnes qui travaillaient sous la table qu’il devrait désormait déclarer leurs salaires. Qu’il avait lui-même rencontré des personnes seules à seules qui se sont ensuite montrées méfiantes envers nous. Il m’a finalement accusé de vouloir créer un syndicat et m’a menacé.

Pendant ce temps, en réalisant mes erreurs de parcours, j’avais essayé de récolter les contacts des personnes que je connaissais et de faire des tête-à-tête avec les salarié.es des autres départements. Malheureusement, le chat était sorti du sac et ma collègue membre du comité d’organisation la mieux placée pour aller leur parler (parce qu’elle avait déjà travaillé dans ces départements) était maintenant bien trop intimidée pour tenter sa chance.

J’ai fini par devoir déménager et je me suis pas revenu pour la saison suivante. Une autre personne que j’avais organisée n’a pas pu revenir elle non plus à cause de problèmes de santé. Une autre est revenue et a conservé son augmentation mais n’avait plus envie d’organiser l’entreprise. Je n’avais pas d’autres contacts permettant de garder cette campagne en vie et elle est morte.

Avec du recul, je peux identifier les facteurs clés qui m’ont fait choisir d’aller trop rapidement dans cette campagne.

Leçon apprise: Non à l’aventurisme !

Je voulais accomplir quelque chose avant que la saison se termine parce que je n’étais pas sûr de vouloir revenir l’année suivante. J’ai finalement compris qu’il est mieux d’organiser un emploi dans lequel on compte rester pour quelques années parce qu’on ne sera pas tenté.e de faire les choses trop rapidement. Il faut se souvenir que la raison pour laquelle on s’organise c’est de faire de notre emploi un milieu de travail dans lequel on aura envie de rester et auquel on tiendra et que, même si on ne peut pas y rester, ce n’est pas une bonne raison pour essayer d’aller trop vite. Il est préférable de débuter voir de compléter la cartographie physique et sociale de notre milieu de travail, d’avoir des informations sur le processus d’emploi puis de trouver quelqu’un.e pour nous remplacer et poursuivre là où nous auront quitter, que ce soit une personne à l’interne ou un.e «salt[2]».

J’étais aussi anxieux de prouver ma valeur aux autres membres de la branche et j’ai cru que dévier de la marche à suivre était nécessaire à cause des particularités de mon milieu de travail. En réalité, si on veut impressionner des gens dans l’IWW plus largement, bâtir un comité durable et gagnant accomplira beaucoup plus que quoi que ce soit d’autre, mais surtout, les seules personnes à qui nous devrions vraiment vouloir prouver quelque chose sont nos collègues de travail. L’organisation syndicale est quelque chose de risqué et nos collègues méritent un organisateur ou une organisatrice qui est dévoué.e à s’en tenir aux meilleures pratiques et à utiliser des méthodes qui ont faites leurs preuves à travers le temps. Presque tout le monde croit que son milieu de travail est unique et ils semblent effectivement presque tous avoir des conditions uniques qui justifient de dévier de la marche à suivre, mais à chaque fois que quelqu’un.e le fait, les mêmes problèmes se produisent.

J’avais une vision très aventuriste de l’action syndicale. Je me disais que ce serait super de faire un march on the boss, de tous et toutes arrêter de travailler, faire un sit-in ou peu importe quelle autre action, puis d’obtenir des gains et honnêtement, ça l’était ! Mais il faut se souvenir qu’on ne peut s’organiser seul.e. Nous avons le devoir d’intégrer nos collègues et de suivre la stratégie ayant la plus grande probabilité de bâtir un comité durable et capable d’améliorer nos conditions de travail sur le long terme. Participer à des actions directes est l’une des expériences les plus exaltantes au monde, mais ce n’est pas pour cette raison que nous le faisons. Nous le faisons pour créer un contre-pouvoir durable sur le plancher. Se dépêcher à faire des actions directes avant d’avoir créer des fondations solides n’est pas la bonne façon de procéder.

Et si…

Et si une action directe spontanée allait inévitablement arriver, qu’on y participe ou non ?

Parfois, et spécialement dans une «hot shop[3]», un groupe de travailleuses et de travailleurs peut décider de confronter leurs superviseur.es ou d’arrêter de travailler, de ralentir le rythme ou de se plaindre des ordres déraisonnables des patrons d’une manière qui affecte l’entreprise. Si on n’a pas encore créé une capacité d’organisation suffisante pour conduire une action directe de façon responsable, on ne l’a probablement pas assez non plus pour en arrêter/réorienter une qui pourrait mal tourner.

Dans une telle situation, notre meilleure option est souvent de se joindre à l’action et d’offrir le meilleur de notre support et de notre leadership pour faire en sorte que l’action soit victorieuse tout en minimisant les risques qu’encourent nos collègues. Ce genre de situations peut s’emballer très rapidement et il est fort probable qu’on aie uniquement le temps de discerner qui est la personne avec le plus d’influence sur le groupe et lui poser quelques questions clés telles que : «Qu’est-ce qu’on devrait demander au patron de faire/changer/arrêter ? Combien de temps on lui donne pour faire ce qu’on lui demande ? Qui d’autre pourrait vouloir se joindre à cette action ? Est-ce qu’on s’adresse au bon ou à la bonne superviseur.e ? Est-ce qu’il ou elle a le pouvoir de faire ce qu’on lui demande ? Qui d’autre devrait faire partie de cette conversation ? Qu’est-ce qu’on fait si l’un, l’une ou la totalité d’entre nous est congédié.e ? Qu’est-ce qu’on fait s’il cible l’un ou l’une d’entre nous comme étant le leader ?

Texte original: Organizing Work
Traduction: Maxime K.


[1]Action directe dans laquelle un groupe de travailleurs.euses va, sans prévenir, rencontrer un.e supérieur.e pour lui adresser des demandes.

[2]Un.e salt est une personne qui va travailler dans une entreprise uniquement pour l’organiser/la syndiquer.

[3]Une hot-shop est un milieu de travail dans lequel un ou des enjeux criant(s) agitent beaucoup les employé.es, ce qui mène souvent à des actions spontanées mais éphémères.

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Leçons à tirer d’une action ratée

Avant d’entreprendre une action, il faut identifier les obstacles qui se dressent sur notre chemin. Un technicien en informatique nous raconte son histoire.

Ça fait longtemps que j’appuie les syndicats et que je critique le capitalisme et le patronat. Je n’avais toutefois jamais osé agir concrètement, jusqu’à récemment. Pour ce faire, j’ai rencontré des organisateurs et des organisatrices du SITT-IWW, j’ai participé à un OT101 et j’ai mis mes nouvelles connaissances en pratique en tentant de faire des actions et d’organiser mon milieu de travail. Ma campagne d’organisation en est encore à ses débuts, mais j’ai récemment participé à ma première action et j’aimerais partager quelques-unes de mes réflexions.

Je travaille dans le domaine de la sécurité informatique pour une grande société de services hypothécaires du Midwest. C’est une entreprise à l’éthique discutable, mais je me dis qu’en contribuant à sécuriser les données qui sont déjà en leur possession, je protège les clients actuels et je n’aide pas l’entreprise à s’en prendre à de nouvelles personnes. Ce n’est pas une rhétorique en béton, mais ça me permet de passer à travers mes journées.

Le manque de flexibilité est l’un des plus gros désagréments de mon travail : nous n’avons pas le droit de travailler de la maison. Au plus fort de la pandémie de COVID-19, nous avons été obligé·e·s de passer au télétravail en raison des restrictions sanitaires, mais dès que celles-ci ont été levées, nous avons dû retourner au bureau. Je suis relativement nouveau dans ce milieu de travail, mais des collègues qui y sont depuis longtemps m’ont dit qu’avant la pandémie, notre employeur autorisait le télétravail à l’occasion. J’ai aussi entendu des cadres supérieurs en parler.

Depuis que nous sommes revenu·e·s au bureau, l’entreprise a mis en place des mesures de plus en plus sévères pour nous obliger à nous présenter sur place. Maintenant, nous avons le choix entre venir au bureau ou prendre une journée de vacances. Sans exception. Peu leur importe que nous soyons inconfortables à l’idée de passer nos journées dans des auditoriums bondés, sans que le port du masque ne soit obligatoire et sans que ne nous puissions garder une distance sécuritaire les un·e·s avec les autres. Sans surprise, seul·e·s les gestionnaires et leurs ami·e·s sont exempté·e·s de cette obligation.

Notre employeur a aussi fait parvenir un mémo aux chefs d’équipe pour leur dire de ne pas dévoiler le nombre de cas de COVID-19 chez les employé·e·s. Même si une personne teste positif, elle doit quand même rentrer travailler. Bref, l’entreprise est encore moins flexible qu’avant la pandémie et l’interdiction de divulguer le nombre de cas a pour effet de mettre la santé des employé·e·s à risque.

Ce règlement causait déjà de la grogne chez les employé·e·s, mais récemment, c’est une tempête de neige qui est venue mettre notre patience à l’épreuve. D’importantes chutes de neige étaient annoncées durant deux jours : toutes les écoles ont fermé, et les médias suggéraient fortement aux gens de ne pas prendre la route et de rester à la maison si possible. Malgré cela, notre employeur nous a écrit pour nous rappeler que le télétravail était interdit, et que les personnes qui ne se présenteraient pas au bureau durant la tempête devaient prendre une journée de vacances ou ne pas être payées.

On a même suggéré aux personnes qui craignaient de conduire dans la tempête de dormir dans un hôtel près du bureau! L’entreprise avait négocié un tarif spécial pour l’occasion, mais la chambre coûtait quand même plus cher que ce que la plupart d’entre nous gagnent en une journée. Cette annonce a été publiée sur le portail interne de l’entreprise, dans une section où il est possible de laisser des commentaires. Plusieurs employé·e·s ont critiqué cette initiative perverse, et une personne a écrit que la situation était « dystopique ». Cette dernière a été renvoyée sur-le-champ.

Mes collègues ont été outré·e·s par cette décision. Un employé d’une autre équipe nous a approché·e·s pour nous proposer de tous et toutes prendre congé le lendemain, et ainsi laisser l’entreprise en sous-effectif. Il nous a dit que plusieurs personnes prévoyaient déjà le faire et il nous a encouragé·e·s à les rejoindre. Colin*, un de mes collègues, était vraiment partant et il a incité les cinq autres membres de l’équipe à le suivre.

J’étais très enthousiaste, étant donné que j’avais déjà pensé à réaliser ce genre d’action. J’avais aussi identifié Colin comme l’un des leaders de notre groupe quand j’avais fait ma cartographie sociale. C’est une grande gueule et c’est souvent lui qui lance les conversations. Quand vient le temps de choisir une activité à faire en équipe, ses collègues ont souvent tendance à accepter ce qu’il propose.

Je manquais toutefois d’assurance. Je venais tout juste de commencer à organiser mon milieu de travail et je n’avais pas encore fait de rencontres en tête-à-tête avec Colin et avec mes autres collègues, et encore moins avec les membres des autres équipes du département. Nous avions parlé de nos problèmes en groupe, mais ça s’arrêtait là. Idéalement, il aurait fallu que j’attende avant de faire une action comme celle-là, mais Colin était partant et il a vivement encouragé les autres à embarquer. Les conditions semblaient favorables, l’action elle-même était de petite envergure et plutôt réaliste : elle devait inclure mon équipe de cinq personnes et d’autres employé·e·s dans différentes équipes. J’ai donc dit que j’étais partant aussi, et j’ai créé un groupe sur Signal pour que moi et mes collègues (à l’exception de notre chef d’équipe) puissions communiquer.

Voilà le plan sur lequel nous nous étions entendu·e·s : nous allions écrire individuellement à notre chef·fe d’équipe le matin de la tempête pour lui dire que nous allions travailler de la maison (et s’il ou elle refusait, que nous allions prendre une journée de vacances). Nous allions nous servir du groupe Signal pour partager les messages que nous avions envoyés ainsi que leurs réponses, pour nous aider à garder le moral et pour éviter que l’un·e d’entre nous se sente isolé·e.

Quatre de mes cinq collègues étaient partant·e·s; l’autre a refusé de participer. J’étais enthousiaste à l’idée de cette petite action collective et je me suis mis au lit avec un frisson d’excitation.

Mais le lendemain matin, les choses ont commencé à se gâter.

Colin est le premier à entrer au bureau : il arrive vers 6h30, puis les autres arrivent entre 7h30 et 8h30, et je commence à 9h. En décalant nos horaires de cette façon, nous nous assurons qu’il y a au moins une personne sur place durant une bonne partie de la journée, tout en nous permettant de travailler en équipe pendant quelques heures. En raison de son horaire, Colin allait être le premier à écrire à notre chef d’équipe.

Par contre, il nous a écrit vers 6h30 pour nous dire que les conditions routières étaient vraiment mauvaises. Une autre collègue, Danielle, lui a demandé s’il était arrivé au bureau et il a répondu que oui. J’ai écrit au groupe pour leur annoncer que je comptais appeler notre chef d’équipe et lui dire que j’allais travailler de la maison (et prendre une journée de vacances s’il refusait). C’est ce que j’ai fait, tout comme un autre collègue (Roger). Danielle n’a pas répondu, mais quand je l’ai contactée en fin d’avant-midi, elle m’a dit qu’elle avait décidé d’aller au bureau étant donné que Colin, la grande gueule de l’équipe, avait flanché. Ma dernière collègue, Jackie, était opposée à l’action dès le début et elle est rentrée au bureau comme prévu.

Je dois admettre que j’ai été un peu déçu de mes collègues : seulement deux d’entre nous ne sont pas rentrés (moi et Roger), tandis que les autres (Colin, Danielle et Jackie) sont allé∙e·s travailler. De ce que j’ai compris, ça s’est passé sensiblement de la même manière dans les autres équipes. Au bout du compte, nous n’avons pas été puni·e·s pour nos actions, mais notre absence n’a pas vraiment entravé le travail dans notre entreprise et nous n’avons pas réussi à faire de gains concrets.

J’étais surtout frustré par l’attitude de Colin, qui a encouragé l’équipe à faire l’action et qui a capitulé en premier. J’ai décidé de laisser cette irritation se dissiper avant d’aller lui parler et j’ai essayé de me montrer empathique et compréhensif. Je l’ai abordé quelques jours après les événements et je lui ai demandé son point de vue sur l’action : « Hey, Colin, comment tu vas? J’aimerais comprendre ce qui s’est passé de ton côté. J’avais l’impression que tu étais enthousiaste à l’idée de ne pas rentrer au bureau? ».

Colin était clairement mal à l’aise. Je l’ai rassuré en lui disant que je n’étais pas fâché et que je ne lui en voulais pas, mais que je voulais comprendre ce qui s’était passé. Il m’a alors dit que lui et notre chef d’équipe étaient pratiquement voisins, et qu’il avait peur de mal paraître auprès de lui s’il décidait de ne pas rentrer. Je lui ai dit que je comprenais son inquiétude et que nous allions avoir d’autres occasions de faire des actions. J’ai fait un suivi similaire auprès de Danielle et de Roger, et je leur ai dit que d’autres occasions allaient se présenter.

Qu’est-ce que je retiens de tout ça?

Premièrement, même si l’action a globalement été un échec (moins de 50% des collègues ont participé et nous n’avons pas atteint nos objectifs), nous avons fait quelques gains sur le plan de la communication : la confiance et l’honnêteté que nous avons les un·e·s envers les autres nous ont aidé·e·s à nous organiser, et le groupe de discussion sur Signal nous a permis de nous coordonner tout en nous aidant à bâtir un sentiment de solidarité hors de notre milieu de travail.

Deuxièmement, cette action m’a donné une bonne leçon sur les leaders. Colin était effectivement un leader au sein de notre équipe, mais je ne m’attendais absolument pas à ce qu’il s’incline face à notre chef d’équipe, et je n’avais pas fait d’inoculation pour prévenir cela.

Troisièmement, je retiens qu’il est essentiel de planifier minutieusement nos actions et de planifier toutes les étapes en ordre chronologique : qui agira en premier? Qui risque de se faire réprimander en premier? Comment faire sentir à nos collègues que nous allons les soutenir s’ils et elles font une action? Est-ce que je peux anticiper les obstacles (p. ex. relations, vulnérabilités) qui pourraient empêcher un·e leader d’agir comme prévu?

Quatrièmement, cette action m’a appris que toutes les actions, aussi mineures soient-elles, doivent être organisées avec soin. L’action en question a eu lieu au tout début de la campagne et même si nous nous entendions sur les problèmes que nous voulions régler, nous n’étions pas assez organisé·e·s pour agir de manière coordonnée. Bref, « être en colère » et « être capable de poser des actions concrètes pour améliorer la situation » ne sont pas synonymes; ce n’est pas pour rien que l’agitation est la première étape de l’AEIOU, tandis que la formation d’un syndicat est la dernière.

Cinquièmement, je retiens que nos actions doivent reposer sur une organisation solide et non sur des coups de chance : le déroulement de notre action dépendait des conditions routières, qui sont imprévisibles. Les prévisions météo annonçaient une tempête de neige, mais elle s’est montrée beaucoup moins intense que prévu. Le risque que les employé·e·s se dégonflent et décident d’aller au bureau malgré tout était bien présent, ce qui introduisait une part d’incertitude chez nos collègues.

Enfin, je suis content d’avoir participé à cette action. J’aurais évidemment préféré que nous gagnions, mais nous avons beaucoup à apprendre de notre échec et je vais garder ces leçons en tête à l’avenir.

*Tous les noms sont fictifs.

Article original de Organizing Work

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Trouvons d’autres solutions que la grève!

Rasmus Hästbacka et Kristian Falk, du syndicat suédois SAC (Sveriges Arbetares Centralorganisation, ou Organisation centrale des travailleurs de Suède), plaident en faveur d’une troisième voie entre le « fondamentalisme consensuel » de la bureaucratie syndicale dominante en Suède et « l’idéalisation » des grèves au sein de la base : il nous faut réapprendre à faire pression sur nos lieux de travail.

Let’s find alternatives to striking
Affiche du SAC des années 1970 : « Vous faites le travail! Vous devez prendre part aux décisions! »

Qu’est-ce qui définit un mouvement syndical? C’est un mouvement constitué de collègues qui se serrent les coudes et qui agissent ensemble. Il faut le distinguer de la bureaucratie syndicale représentée par les élu.e.s et les responsables syndicaux juché.e.s loin de la base et rémunéré.e.s à part des travailleur.e.s. Sur le marché du travail suédois, le mouvement syndical prend la forme de petits îlots dispersés dans l’ombre des grandes bureaucraties syndicales. Ces îlots comprennent le SAC syndicaliste, le syndicat suédois des débardeurs et quelques branches locales de travail au sein des bureaucraties centrales LO (Landsorganisationen i Sverige ou Organisation nationale suédoise), TCO (Tjänstemännens Centralorganisation ou Confédération des employé.e.s professionnel.le.s) et SACO (Sveriges Akademikers Centralorganisation ou Confédération suédoise des associations professionnelles).

La renaissance du mouvement syndical suédois est entravée par le « fondamentalisme consensuel » : les hauts responsables syndicaux se concentrent sur la recherche d’un consensus (samförstånd) avec les employeur.e.s par le biais des conventions collectives mais depuis des décennies, les employeur.e.s négligent de plus en plus les intérêts des travailleur.e.s au profit de la recherche de ce consensus. Le marché du travail se détériore en Suède, et les conditions de travail commencent à ressembler à celles du début du 20e siècle : on y trouve des environnements de travail dangereux, des salaires très bas et des employeur.e.s tout simplement criminel.le.s.

En tant que syndicalistes, nous ne rejetons pas les conventions collectives légalement contraignantes. En fait, au SAC, nous testons actuellement une nouvelle stratégie en matière de conventions collectives. Mais nous soulignons toujours que c’est la lutte collective qui donne aux conventions collectives leur valeur.

Romancer les grèves

Alors que les hauts fonctionnaires de la LO, du TCO et de SACO souffrent du fondamentalisme consensuel, l’opposition de la base souffre souvent d’une obsession de la grève. Au sein du mouvement ouvrier populaire en Suède, on entend souvent un appel à de grandes grèves, voire à une grève générale. Le recours aux grèves a pris de l’ampleur en réponse à la remise en question de la loi suédoise sur la protection de l’emploi, à la prolifération des bas salaires et aux attaques contre le droit de grève. En 2019, des groupes ont tenté d’organiser une grève symbolique afin de souligner la crise climatique, mais à notre connaissance, aucun lieu de travail n’a été fermé.

Il faut reconnaître que nous-mêmes, membres du CAS, avons parfois laissé cette obsession de la grève nous gagner. Nous aussi, nous avons essayé d’en précipiter quelques-unes. La grève pour la défense des fonds d’assurance chômage en 2006, qui étaient attaqués par le gouvernement suédois, en est un exemple. Elle s’est soldée par une défaite douloureuse.

La fréquence des grèves en Suède est en fait très faible depuis le début des années 1990 et l’appel à la grève a tendance à relever du fantasme. Les organisateur.e.s de ces prétendues grèves idéalisent les grèves françaises, ou celles de la Suède avant la Seconde Guerre mondiale. Mais la grève à outrance ne doit pas être fétichisée, et elle n’a aucune valeur si elle ne mène pas à l’obtention de résultats. Cette vision de la lutte s’inscrit dans le mythe fallacieux que la grève représente toujours la meilleure arme des salariés.

Un fait important, mais peu connu, est que le SAC syndicaliste a historiquement été sceptique à l’égard des grèves. Cela a été exprimé dès 1910 dans le Manifeste aux travailleur.e.s de Suède, publié par le SAC. Les luttes ouvrières ne doivent pas être réduites à une lutte de « bras croisés », dit-on dans le Manifeste, et « ce temps est révolu, où il suffisait de jeter la pelle et le rabot de côté et d’imposer nos conditions aux employeur.e.s ». Selon les syndicalistes, les grèves sont souvent coûteuses, longues et peuvent facilement être ruinées par des briseur.e.s de grève et des lock-out. Les employeur.e.s suédois.e.s ont souvent répondu par des lock-out de solidarité dans de nombreuses industries.

L’objectif des lock-out n’était pas seulement de gagner la lutte en cours. Le politologue Peter A. Swenson parle d’un objectif à plus long terme :

Les lock-out ont permis à la classe dominante de façonner les syndicats de manière à en faire des partenaires dans la régularisation du marché du travail. La direction des syndicats, qui est étroitement liée au Parti social-démocrate, n’opposait pas de résistance au mouvement souhaité par les employeurs. Ce qui leur faisait obstacle, c’était le manque de contrôle sur le militantisme décentralisé dans les rangs. Par conséquent, […] les syndicalistes ont parfois accueilli favorablement les lock-out ou les menaces de lock-out. Le claquement de fouet des employeur.e.s leur donnait un prétexte cohérent avec leur idéologie pour intervenir contre le militantisme perturbateur de la base.

Pendant l’âge d’or des grèves, dans les années 1920, les syndicalistes suédois.e.s sont devenu.e.s encore plus sceptiques à l’égard des grèves « tous azimuts ». Les syndicalistes ont concentré la lutte à l’interne sur les services d’emploi des syndicats (bureaux de placement) et sur l’augmentation de l’influence des travailleur.e.s sur le mode de gestion des lieux de travail. La lutte à l’interne pouvait prendre la forme, par exemple, de ralentissements collectifs. Les services d’emploi des syndicats pouvaient aussi stipuler que les employeur.e.s devaient obligatoirement suivre l’ordre et les conditions dictés par les syndicats lors de l’embauche de travailleur.e.s. Lorsque ces services étaient efficaces, ils permettaient aux travailleur.e.s et aux chômeur.e.s de poursuivre des revendications communes contre la partie patronale.

Augmenter la pression

Dans les programmes d’éducation du SAC, nous avons appris à souligner que la route qui mène à des grèves réussies est généralement longue. Les travailleur.e.s peuvent simplement commencer par prendre la parole, par exemple en demandant d’avoir leur mot à dire sur les horaires. Ensuite, ils et elles peuvent faire signer une pétition pour demander à ce que l’employeur.e paye pour leurs uniformes de travail. Si la charge de travail est élevée, l’étape suivante peut consister à demander l’embauche de plus de personnes. Si la direction n’est pas réceptive, c’est peut-être l’heure de commencer à refuser les heures supplémentaires.

Il faut du temps pour acquérir la capacité de faire pression sur les employeurs. Nous finissons par l’oublier à force de concentrer toute notre attention sur la mise en œuvre de grèves épiques. Nos collègues doivent apprendre à gagner de petites batailles avant de voir s’ils et elles sont prêt.e.s à passer à l’étape suivante.

Nous présentons ci-dessous une série de moyens de pression qui contribuent à renforcer la capacité à faire grève. Ces options imposent quatre types de pression différents : morale, psychologique, économique et juridique.

1) La pression morale

Exercer une pression morale signifie que les travailleur.e.s font appel à la volonté des patron.ne.s de faire ce qui est juste selon leur propre compas moral, ou à la volonté d’être perçus comme justes aux yeux du personnel. Par exemple, les travailleur.e.s peuvent remettre en question des décisions prises lors des réunions du personnel, réaliser des sondages auprès des employé.e.s et critiquer des actions de la direction dans leur journal syndical local.

La pression morale est humiliante pour les patron.ne.s. bien sûr, mais il arrive souvent que les patron.ne.s ne se soucient pas d’être perçus comme injustes et qu’ils et elles ne perçoivent pas cette pression comme une punition. Dans ces cas, la pression morale n’aura pas d’effet, mais la pression psychologique pourrait faire l’affaire.

2) La pression psychologique

La pression psychologique consiste à mettre les patron.ne.s sans vergogne dans l’eau chaude. L’objectif est de les déranger. Par exemple, les travailleur.e.s syndiqué.e.s pourraient envoyer des avertissements  aux patron.ne.s qui ont mal traité leurs collègues. Selon le droit du travail suédois, seul.e.s les employeur.e.s peuvent prendre des mesures disciplinaires, mais cela n’empêche pas le syndicat de remettre des avertissements écrits aux patron.ne.s et d’en informer tous.tes les employé.e.s.

Un autre exemple consiste à semer la zizanie entre les patron.ne.s. Les employé.e.s peuvent essayer de s’allier avec des patron.ne.s qui sont réceptifs aux demandes des travailleur.e.s et de s’opposer ensemble aux mauvais.e.s patron.ne.s. Les travailleur.e.s peuvent également rendre visite aux cadres supérieur.e.s pour les persuader de faire pression sur leurs subordonné.e.s.

Une autre variante de la pression psychologique consiste à prendre ses distances avec la direction. On fait alors comprendre aux patron.ne.s que les travailleur.e.s ne veulent pas avoir affaire à eux tant qu’ils ne proposent pas de solutions sensées. Ils et elles pourraient, par exemple, boycotter la fête de l’entreprise, organiser des dîners de Noël sans les patron.ne.s ou renoncer à un voyage d’affaires.

3) La pression économique

Les travailleur.e.s peuvent certes exercer une pression économique sur leur employeur.e en faisant baisser ses revenus ou en faisant augmenter ses dépenses, mais ils et elles peuvent aussi le faire en jouant le jeu de la direction. Comment cela peut-il se faire ?

Une méthode consiste à suivre scrupuleusement toutes les règles. On appelle cela une « grève du zèle », car elle permet aux travailleur.e.s de rester sur leur lieu de travail tout en allongeant considérablement le temps requis pour accomplir toutes les tâches.

On peut aussi penser à la « sous-traitance syndicale ». Cela signifie qu’on fait pression sur un employeur.e par l’intermédiaire d’un.e autre employeur.e qui a un lien quelconque avec le premier. Par exemple, si un conflit de travail survient dans une entreprise de nettoyage qui travaille auprès d’autres entreprises, la direction de l’entreprise de nettoyage peut être mise sous pression par un avis syndical envoyé aux entreprises clientes.

Les formes les plus connues de pression économique sont les grèves et les blocages. Les grèves provoquent généralement l’arrêt complet du travail, tandis que les  blocages entraînent l’interruption de certaines parties du processus de travail. Dans le droit du travail suédois, le blocage est également appelé « action industrielle partielle ».

Les blocages se présentent sous de nombreuses formes : refus de faire des heures supplémentaires, refus d’accomplir certaines tâches, refus d’utiliser certains outils de travail, refus de participer aux voyages d’affaires, blocage du transfert de la force de travail entre différents lieux de travail au sein d’une même entreprise, refus de livrer des marchandises à certaines entreprises, blocage de l’embauche de nouveaux et nouvelles employé.e.s (nyanställningsblockad), etc.

Le blocage de l’embauche de nouvelles personnes est un appel à la solidarité des demandeur.e.s d’emploi : ceux et celles-ci sont invité.e.s à ne pas accepter d’emploi sur le lieu de travail tant que le conflit n’est pas résolu. La loi suédoise stipule que les demandeur.e.s d’emploi ont alors droit à la neutralité, ce qui signifie que le service public de l’emploi ne doit pas diriger les demandeur.e.s d’emploi vers ce lieu de travail.

Une autre méthode, appelée « bonne grève » ou « bon blocage », a vu le jour dans l’industrie du service à la clientèle. Elle consiste à offrir à aux consommateurs et aux consommatrices un service moins cher ou de meilleure qualité aux frais de l’employeur. Cela peut se faire, par exemple, en faisant en sorte que les employé.e.s n’effectuent que les tâches qui touchent directement les client.e.s et ignorent les autres tâches.

La lutte par le biais des syndicats touche les moyens de production. Elle peut être combinée à des actions de la part des consommateur.e.s, si les personnes qui détiennent les moyens de production appellent à de telles actions. Le boycottage est une méthode bien connue, mais son contraire l’est moins. Les syndicats peuvent offrir une certification aux employeur.e.s qui respectent certaines exigences et recommander au public d’acheter chez eux : c’est ce qu’on pourrait appeler une « étiquette syndicale ».

4) La pression légale

La pression légale, quant à elle, se révèle pertinente lorsque les employeur.e.s enfreignent les lois et les ententes. Selon le droit du travail suédois, les recours légaux s’exercent essentiellement par les particuliers et c’est au syndicat d’entamer un processus de négociation collective en vertu de la loi sur la codétermination (Medbestämmandelagen). Cependant, il est préférable que le personnel garde les affaires sous contrôle  sur le lieu de travail et combine la pression légale avec d’autres types de pression.

Raviver le mouvement ouvrier

Une grève est le fruit d’un long processus. Au fil de celui-ci, il est possible que les travailleur.e.s découvrent que d’autres actions fonctionnent mieux que la grève sur leur lieu de travail. En fin de compte, ce sont les résultats qui comptent : l’’objectif est de créer une société meilleure et un monde professionnel plus éthique.

Au sein du SAC, les responsables syndicaux ont le devoir d’aider les sections locales qui décident de faire grève, même s’ils et elles sont sceptiques à l’égard de la grève. Les sections locales sont aussi bien avisées de réfléchir soigneusement aux chances de gagner une grève avant d’en entreprendre une

L’organisation du travail n’est pas toujours  un long fleuve tranquille, mais l’humour renforce généralement l’esprit de combat. Dans ses mémoires, le syndicaliste suédois John Andersson raconte l’histoire d’un conflit salarial dans le port de Göteborg en 1912.

En réponse aux  débardeurs qui avaient procédé à des ralentissements, des contremaîtres.se.s avaient été envoyé.e.s dans les cales pour compenser les pertes. Les travailleur.e.s avaient alors répondu en travaillant encore plus lentement et en chantant l’hymne chrétien Mörkrets furste stiger ned (« le diable descend »). Puis, quand les contremaîtres.se.s épuisé.e.s  ont commencé à monter l’échelle pour sortir, les travailleur.e.s ont entonné Din klara sol går åter upp (« ton soleil glorieux s’élève à nouveau dans le ciel »).

Rasmus Hästbacka est avocat et membre de la section locale d’Umeå du SAC. Kristian Falk est historien économique et membre de la section d’Enköping-Heby du SAC. Une autre version de cet article a été publiée en suédois.

Texte originale de Rasmus Hästbacka et Kristian Falk pour Organizing Work
Traduction: Alex V. et Florence M. pour le SITT-IWW Montréal.

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Une histoire de la Formation d’Organisation du SITT-IWW

Marianne Garneau présente le développement du programme de formation unique de l’IWW et de son approche novatrice en organisation syndicale.

La formation syndicale de l’IWW est virtuellement unique en son genre. Elle consiste en deux ateliers intensifs de deux jours. Ces ateliers sont ouverts à tout·e membre ou travailleur·euse pour leur inculquer les compétences nécessaires à l’organisation de leur milieu de travail : la collecte d’informations, les contacts de leurs collèges, les rencontres un à un, la construction d’un comité d’organisation et le traitement collectif des problèmes. Le but du premier atelier, « Formation en organisation 101 : Construire le comité », est de s’assurer que n’importe quel.le participant·e — sans aucune expérience préalable en organisation — puisse entreprendre sa propre campagne d’organisation au travail et même organiser une modeste action directe avec ses collègues pour régler un grief ou obtenir une concession. Le deuxième atelier, la « Formation en organisation 102 : Le Comité en action », présente une approche systématique pour le traitement des griefs fondée sur l’action en milieu de travail, de même que les détails pratiques et les questions stratégiques concernant le maintien d’un comité d’atelier.

Son curriculum n’est pas pensé pour le personnel employé par les centrales, mais bien pour les travailleur·euses, dans le but de leur enseigner comment organiser leur milieu de travail sans l’intermédiaire d’un personnel syndical payé. L’objectif ultime de l’approche du SITT-IWW est de bâtir une structure dont les actions sont majoritairement menées par les travailleur·euses concerné·es, par l’entremise d’un comité représentatif du milieu de travail, où les décisions sont prises de manière horizontales et qui est capable d’organiser des actions directes sur le plancher pour régler des griefs et assurer de nouveaux gains. Cette approche est une alternative au système des délégué·es syndical·es et au processus standard de négociation, griefs et arbitrage, qui se déroule loin du plancher de travail et qui s’appuie sur des avocat·es et autres professionnel·les. La position de l’IWW est qu’outre le fait que ce processus est couteux et lent, son but est de limiter les actions en milieu de travail, surtout celles qui entraîne une perturbation de l’économie de l’entreprise ou de la société . Pour reprendre leur language: « Travaillez maintenant, déposez un grief plus tard. »

C’est pour toutes ces raisons que la formation de l’IWW est exceptionnellement démocratique comparée aux autres formations syndicales. Elle est aussi démocratique dans sa structure, puisque son objectif est de former les futures formateur·trices. Tout·e membre peut assister aux formations et postuler ensuite pour suivre un cours de certification et devenir formateur·trice. Le programme est supervisé par un comité élu de cinq formateur·trices et est remarquablement stable et capable d’assurer sa pérénité, compte tenu du fait qu’il est entièrement géré par des bénévoles et que son budget est limité (les formateur·trices sont remboursé·es pour le coût de déplacement et reçoivent un petit per diem). Sa capacité augmente systématiquement — en nombre de formateur·trices et en fréquence des formations données — depuis ses débuts, il y a presque 20 ans, ce sont des milliers de personnes qui ont été formées. Cette accessiblité et cette horizontalité sont parmis les aspects les plus populaires et appréciés de l’IWW, de même que la pierre angulaire des campagnes d’organisation les plus efficaces du syndicat.

La conception de la formation d’organisation de l’IWW est une histoire intéressante, parce qu’elle suit l’établissement d’une approche unique au syndicat dans les dernières décennies. Pendant longtemps, suite à la perte des locaux de machinerie lourde de Cleveland dans les années 1950, le syndicat battait de l’aile avec une présence quasi inexistante en milieux de travail et avec des membres bénévoles activistes (n’importe qui sauf un· patron·e peut prendre sa « carte rouge ») qu’on ne comptait que par centaines. Chaque fois que l’IWW tentait de se réinvestir comme organisation ouvrière, son approche était empruntée à celle des syndicats traditionnels et les résultats en étaient majoritairement décevants. Ce qui a motivé le programme de formation était un autre forme de « retour aux choses sérieuses » à la fin des années 1990 et au début des années 2000, alors que l’IWW recommençait à organiser des campagnes. Le programme était une tentative de fournir de meilleures pratiques aux campagnes autonomes, alors marquées par des cycles d’expansion et d’affaiblissement.

Dans un premier, l’IWW a à nouveau emprunté du matériel éducatif et du savoir technique aux syndicats traditionnels grâce aux membres en « dual-carding » qui travaillaient en tant qu’organisateur·trices ou délégué·es chez d’autres syndicats, et grâce aux membres qui avaient été formé·es par d’autres syndicats, comme par l’« Organizing Institute » de l’AFL-CIO. À travers un ensemble de techniques et de stratégies éparpillées, additionnées d’une critique politique de la loi du travail, le syndicat a vu naître son système du comité d’atelier en développant une approche qualitativement différente pour l’organisation du pouvoir ouvrier.

 L’approche « luttez pour des gains, pas pour de la reconnaissance » situe l’IWW dans les marges du monde syndical, comme il l’a toujours été, mais c’est ainsi qu’il a finalement retrouvé ses racines révolutionnaires en rejetant les conventions collectives et la coopération avec le patronat. « L’IWW ne reconnaît aucun droit aux boss », a dit Big Bill Haywood à la Commission on Industrial Relations du Congrès américain en 1915. « Nous disons qu’aucun syndicat n’a le droit de signer un accord avec le patronat… parce que c’est la mission inhérente à la classe ouvrière de renverser le capitalisme et de prendre le pouvoir à sa place. » À travers sa longue période de dormance — alors que se normalisaient les conventions collectives contenant des clauses interdisant le droit de grève et des clauses sur les droits patronaux — l’IWW a maintenu que la loi du travail n’était pas un cadeau à la classe ouvrière. Toutefois, c’était une position quelque peu abstraite, puisque le syndicat n’avait pas d’alternative distincte en terme d’organisation et peu de locaux actifs.

Même si dans les dernières décennies, d’autres syndicats sont devenus plus cyniques par rapport au National Labor Relations Board et aux cours de justice, l’IWW est resté unique en son genre avec un modèle de négociation en milieu de travail séparé des votes d’accréditation, des certifications et des conventions et qui ne se fonde pas non plus sur de l’activisme financé ou sur des coalitions électoralistes, mais qui s’appuie plutôt sur le pouvoir ouvrier en milieu de travail.

Ce qui suit est l’histoire de la conception par l’IWW de sa propre formation d’organisation et de son approche syndicale en général telle qu’elle a évolué pendant presque cinq décennies. Je débute avec des manuels d’organisation distribués aux membres dans les années 1970 et je conclus avec les derniers développements du programme en cours. Cette recherche est fondée sur une revue de chaque manuel de formation que le syndicat a publié depuis les années 1970, sur du matériel d’archive tel que le journal Industrial Worker et le Bulletin d’organisation général, ainsi que sur une douzaine d’entrevues détaillées avec des membres, ancien·nes et actuel·les.

Préhistoire du programme d’aujourd’hui : Pamphlets d’organisation et manuels des années 1970 à 1990.

« A Worker’s Guide to Direct Action » (1974)

Avant le développement d’une formation en personne dirigée par le Comité de formation des organisateurs et organisatrices, les membres avaient accès à plusieurs pamphlets et manuels d’organisation, publiés par des membres et disponibles au quartier général ou dans les branches locales.

L’un d’eux était le « A Worker’s Guide to Direct Action », un pamphlet de 15 pages qui décrivait brièvement des tactiques comme les ralentissements, la grève du zèle, les grèves sur le tas, les grèves de congés de maladie et la dénonciation. Ce pamphlet était en fait une réédition abrégée d’un pamphlet publié par Solidarity au Royaume-Uni en 1971. La version de l’IWW présentait ces tactiques comme une alternative à deux choses : la procédure « lente et maladroite » des griefs, où « une dispute passe par une série de rencontres et finit par être tranchée par une arbitre, habituellement un·e avocat·e ou une professeur·e » et les « longues grèves », qui « coûtent trop cher et sont trop épuisantes pour être utilisées souvent ». De plus, le pamphlet note que « l’exécutif de l’AFL-CIO-CLC… accumule de gros fonds de grève. »

Le pamphlet a été réédité et très modestement mis à jour au cours des ans, par exemple par la branche de Lehigh Valley dans les années 1990, qui a réécrit l’introduction pour décrire les origines historiques du cadre des lois du travail, qui aurait pour but de contenir la guerre des classes, et pour définir l’action directe comme de la « guérilla ». Le pamphlet a aussi été republié par la branche d’Edmonton dans les années 2000 sous le titre « Comment virer son patron ».

Bien que le recours aux actions sur le plancher s’accorde avec l’approche historique de l’IWW, ces écrits sont adressés à des travailleur·euses individuel·les et ne contiennent pas de conseils pour l’agitation ou le développement de ses collègues, ni pour la construction d’une campane et encore moins pour la résistance aux représailles qui suivent l’action directe. Le pamphlet note que pour utiliser ses tactiques, il faut avoir « de l’organisation au travail », du moins dans le sens d’un « accord général que les conditions de travail doivent changer », mais les exemples colorés cités hors contexte sont quelque peu ambitieux, peut-être même irresponsables.

Manuel d’organisation (1978)

Une autre série de pamphlets — cette fois écrits par des membres de l’IWW — a été publiée dans les années 1970. On y trouve un manuel d’organisation et un manuel de négociation. « Le problème de la croissance — comment rejoindre les gens et s’organiser — a dominé la convention [de 1971] », selon les mémoires d’Ottilie Markholt, une activiste syndicale de longue date du Nord-Ouest Pacifique, mais à l’époque une nouvelle Wobbly. Une « femme aux airs trompeurs de grand-mère qui était en fait une syndicaliste intransigeante », selon un hommage posthume publié dans le Industrial Worker trente ans plus tard. Selon Markholt, à la lumière de cette nouvelle priorité, « un groupe de délégué·es s’est rencontré informellement pour planifier la rédaction d’un manuel d’organisation pour l’IWW… La convention a approuvé notre plan et m’a nommée coordinatrice. » Le groupe a « réfléchi au problème des membres-organisateur·trices avec un cercle toujours grandissant de correspondant·es », y compris Fred Thompson, figure emblématique de l’IWW. Le groupe a produit un manuel de 23 pages qui sera vendu par le quartier général.

 D’un point de vue pratique, le manuel reprend les bons conseils habituels de l’époque en matière d’organisation : il conseille d’obtenir une liste de travailleur·euses — sans toutefois fournir beaucoup de conseils techniques — et d’effectuer des visites à domicile. Il souligne l’importance du contact direct, mais discute également d’organiser de grandes réunions pour parler du syndicat aux travailleur·euses (le recours aux réunions de masse pour le développement de contacts a été abandonné dans le programme de formation actuel : ces réunions sont trop perméables aux fuites et se limitent souvent à ce que dans le milieu on appelle le plus petit dénominateur commun). Le manuel conseille sobrement de créer un comité représentatif de l’ensemble du lieu de travail — donc de « chaque département et/ou quart de travail » et de « chaque groupe ethnique et racial… équilibré en termes d’âge et de sexe selon les proportions du lieu de travail ». Il insiste sur le fait que le syndicat « doit être un mouvement majoritaire ou il ne sera rien » et sur l’importance d’élaborer des « règles de travail démocratiques ».

Le manuel reproduit les approches syndicales traditionnelles, incluant la campagne pour remporter un vote d’accréditation. La plupart de ses conseils sont axés sur l’usage de moyens alternatifs comme le piquetage ou la grève pour remporter un vote d’accréditation ou une reconnaissance légale (les formateur·trices d’aujourd’hui rétorqueraient que d’obtenir la reconnaissance légale par ces autres moyens n’en ouvre pas moins la porte à des relations de travail formalisées). La section consacrée à l’action antisyndicale se concentre sur les tactiques légales de blocage de l’accréditation utilisées par le patronat. Un modèle de carte d’adhésion est inclus.

Il est fascinant de constater cette focalisation sur l’accréditation malgré la présence de l’avertissement suivant :

Contrairement au mythe officiel du syndicalisme libéral, le droit de s’organiser et de négocier collectivement n’a pas été codifié… par amour pour la classe ouvrière. Cette législation a plutôt été adoptée pour contenir la rébellion croissante du syndicalisme… Par conséquent, bien que vous puissiez rencontrer des enquêteur·trices et des avocat·es sympathiques dans les bureaux régionaux du NLRB, vous êtes essentiellement sous la direction d’un appareil judiciaire hostile.

En fait, une longue section au début du manuel déplore la récente capitulation de l’IWW au cadre des relations de travail. Il maintient que ce faisant, le syndicat a perdu de vue son intuition fondamentale : le pouvoir des travailleur·euses est fondé sur l’action des travailleur·euses et non sur l’intervention du gouvernement:

Au cours de récentes campagnes, nous avons ignoré la différence fondamentale entre l’IWW et tous les autres syndicats : la reconnaissance de la lutte des classes et le fait que la seule façon d’y mettre fin est d’abolir le système du salariat. On s’est présenté comme un syndicat de négociation avec des cotisations bon marché et des officier·ères peu ou pas rémunéré·es. Nous avons attribué les échecs des autres syndicats aux responsables bureaucratiques et/ou corrompu·es.

Les auteurs et autrices indiquent clairement que les autres syndicats ne sont pas corrompus en raison des lacunes morales de leurs officier·ères, mais bien parce que ces syndicats sont prisonniers d’un cadre gouvernemental qui lie les mains des travailleur·euses :

Les syndicats conventionnels sont fondés sur la prémisse que le travail et le capital sont partenaires, avec le gouvernement comme arbitre, dans un système de collaboration de classe qui profitera aux deux parties… En reconnaissant le droit du gouvernement d’arbitrer le partenariat, ces syndicats renoncent à leur seule véritable source de force, le pouvoir économique…

Les fonctionnaires locaux·ales reflètent ces contradictions. Elles peuvent être des personnes très honnêtes et sincères, mais elles sont immobilisées par ces contradictions. Même si elles comprennent elles-mêmes la lutte des classes et voudraient vraiment voir leurs sections locales négocier sur cette base, elles ne peuvent tout simplement pas accomplir grand-chose face au poids du reste du syndicat.

Encore une fois, les auteurs et autrices soulignent l’absurdité de penser que l’IWW peut participer au système des relations de travail sans tomber dans les mêmes pièges que les autres syndicats. Leur manuel souligne le fait que la participation à ce cadre juridique revient à abandonner l’idée fondatrice de l’IWW :

Nous avons essayé de couper l’IWW en deux et de séparer le préambule [qui affirme que la classe ouvrière et la classe patronale n’ont rien en commun et que le système salarial doit être aboli – MG] et le syndicat en tant que véhicule pour obtenir des revendications immédiates. En fait, nos campagnes disent maintenant : « Oubliez ces idées visionnaires. Nous y croyons, mais nous ne nous attendons pas à ce que vous, des travailleur·euses ordinaires y croient. Considérez-nous simplement comme un syndicat pur et simple pour l’instant. » Nous avons essayé de nous vendre comme un syndicat qui est bon, jeune, pauvre et propre, en opposé à un syndicat qui est mauvais, vieux, riche et corrompu. Ces campagnes ont été uniformément vouées à l’échec.

En d’autres mots, l’action ouvrière directement sur le point de production est essentielle à la construction du pouvoir de la classe ouvrière et à l’obtention de ses revendications, et c’est exactement ce que le système du NLRB s’est efforcé de faire disparaître. En adoptant ce système, l’IWW ne peut faire mieux.

Ce manuel d’organisation nous met face à la contradiction d’une analyse lucide qui reconnaît ces contraintes, mais qui se résout à conseiller aux membres de l’IWW de poursuivre les mêmes stratégies légalistes que les autres syndicats. Alors que l’IWW s’était fixé comme objectif de s’arracher à l’insignifiance historique et d’organiser à nouveau des milieux de travail, le syndicat ne disposait pas encore d’un modèle pour y parvenir. Dans ce premier manuel, la stratégie ne s’agençait pas au but — la pratique était dissociée de la théorie. Il n’y avait aucun moyen d’institutionnaliser l’idée d’une organisation dirigée par les travailleur·euses ou fondée sur la lutte des classes. L’IWW ne disposait pas encore de son propre programme d’organisation.

Manuel de négociation collective (1978)

Le manuel d’organisation a été publié en même temps qu’un manuel de 33 pages sur la négociation collective, également dirigé par Markholt et vraisemblablement aussi rédigé en grande partie par elle.

On y trouve également une réflexion sur le pouvoir des travailleur·euses dans son introduction. On y présente la négociation comme étant fondamentalement une lutte pour le contrôle du milieu de travail et de ses conditions. Malgré cela, les conseils qui suivent sont des documents assez orthodoxes et techniques portant sur la définition de l’unité d’accréditation et sur les trois catégories de clauses de sécurité, de conditions de travail et de rémunération. On reconnaît que la constitution de l’IWW interdit le prélèvement à la source des cotisations, car « l’efficacité accrue ne compense pas la perte de contact personnel entre les membres et le syndicat ».

Dans l’ensemble, le manuel de négociation est quelque peu irréaliste, déconnecté de ce qui serait nécessaire pour appliquer ses conseils : le pouvoir ouvrier. Par exemple, une note explique que « la réduction des heures de travail sans réduction de salaire devrait être un objectif à long terme pour tou·tes les syndicalistes » et suggère que « pour commencer, il faut essayer de passer à une semaine de 30 heures avec 5 jours de 6 heures » — sans vraiment élaborer de stratégie qui vous permettrait de développer un pouvoir de négociation suffisant pour faire de votre compagnie une exception dans son secteur, voire dans l’économie.

Mises à jour de ces manuels

Ces deux manuels ont été mis à jour au fil des ans, mais pas vraiment en fonction des succès ou des échecs des campagnes du syndicat. Le manuel de négociation a été mis à jour en 1983 par Paul Poulos et Rochelle Semel, deux membres de longue date du nord de l’État de New York, qui souhaitaient également que l’IWW reprenne « du sérieux » et se mette à organiser des milieux de travail et à négocier des contrats. À cette époque, le syndicat était surtout composé de militant·es radical·es — des anarchistes et des communistes orienté·es vers le syndicalisme, des officier·ères syndical·es souscrivant à la lutte des classes, des ancien·nes qui se souvenaient de l’âge d’or de l’IWW, des partisan·es têtu·es et des sympathisante·s. Le nombre total des membres du syndicat était de quelques centaines, tout au plus.

Poulos et Semel ont supprimé l’introduction de Markholt sur la lutte de pouvoir entre les travailleur·euses et le patronat. D’autres sections techniques ont été rajoutées (par exemple sur les périodes de probation) avec des modèles pour la formulation de chaque section d’une convention.

Toutefois, il n’est pas certain que le manuel de négociation ou le manuel d’organisation ait été utilisés. L’IWW est parvenu à remporter quelques accréditations et à négocier quelques conventions dans les années 1980 : University Cellar Bookstore, le People’s Wherehouse (un entrepôt d’épicerie) et le restaurant Leopold Bloom’s à Ann Arbor ; Eastown Printing à Grand Rapids ; SANE et Oregon Fair Share à Portland ; et des usines de recyclage dans la région de San Francisco. À l’exception du People’s Wherehouse (qui a duré dix ans) et des usines de recyclage (qui ont encore des conventions IWW à ce jour), la plupart de ces campagnes ont été de courte durée, se terminant souvent à la fermeture de l’entreprise. De nombreuses autres tentatives d’accréditation, souvent accompagnées d’une grève, ont tout simplement échoué.

En 1988 et en 1994 ou 1996 (les archives sont imprécises), le manuel d’organisation est mis à jour, intégrant des commentaires de l’ensemble du syndicat. Cette plus récente version s’est éloignée du modèle de l’organisation d’une majorité pour déposer une requête d’accréditation, notant que « beaucoup de choses peuvent encore être accomplies par un petit groupe sur le plancher qui s’efforce de mobiliser ses collègues autour de griefs particuliers et de coordonner des campagnes d’action directe… » Alors que la version antérieure reconnaissait les diverses tactiques légales à la disposition du patronat pour subvertir ou faire échouer un vote d’accréditation syndicale, les mises à jour ont adopté une ligne plus dure, notant que

même lorsque vous « gagnez » grâce aux lois du travail, vous finissez par perdre — des heures interminables sont passées à poursuivre l’affaire, l’élan est perdu et le pouvoir passe du lieu de travail aux tribunaux patronaux. Même s’il est utile de connaître la loi afin de prendre des décisions éclairées sur toutes les options possibles, le milieu de travail reste votre véritable source de force.

Il reconnaît que le processus de plainte pour pratiques déloyales prend parfois « cinq ou sept ans avant d’aboutir à une “victoire” complète. À ce moment-là, le syndicat a presque certainement été démantelé et la plupart de ses militant.es ont trouvé un autre emploi. » Il s’agit très probablement d’une réflexion sur l’expérience de l’IWW chez Mid-America à Virden, dans l’Illinois. En 1977, l’IWW y a recruté six des sept travailleur·euses et a demandé la tenue d’un vote d’accréditation:

la longue marche à travers les cours de justice voit les membres du syndicat diminuer en nombres, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un en juin 1978… Deux ans plus tard, à l’automne 1980, toutes les procédures d’appels ayant été épuisées, Mid-America a finalement accepté de reconnaître le syndicat et d’entamer des négociations. À ce moment-là, bien sûr, le syndicat n’était plus présent sur le milieu de travail… Le Comité d’organisation industrielle… [a envoyé] des lettres aux employée·s actuel·les de Mid-America pour les informer de la campagne et leur proposer que l’IWW négocie en leur nom. Il n’y a pas eu de réponse et la campagne de Virden a été consignée à l’histoire.

Cette expérience s’est répétée presque exactement de la même manière des décennies plus tard, lorsqu’en 2013, l’IWW a remporté un vote d’accréditation chez Mobile Rail Systems à Chicago, pour ensuite perdre toute présence sur le milieu de travail (relativement petit) pendant la négociation de la convention collective. Le syndicat a finalement accepté d’abandonné la campagne en 2020.

Cependant, même si cette version du manuel d’organisation était plus critique à l’égard du légalisme dans les relations de travail, et même si elle reconnaissait « la possibilité — et même la légalité — de se battre pour des griefs spécifiques, ou même de demander la reconnaissance du syndicat, sans passer par le NLRB », la plupart de ses conseils étaient orientés vers une accréditation formelle en prévision de la négociation d’un contrat.

La mise en place du programme de formation actuel

Il convient de noter à nouveau que ces manuels ne semblent pas avoir été beaucoup utilisés. En1996, l’année où le manuel d’organisation a apparemment été mis à jour pour la dernière fois, il y a eu plusieurs campagnes de l’IWW très médiatisées. Pourtant, les membres de ces campagnes interrogé·es par l’autrice n’ont pas déclaré l’avoir utilisé, bien que certain·es en aient eu connaissance. Les Wobblies se sont débrouillées à tâtons pour mener à bien leurs campagnes enivrantes, guidées par les conseils de membres sporadiquement présent·es, avec un succès mitigé.

Toujours en 1996, l’IWW a perdu de justesse un vote légal d’accréditation chez Borders Books à Philadelphie. Une organisatrice au centre de la campagne a été licenciée et une campagne nationale très médiatisée a été lancée pour protester contre ce licenciement et boycotter la chaîne, avec une forte participation de plus d’une douzaine de branches de l’IWW. Dans la foulée, une série de nouvelles campagnes a vu le jour – au dépanneur MiniMart à Seattle, au Applebee’s de La Nouvelle-Orléans, chez Wherehouse Entertainment dans la région de San Francisco, à Snyder’s Pretzels en Pennsylvanie, à la librairie Sin Fronteras à Olympia et dans plusieurs entreprises de Portland.

Alexis Buss, une membre de Philadelphie qui est devenue plus tard secrétaire-trésorière générale, a déclaré : « Après Borders, nous ne recevions que des miettes, et les gens n’avaient pas d’autre moyen de s’impliquer. La nature d’un syndicat était toujours évaluée à la lumière de la question : “Combien de contrats avez-vous ?” »

Elle était souvent envoyée personnellement pour prêter assistance à ces campagnes. John B, qui a ensuite fait partie du Comité de formation des organisateurs et organisatrices, a décrit la situation ainsi :

Nous avons eu plusieurs campagnes nationales, très publiques, très visibles, qui ont totalement implosé… c’était essentiellement des situations où les milieux de travail étaient déjà sous haute pression, puis trois gars se mettaient debout sur une table en criant : “Travailleurs du monde, unissez-vous !” avant d’être tous congédiés sur le champs. Alexis s’est penchée sur ces campagnes et a mis au point une journée de formation consacrée aux meilleures pratiques en organisation.

Selon Buss : « Nous avons essayé de prendre le temps d’apprendre et de nous améliorer après chaque échec. » Elle a commencé à organiser des ateliers d’une journée pour les campagnes et les branches :

Disons que vous avez un [nom censuré] de Applebee’s qui contacte votre branche, que faites-vous ? Vous ne leur donnez pas des cartes d’adhésion ou des pamphlets sur la méchanceté de leur patron en leur disant : « Bonne chance, gamin. » Donc, on voulait vraiment essayer de construire un comité sur le milieu de travail… On a essayé d’expliciter les défauts des organisateur·trices externes qui faisait le travail d’organisation, les dangers de ne pas avoir de comité, les risques d’ignorer les leaders sociaux au travail…

Peu après, un groupe de quatre membres de l’IWW s’est mis à rassembler sérieusement des documents provenant des syndicats traditionnels. Il s’agissait de Buss, de John Hollingsworth (délégué syndical à Ottawa de la section 225 de l’OPEIU à l’époque et chercheur engagé par l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université), de Josh Freeze (membre de l’Amalgamated Transit Union et plus tard délégué syndical de l’Association of Flight Attendants) et de Chuck Hendricks (de Baltimore et plus tard du Connecticut, devenu un organisateur de UNITE HERE). Hendricks se souvient que le groupe a « commencé à rassembler du matériel de formation de l’AFL-CIO, de UNITE HERE et d’autres syndicats pour créer un manuel d’organisation » et des « formations sur le modèle d’une classe d’école ».

Hendricks faisait partie d’un certain nombre de Wobblies qui avait participé au « Organizing Institute » de l’AFL-CIO. Cet atelier de trois jours permettait d’acquérir les compétences nécessaires pour effectuer une « visite à domicile », notamment avec l’utilisation de jeux de rôles, à l’issue desquels les participant·es ayant réussi étaient recrutées par les syndicats. Ce modèle de classe avec jeux de rôles est devenu la structure de base de la formation en organisation 101.

Ainsi, l’IWW a trouvé le cœur original de son programme de formation chez les autres syndicats : rassembler des contacts, cartographier socialement et physiquement le milieu de travail, identifier les leaders, avoir des conversations individuelles avec ses collègues en suivant le scénario AEIOU (Agiter, Éduquer, Innoculer, Organiser et ”Unioniser”). On y a ajouté une analyse de la différence entre l’IWW et les autres syndicats (pas de personnel rémunéré, pas d’affiliation à un parti politique, pas de prélèvement des cotisations), ainsi qu’une critique du droit du travail et une « chronologie d’une plainte pour pratiques déloyales » rédigée par Buss, destinée à prévenir les participant·es de la lenteur et de l’inefficacité des processus juridiques.

La première formation d’organisation 101 a eu lieu à Portland en août 2002. Selon le rapport du Comité de formation des organisateurs et organisatrices à la convention annuelle :

Quarante membres sont venu·es de tout l’ouest des États-Unis pour un week-end de discussions formelles, de présentations et de jeux de rôle. Nous avons abordé des sujets allant du développement de contacts, de militantes et de leaders à la cartographie du milieu de travail ; d’inciter les collèges à assumer plus de responsabilités et de tâches aux négociations ; des défis des milieux de travail à fort roulement au droit du travail américain… Sans aucun doute, le commentaire le plus fréquent que nous avons reçu dans les évaluations était qu’il devrait y avoir plus de jeux de rôle. Les formateur·trices sont d’accord et pour la plupart des formations à venir, leur place sera considérablement élargie.

Dans les années qui ont suivi, d’autres membres de l’IWW provenant souvent d’un syndicalisme plus classique ont élaboré d’autres modules : deux organisateur·trices de Minneapolis qui avaient toutes deux de l’expérience avec l’AFSCME ont conçu une réunion avec un public captif et un exercice « One Big Organizer » dans lequel les participant.es posent à tour de rôle des questions à un·e membre potentiel·le du syndicat, pour l’agiter et l’éduquer. Dans l’ensemble, l’évolution de la formation d’organisation de l’IWW l’a fait passer d’un format magistral à un modèle d’éducation populaire.

Ainsi, de 1996 à 2003 environ, le programme de formation s’est consolidé, passant d’ateliers informels organisés par Buss à un programme officiel géré par le Comité de formation des organisateurs et organisatrices. Ce comité a rédigé et tenu à jour un manuel de formation, a coordonné les formations et a accrédité les nouvel·les formateur·trices. Lorsque la structure du comité a été effectivement mise en place, elle est devenue une ressource stable qui ne dépendait plus des talents de Buss, qui était depuis passée à d’autres projets.

Cependant, puisqu’il avait fortement emprunté aux syndicats traditionnels, ce programme de formation d’organisation portait encore à ses débuts les marques des approches traditionnelles. MK Lees, qui allait devenir formateur et siéger au Comité de formation des organisateurs et organisatrices, se souvient avoir suivi une première formation d’organisation 101 à Chicago en 2002, alors qu’il organisait des coursier·ères à vélo avec le Chicago Couriers Union de l’IWW. « La formation progressait encore vers le syndicalisme de solidarité… Elle était très critique à l’égard de l’organisation dans le cadre du NLRB, mais elle avait toujours un pied dans les deux mondes. Elle prévoyait qu’elle pouvait être utilisée pour l’organisation via le NLRB ou non » — comme pour les coursier·ères à vélo, classé·es comme travailleurs.euses indépendant·es et non comme employé·es — « mais de nombreux exemples étaient tirés de campagnes d’accréditation légale. » Même si elle ne formait pas et n’encourageait pas les participant·es à déposer une requête d’accréditation, la trame narrative de la formation de deux jours culminait avec une sortie publique du syndicat, comme le font les campagnes d’accréditation. L’atelier présentait également les « étapes d’une campagne » avec comme point culminant une « stratégie de reconnaissance » suivie d’une « négociation » — l’IWW présentait essentiellement une approche traditionnelle qui contournait le NLRB.

En d’autres termes, le syndicat était encore en train de forger sa propre approche à la syndicalisation.

Applications en campagne et révisions du programme

À partir de 2003, le programme de formation en organisation commence à évoluer à la lumière des expériences des campagnes de l’IWW.

Même si la formation d’organisation 101 n’a jamais conseillé de déposer une demande d’accréditation et qu’elle mettait plutôt en garde les participant·es contre le droit du travail, cette leçon s’est concrétisée avec les campagnes axées sur l’accréditation à Portland à la fin des années 1990 et au début des années 2000. En 2003, Portland a publié un document intitulé « Apprendre de nos erreurs », un retour sur quatre campagnes différentes : une entreprise de messagerie à vélo, deux épiceries distinctes et un organisme communautaire à but non lucratif. Les conclusions sont sans équivoque : « Le NLRB a ralenti l’organisation » ; « La bureaucratie du NLRB a ralenti le processus, a freiné notre élan et a pris énormément de temps à plusieurs personnes » ; « Nous n’avons pas envisagé la campagne sans l’accréditation au NLRB » ; « Nous n’avons pas reconnu que le syndicalisme direct fonctionnait bien sans l’accréditation au NLRB » ; « L’organisation s’est concentrée sur le vote d’accréditation plutôt que sur les problèmes des travailleur·euses et la lutte pour des gains concrets » ; « Choses à éviter à l’avenir : avoir un vote avec le NLRB » ; « Utiliser le NLRB  ; « Chercher la reconnaissance officielle du syndicat » ; « Viser à obtenir une convention collective officielle » ; « Abandonner la construction démocratique au sein des comités d’organisation pour se concentrer sur l’immédiateté d’un vote d’accréditation ». Pour une campagne où l’accréditation a été remportée : « Les vrais problèmes n’ont pas été abordés au cours de la négociation » ; « Le syndicat était plus une idée qu’une réalité ». « Choses à faire différemment la prochaine fois : plus de tactiques de syndicalisme d’action directe ». « Expérimenter avec des tactiques de syndicalisme plus minoritaires/directes ».

Néanmoins, le Starbucks Workers Union, lancé à New York en 2004, et le Jimmy John’s Workers Union, lancé à Minneapolis en 2010, ont initialement cherché à obtenir une reconnaissance officielle en déposant des requêtes d’accréditation auprès du NLRB. Le premier a abandonné cette campagne lorsqu’un jugement a déclaré que l’unité d’accréditation devait inclure tous les magasins de Manhattan. Le second a perdu de justesse un vote d’accréditation, et même si ce résultat a plus tard été annulé par le NLRB, le syndicat n’a plus jamais déposé de requête par la suite.

Cependant, au fur et à mesure que ces campagnes progressaient de magasin en magasin et de ville en ville, elles ont augmenté leur capacité à se servir de tactiques d’action directe au travail pour obtenir des gains, notamment des tapis de sol, des pots à pourboire, des contrôles de température, des changements d’horaires, des pauses toilettes, des augmentations, des congés payés, la fin de l’intimidation patronale et le renversement de certains licenciements.

Puisque les campagnes avaient plus de succès avec l’action directe qu’avec les approches juridiques, le programme de formation s’est développé davantage dans cette direction. Des ateliers, parfois donnés en supplément de la formation 10, sont devenus en août 2010 une formation 102 à part entière : « Le comité en action ». Nick Driedger, ancien membre du Comité de formation des organisateurs et organisatrices et vétéran « dual-carder » de l’IWW à Postes Canada (voir ci-dessous), note que le programme a été créé suivant la concrétisation de plusieurs efforts en organisation de l’IWW :

Le 102 a été créé après l’établissement d’une douzaine de comités d’ateliers dans différents milieux de travail. Nous avons donc commencé à élaborer un système pour recueillir les problèmes, cibler le niveau de gestionnaire approprié et faire aboutir les revendications de manière concertée (la procédure de griefs par action directe). On a mis l’accent sur la création de comités capables de durer sur le long terme ; certains de nos comités ont existé pendant environ six ans.

La formation comportait deux volets. Le premier est la tactique March on the boss, où plusieurs employé·es confrontent un·e patron·ne à propos d’une politique particulière ou du traitement des employé·es. D’abord un exercice demandant des réponses écrites détaillées, cette formation s’est transformée en jeux de rôles avec attribution de rôles (vigie, porteur·euse de la demande, interrupteur, etc.) et où les formateur·trices prenaient le rôle patronal.

Une autre section du 102 était une section intitulée « Parties d’une action directe », divisant cette dernière en dix parties. Entre autres : « la demande », « les participant·es », « les témoins », « la cible », « la tactique », « les résultats ». Cette section soulignait l’importance de l’escalade de la pression. De plus, des remarques étaient faites sur la différence entre le « contractualisme sur le milieu de travail » et l’approche de l’IWW, désormais appelée « syndicalisme de solidarité ». La formation discutait des arbitres qui prennent des décisions sans conséquence pour leurs propres conditions de vie, des conventions qui rendent la plupart des grèves illégales et qui repoussent le traitement de plusieurs problèmes jusqu’au prochain cycle de négociation, de ces conventions qui « font perdre du pouvoir aux travailleur·euses pendant la durée du contrat, généralement par le biais de clauses interdisant le droit de grève et faisant la promotion des droits de la direction, et par la reconnaissance de la légitimité patronale en esprit, en pratique et dans la loi ». La formation a opposé à ce modèle celui du « comité d’atelier ». Elle a également abordé l’intégration des nouvelles embauches, de l’efficacité du piquetage, de la gestion des représailles comme les licenciements et de la tenue de bonnes réunions.

Au fur et à mesure que les campagnes se multipliaient et que le programme de formation gagnait en popularité, les sections sur l’action directe ont été intégrées à la formation 101, qui était offerte beaucoup plus fréquemment que la 102. Pour sa part, le programme 102 est devenu une étude systématique du maintien des comités et d’un processus complet pour le traitement de griefs par action directe. La procédure de traitement de griefs a été élaborée après le succès de la campagne de « dual carding » à Postes Canada au début des années 2010. Les membres de l’IWW au sein du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes ont créé et dirigé un programme de formation intitulé « Reprendre le contrôle du plancher de travail ». Leur méthode était d’identifier les leaders sociaux sur le plancher et de leur faire suivre la formation, en utilisant l’infrastructure d’éducation du STTP. Encore Driedger :

Nous avons fait suivre ces formations à environ 160 personnes et nous les avons ensuite ajoutées à une liste de messages texte… pour assurer la coordination entre les comités d’atelier… Nous avons remporté de grandes victoires, notamment lorsque nous avons forcé Postes Canada à embaucher 200 personnes alors que la direction tentait de supprimer des postes grâce à des actions de style March on the boss auxquelles ont participé environ 2000 travailleur·euses [et] lorsque nous avons fait annuler une réduction de salaire de 30 % pour les facteurs et factrices rurales grâce à une grève sauvage de quatre jours. D’innombrables March on the boss, à coups de 8 à 120 travailleur·euses à la fois, ont permis de remporter des revendications allant de changements dans les mesures disciplinaires à l’application de l’ancienneté dans la sélection des routes de livraison, en passant par l’arrêt du temps supplémentaire obligatoire (auquel nous avons mis fin pour environ 1000 travailleur·euses pendant environ six ans, alors que c’était une pratique répandue partout dans les postes depuis des décennies auparavant).

Le processus de traitement de griefs de la formation 102 comprenait désormais une activité de tri et de hiérarchisation des griefs, ainsi qu’un exercice où il fallait dire aux travailleur·euses que leur propre grief ne peut pas être traité pour le moment. La formation a aussi abordé des questions de responsabilité démocratique liées aux campagnes dirigées horizontalement par les travailleur·euses.

Derniers développements

La dernière révision du programme 101 s’est étalé sur l’année 2018-2019. C’était encore le résultat de nouvelles expériences : des retours sur le succès de la campagne IWW au Ellen’s Stardust Diner et sur les défis rencontrés par d’autres campagnes IWW.

Chez Ellen’s, les travailleur·euses ont rendu public leur syndicat en août 2016. Les représailles de la direction se sont fait sentir par le nombre stupéfiant de 31 licenciements illégaux au cours des cinq mois suivants (16 en une seule journée). Le syndicat a fini par obtenir gain de cause en renversant les licenciements et en obtenant des arriérés de salaire dans le cadre d’un règlement supervisé par le NLRB. Toutefois, la campagne a survécu — et le règlement a été imposé — grâce à des efforts soutenus d’organisation, dont le recrutement et la formation d’autres travailleur·euses et la poursuite des campagnes d’action directe dans l’entreprise, en plus des piquets de grève et des campagnes de pression sur la question de la réintégration. Pendant ce temps, le syndicat a obtenu une série impressionnante de victoires, notamment une nouvelle scène, des mesures de sécurité, une salle pour l’allaitement, une augmentation du personnel, des réparations substantielles, des augmentations pour les cuisinier·ères, les plongeur·euses et les hôtes·ses, et la fin des répétitions non payées et du vol de pourboires, le tout sans reconnaissance ni négociation officielle. Tout cela a été rendu possible par une adhésion fidèle aux directives de la formation 101 existante et par la mise en place d’une structure formelle — l’adhésion au syndicat et le paiement des cotisations, des postes de dirigeant·es élu·es, des réunions et des motions, un budget. Cette structure est un contre-exemple aux campagnes hors NLRB qui ont tendance à être des affaires peu organisées gravitant autour de personnalités fortes.

À la lumière de cette expérience, la formation 101 a été révisée pour supprimer la « chronologie d’une campagne » originale qui culminait avec la « sortie publique ». MK Lees et cette autrice ont écrit deux articles pour tenter de résumer les leçons tirées de Stardust. Le premier s’intitule « Do Solidarity Unions Need to “Go Public” ? » (Est-ce que les Syndicats de Solidarité ont besoin de devenir public?) et soulignait que cette démarche n’était qu’un vestige d’une campagne d’accréditation au cours de laquelle la direction est officiellement informée de l’effort syndical et qui, d’après l’expérience de l’IWW, n’avait entraîné que des représailles et des pertes, alors que les luttes permanentes fondées sur les griefs ne subissaient pas ce genre de contrecoup décisif.

L’autre article, « Boom without Bust : Solidarity Unionism for the Long Term » (Exploser sans éclater: Le Syndicalisme de solidarité sur le long terme) , était une réflexion sur la façon dont l’IWW pouvait maintenir son modèle de syndicalisme de solidarité non contractuel dans le long terme, maintenant qu’il disposait de quelques modèles pour le faire. (Il faut reconnaître que les campagnes IWW chez Jimmy John’s et Starbucks ont elles-mêmes duré une dizaine d’années, mais elles n’étaient pas très structurées et avec le temps, elles se sont appuyées de plus en plus sur la publicité et les médias et de moins en moins sur la présence sur le plancher.) L’article a décrit les caractéristiques organisationnelles stabilisantes du syndicat de solidarité de Stardust. Le programme de formation, pour sa part, a remis l’accent sur le recrutement des travailleur·euses en tant que membres en règle à part entière, et sur l’adoption d’une approche systématique en général.

La section de la formation 101 sur le droit du travail, devenue alors un exposé incisif, quoique relativement long du contexte politique et historique de la loi Wagner et de Taft-Hartley, est désormais réduite à une inoculation contre les plaintes pour pratiques déloyales de travail et à une mise en garde général contre les procédures légales. Cette section de près de deux heures a toujours été très controversée : elle était soit la plus aimée, soit la plus détestée des participant·es dans leurs évaluations, mais les formateur·trices responsables de la révision de cette section ont réalisé que sa longueur contredisait effectivement son message, à savoir : mettre de côté le droit du travail et se concentrer sur l’action directe.

La formation 101 se termine maintenant par une note sur la « durabilité des comités » et les « prochaines étapes », donnant des conseils sur la façon dont les travailleur·euses peuvent « monter de niveau » dans leurs campagnes sans tirer sur la gâchette d’un vote d’accréditation ou d’une sortie publique pour récompenser leur organisation, qu’elle soit envisagée comme un moment triomphant ou bien comme un geste désespéré pour renverser une baisse d’énergie. On suggère plutôt : « d’augmenter le nombre de membres » et «de prendre en charge des demandes plus importantes ».

Conclusion

Le programme de formation de l’IWW correspond désormais à son rejet politique de la collaboration de classe et à son cynisme par rapport au droit du travail. Cependant, il n’a pas été élaboré de manière idéologique ou « a priori » ; au contraire, il a progressivement condensé environ 25 ans d’expérience dans des campagnes réelles.

Alors que son matériel original était emprunté aux syndicats traditionnels, il s’en distingue désormais dans les moindres détails. La version de l’AEIOU de l’IWW, par exemple, est axée sur l’action directe et non sur la signature d’une carte d’adhésion. Le programme vise à développer de larges compétences et une conscience de classe chez tou·tes les travailleur·euses. L’échelle d’évaluation indique si un·e travailleur·euse contribue activement à la campagne en participant à de rencontres individuelles, des actions directes ou des travaux administratifs, ou si son soutien à la campagne ne dépasse pas les paroles (à l’autre extrémité du spectre : les travailleur·euses passivement ou activement opposé·es à l’effort syndical).

Cette approche reflète également la structure même de l’IWW : des taux de cotisation très bas qui ne permettent généralement pas de financer du personnel rémunéré, des comités et des conseils d’administration composés de membres bénévol·es, et des campagnes dans des secteurs à bas salaires, à petits milieux et à fort taux de roulement, tel que le commerce de détail, la restauration rapide, les restaurants et les centres d’appel, où les membres du syndicat ont tendance à travailler et où les autres syndicats ne tentent généralement pas de certifier des unités d’accréditation pour des raisons évidentes de coût-bénéfice.

Cependant, toutes les campagnes de l’IWW ne souscrivent pas à l’approche du syndicalisme de solidarité (et cet article n’a abordé qu’une fraction des campagnes des cinq dernières décennies). Il existe toujours des campagnes d’accréditation et de convention au sein du syndicat, en plus d’autres modèles d’organisation, ce qui est rendu possible par le fait que l’IWW est très décentralisé. Les années 2010 ont vu une série de campagnes d’accréditation et de reconnaissance — 18 sur 20 ont été formellement couronnées de succès — qui se sont soldées par la fermeture de plusieurs de ces magasins ou par la disparition de la présence syndicale en quelques années. Le Burgerville Workers Union (BVWU) à Portland, qui a mené une campagne conventionnelle dès le début et qui entre actuellement dans sa troisième année de négociation, demande maintenant au reste du syndicat de l’autoriser à signer une clause interdisant le droit de grève, actuellement interdite par les statuts de l’IWW, et s’est déjà engagé dans un système d’arbitrage des griefs (où la partie perdante paie !). Cela reflète les contradictions, comme le disait le premier manuel d’organisation, d’essayer de construire un pouvoir ouvrier dans le cadre légal des relations de travail. En d’autres termes, les expériences des campagnes de l’IWW, même celles qui ne suivent pas le modèle défini dans la formation d’organisation actuelle, reflètent toujours les leçons et les avertissements distillés dans son programme, ne serait-ce que négativement. Mais le syndicat dans son ensemble, grâce à son modèle de syndicat de solidarité, a dépassé le stade de « syndicat de négociation » qui ne se différencie que par ses « cotisations bon marché et l’absence de dirigeantes rémunérées ». Enfin, le syndicat peut à nouveau mettre en pratique ses idéaux révolutionnaires.

Texte original par Marianne Garneau, présidente du Conseil du département de l’éducation du SITT-IWW et éditrice du blog de réflexion syndicale Organizing Work.

Traduction réalisé en janvier-février 2022 par Félix T. Membre de la section locale montréalaise du SITT-IWW.

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Record de grève en France

De l’autre côté de l’océan, chaque nouveau jour de grève place la barre un peu plus haute et se rapproche des records établis en Mai 68.

Entrant déjà dans sa cinquième semaine d’activité, le mouvement de contestation contre la réforme des régimes de retraite ayant actuellement lieu en France se place déjà comme l’un des plus grands mouvements de grève que le pays ait connus depuis longtemps.  Le 2 janvier, les cheminots de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), surclassaient les grèves de 1995 et 2010 et fracassaient leur précédent record de 28 jours consécutifs, établi en 1986.

Alors que rien ne laisse présager une sortie rapide, de nombreux médias, tels le Nouvel Observateur (l’Obs) et The Independant, ont annoncé que le mouvement de grève actuel pourrait apparaitre comme le troisième plus long de l’histoire de la France, tout juste derrière les évènements de Mai 1968 et du Front Commun de 1936. Il faut dire que le débrayage avait commencé en grande pompe, lorsque le 8 décembre :

Plus d’un million de travailleuses et travailleurs avait manifesté dans les rues de plus de 300 villes, les transports publics étaient à l’arrêt en région parisienne et dans de nombreuses villes beaucoup d’avions sont restés cloués au sol, plus de 70 % des enseignant·e·s étaient en grève avec de nombreuses écoles fermées, le personnel des hôpitaux publics et privés a aussi été au cœur de la bataille. Il en va de même dans les entreprises du privés, où les salairé.es se sont largement mobilisé.es.  (CNT-F)

Si certains observateurs notent un certain ralentissement des actions qui placent côtes à côtes les employé.es du transport ferroviaire et aérien, de la santé, de l’éducation, de la production pétrolière et de certains secteurs de la justice, la reprise des négociations, le 7 janvier, pourrait très bien remettre de l’huile sur le feu.

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crédit photo : Paule Bodilis
https://flickr.com/photos/jmenj/49287405973/

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Montréal: Blocage du Dépôt Marseille de Postes Canada

Après avoir bloqué le plan Léo Blanchet et le dépôt de facteurs Bridge les 10 et 12 décembre derniers, la section locale intersectorielle du SITT-IWW Montréal reprend de plus belle en se rendant cette fois au dépôt Marseille en plein cœur d’Hochelaga-Maisonneuve.

 

Cette initiative de l’IWW Montréal s’inscrit dans un mouvement plus large touchant l’ensemble du Canada où rappelons que depuis l’adoption d’une loi spéciale, charcutant les négociations et forçant le retour au travail des facteurs et factrices de Postes Canada, des actions de blocages et de perturbations ont lieu aux quatre coins du pays. Vancouver, Edmonton, Toronto, Hamilton, Windsor, Ottawa, Mississauga, Montréal, Halifax et Sydney ne sont que quelques unes des villes où des membres de l’IWW ou d’autres groupes syndicaux ou citoyens ont décidé de se lever en solidarité avec les facteurs et factrices, donnant ainsi raison à Mike Palecek, président national du Syndicat des Travailleuses et Travailleurs des Postes (STTP/CUPW) qui annonçait à Radio-Canada:

 

« 50 000 syndiqué.es se sont fait interdire de tenir une ligne de piquetage devant des bureaux de postes, mais 3 millions ont encore ce droit. Nous ne sommes pas les seul.es prêts et prêtes à défendre notre droit à la libre négociation collective! »

 

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Crédit photo: SITT-IWW Montréal

Frontière canado-américaine: Des réactionnaires confrontés par des activistes, travailleurs et travailleuses

Le samedi 19 mai, plus de 150 activistes de la région de Montréal se sont rassemblé-es à la frontière canado-américaine pour à la fois dénoncer les groupuscules racistes y organisant une manifestation anti-immigration et pour remettre en question la légitimité d’une frontière militarisée, mise en place par les états bourgeois colonialistes de la soi-disante « Amérique du Nord ». Principalement à l’aide de l’organisation du groupe Solidarité Sans Frontières, les activistes ont embarqué dans des autobus au centre-ville de Montréal (à une heure de distance de la frontière), tandis que d’autres se sont rendu-es au site de l’action en automobile, par leurs propres moyens.

 

Le contexte pour les traversées irrégulières

La frontière entre les États-Unis et le Canada est un enjeu de la plus haute importance pour les militants et militantes de la région. En plus des profonds problèmes structurels qui concernent le maintien des frontières dans les états colonialistes, de récentes failles dans quelques législations étatiques motivent davantage de réfugié-es à traverser la frontière irrégulièrement, d’un côté comme de l’autre. Un traité signé entre le Canada et les États-Unis, baptisé « L’Entente sur les tiers pays sûrs », stipule qu’un-e réfugié-e dans un des deux pays ne peut pas faire une demande d’asile dans l’autre, puisque chacun des deux états bourgeois policiers génocidaires considère que l’un et l’autre sont assez sécuritaires pour décider du sort des « pauvres gens » de ce monde. L’exception à cette règle est la « traversée irrégulière », où un demandeur ou demandeuse d’asile dans un pays ou l’autre peut se rendre dans l’autre et ainsi être traité-e si elle ou il fait cette traversée par des chemins non officiels. Par exemple, traversant la frontière en tant que réfugié-e espérant faire une demande soit au Canada ou aux États-Unis, une personne se verra refuser l’entrée au pays si elle se présente à un poste douanier, mais pas si elle traverse par les nombreux chemins, forêts et autres points d’entrée « non officiels ». Ces lois, telles qu’elles sont, incitent les personnes migrantes à traverser « irrégulièrement », ce ne devrait donc pas être une surprise si plusieurs familles, migrant-es, réfugié-es, travailleurs et travailleuses traversent de cette façon.

 

La réaction de l’extrême droite

Plutôt que de dénoncer les problèmes systémiques à la source de ce problème (le bombardement et la destruction des maisons de personnes habitant dans d’autres pays, ainsi que l’imposition violente du système capitaliste d’exploitation qui peut bien tuer ici même), des groupuscules réactionnaires tentent de fissurer la société, avec la bénédiction implicite des élites, pour diviser et conquérir la classe des travailleurs et travailleuses. Ces groupuscules canadiens qui se déguisent en milices paramilitaires fascistes du début du 20e siècle (avec un vernis de modernité) ont presque copié point pour point le langage et les tactiques d’autres groupes similaires de l’extrême droite, aux États-Unis et ailleurs, dont plusieurs utilisent un vocabulaire déshumanisant pour parler des réfugié-es, enfants et familles fuyant des situations hostiles en quête d’une vie meilleure. Ces groupuscules, en particulier ceux comme « Storm Alliance », « La Meute » et les « III%ers », tentent d’acquérir de la légitimité dans la société civile en se présentant comme ceux qui demandent le respect de « la loi et l’ordre », parmi d’autres qui pourraient concerner l’individu moyen. En réalité, non seulement leurs faibles tentatives à la civilité et à la légitimité sont fondées sur de fausses prémisses, mais en plus ces groupes sont garnis d’une multitude de réactionnaires, fascistes, néonazis et autres assortiments de membres de l’extrême droite, qui se mobilisent en vue d’une prise de pouvoir. D’autres manifestations frontalières du même genre en 2017 ont révélé la présence de néonazis et fascistes montréalais proéminents dans ces groupuscules, incluant Shawn Beauvais Macdonald, qui fut présent à Charlottesville pour la tristement célèbre manifestation néonazie « Unite the Right » (il n’est pas clair s’il était présent le 19 mai à Lacolle), et qui fut aussi récemment exposé comme membre d’un forum Discord néonazi montréalais, sous le pseudonyme de « friendly fash ».

 

La position anti-raciste de l’IWW

En solidarité avec tous les travailleurs et toutes les travailleuses, des membres des branches de Montréal et de Québec de l’IWW étaient présents samedi à la frontière pour la contre-manifestation. Le fléau du migrant et de la migrante est le fléau du travailleur et de la travailleuse. Contrairement aux rapports de fausses nouvelles, les personnes qui traversent irrégulièrement la frontière travaillent non seulement très fort (il faut du courage pour traverser la moitié de la planète avec sa famille), mais en plus leur position précaire les place dans une position extrêmement vulnérable en ce qui concerne leur emploi. Les réfugié-es sont exploité-es par les propriétaires d’entreprises, qui peuvent les sous-payer et les surtravailler puisque la menace d’une déportation est souvent suffisante pour garder un contrôle total sur eux et elles. L’IWW dénonce toutes formes d’esclavage salarial, particulièrement en ce qui a trait aux personnes les plus vulnérables. Les membres de l’IWW, que ce soit individuellement ou par contingent, vont continuer de travailler en solidarité avec les groupes qui participent activement dans la transformation radicale de la société et l’abolition du mode capitaliste de la production. Que ce soit sur la question des frontières, contrer les groupes anti-immigration, ou bien aider les travailleurs et travailleuses de tous horizons à organiser leur milieu de travail, l’IWW se dresse en solidarité avec les groupes et individus qui veulent construire un monde meilleur à partir des cendres de l’ancien. Une attaque contre une personne est une attaque contre tous et toutes!

 

La confrontation

Au final, les cosplayers néo-fascistes paramilitaires n’ont pas pu se rendre à leur destination initialement prévue, le chemin Roxham, qui relie les États-Unis et le Canada et qui est assez populaire chez ceux et celles qui traversent irrégulièrement. Les activistes présents et présentes au chemin Roxham l’ont tenu, dans une ambiance relativement calme et festive. Au poste frontalier officiel de Lacolle par contre, des réactionnaires ont pu assurer une courte présence. Malgré une présence forte, les activistes ont été durement attaqué-es par les agents de l’oppression de l’état. L’autoroute 15 a été saisie et bloquée par plusieurs militants et militantes pour tenter de refouler le convoi automobile des racistes, ou du moins de leur empêcher l’accès à la frontière en tant que telle. Malheureusement, des policiers antiémeutes ont attaqué les activistes antiracistes, arrêtant au passage un fellow worker et membre de l’IWW Montréal. Après que les activistes aient été retiré-es de l’autoroute, une scène troublante s’ensuivit. Le convoi des racistes a reçu un traitement de première classe par l’état avec une escorte policière. Heureusement, la camarade Température a amené des averses, et presque en l’espace d’une heure, les réactionnaires ont quitté leur manifestation protégée par la police (aussi incluant la présence de la commentatrice néo-fasciste canadienne de fausses nouvelles, « Faith Goldy ») et ont regagné les pathétiques coins sombres qu’ils occupent couramment dans la société.

Motivée par les médias bourgeois et littéralement protégée par la police, l’extrême droite tire avantage de la crise du capitalisme avancé pour recruter de nouveaux membres. Il est important qu’en tant que militants radicaux et militantes radicales, qu’en tant que classe travailleuse et qu’en tant que membres de l’IWW, nous nous mobilisons en solidarité avec d’autres groupes pour dire: « No Pasaran! La solidarité des travailleurs et travailleuses éclate les frontières et les états! » Jusqu’à la prochaine fois, la lutte continue!

 

Solidarité pour toujours,

Josip B.

Crédit photo: un camarade

In english.

Canadian-American border: Reactionaries clash with fellow workers and activists

Saturday May 19th, over 150 activists from the greater Montreal area gathered at the US-Canad border to both denounce racist groups organizing an anti-immigrant demonstration, as well as to call into question the legitimacy of a militarized border enforced by the bourgeois settler colonial states in so called “North America.” Mainly organized by the group “Solidarity Across Borders” (Solidarité Sans Frontières), activists embarked on busses from the downtown core of Montreal (only about one hour from the border proper) or took personal vehicles themselves to the action.

 

The context for the irregular border crossings

The border between the United States and Canada has been an especially important issue for activists in the region. On top of the deeper systemic issues with regards to enforcing borders among settler colonial states, more recent loopholes in haphazard state legislation has given incentive to refugees to cross irregularly into either the United States or Canada. An agreement signed between the two nations called the “safe third country agreement” stipulates that a refugee claimant in either country cannot make a claim in the other, as each genocidal bourgeois police state reckons themselves safe enough to help one another gatekeep the world’s “poor and downtrodden.” The exception to this is for “irregular crossings,” whereby a refugee claimant in either country can cross to the other and be processed if they cross through a non-official means. For example, crossing as a refugee hoping to make a claim from the United States to Canada, an individual that enters at an official border crossing will be turned down, but one coming by one of the many roads, forests, and other “unofficial” points of entry will not be de facto denied into the country. The legislation as it is incentivizes people to cross “irregularly” and it should be no surprise that many families, migrants, workers, and refugees cross this way.

 

The reaction of the far-right

Rather than call out the systemic issues that caused this situation, from the literal bombing of people’s homes overseas, to the violently enforced capitalist system of exploitation that kills here at home, reactionary groups are attempting to create fissures in society, with the implicit consent of the ruling elite, to divide and conquer workers. Groups in Canada that cosplay early 20th-century fascist paramilitary groups (with a veneer of modernity) have nearly copy-pasted the language and tactics used by other far right groups on the American continent and beyond, with many using dehumanizing language to speak of refugees, children, and families escaping dire situations to embetter themselves. These groups, in particular those such as “Storm Alliance,” “La Meute,” and the “III%ers,” try to gain legitimacy in civil society by presenting themselves as the groups calling for “law and order,” among other things that may be of concern to the average individual. In reality, not only are their feeble attempts at civility and legitimacy based on false pretences, the groups themselves are fronts for a plethora of far right, reactionary, fascist, and neo-nazis to gather in an attempt to rise to power. Similar border demonstrations in 2017 brought out famous Montreal neo-nazis and fascists on the side of these groups, including Shawn Beauvais Macdonald, an individual who was in Charlottesville for their infamous “Unite the Right” neo-fascist gathering (it was unclear if he was present at Lacolle on the 19th), and who was recently exposed as a member of a Montreal neo-nazi Discord chat as user “friendly fash.”

 

The IWW anti-racist position

In solidarity with all working people, members of the IWW branches in both Montreal and Quebec City were present at Saturday’s border protest. The plight of the migrant is the plight of the worker. Contrary to fake news reports, people who cross into a state through irregular means are not only some of the hardest workers (it takes guts to travel somewhere half way around the world with your family) but their precarious positions put them in extremely vulnerable labour situations. Migrants are taken advantage of by business owners, who can underpay and overwork them as the threat of deportation is often enough to keep absolute control over them. The IWW denounces all forms of wage slavery, especially in the case of society’s most vulnerable. IWW members, whether as individuals or coming through as a contingent, will continue to work in solidarity with groups that actively participate in the radical transformation of society and the abolishment of the capitalist mode of production. Whether the issue is borders, countering anti immigrant groups, or helping workers of all backgrounds to organize a workplace, the IWW stands in solidarity with groups and individuals that want to build a more equitable society out of the ashes of the old. An injury to one is an injury to all!

 

The confrontation

By the end of the day, neo-fascist paramilitary cosplayers were unable to go to one of their planned destinations, Roxham Road, a road connecting the US and Canada that is popular with people looking to cross irregularly. Those present at Roxham Road held it and kept a relatively calm and festive mood. Over at the official border crossing of LaColle though, reactionaries were able to maintain a short presence. Despite a large presence, activists were attacked hard by agents of state oppression. Highway 15 was taken and blocked by several protesters in an attempt to get the car convoy of racists to turn back or, at least, not have access to the border proper. Unfortunately, state agents in full riot gear attacked the brave anti-racist activists, arresting a fellow worker and IWW Montreal member in the ensuing clash. After activists were cleared off the highway, a disturbing scene followed. The convoy of racist boneheads were given first class treatment by the state with a police escort. Thankfully, Comrade Weather brought showers, and almost within an hour, reactionary boneheads left their police protected protest (which also included noted neo-fascist Canadian fake news commentator “Faith Goldy”) and went back to the sick sad shadows they currently inhabit in society.

Spurred on by bourgeois media and literally protected by the police, far right groups are taking advantage of the crisis of late stage capitalism to recruit new members. It is important as radicals, and the working class, and IWW members, that we mobilize in solidarity with other groups to say: “No Pasaran! Working class solidarity smashes borders and states!” Until next time, the fight continues!

 

Solidarity forever,

Josip B.

Photo credit: a comrade

En français.

Union action following a wave of abusive firings at Heritage Coffee

Wednesday February 28th, the Montreal branch of the Industrial Workers of the World (SITT-IWW) started a picket line in front of the distribution centre Heritage Coffee, situated at 5715 chemin Saint-François in Ville Saint-Laurent. This picket line follows the firing of two workers, members of the SITT-IWW, for union organizing. A lot of members called on Monday to communicate to the employer their frustration towards this decision that goes completely against the most fundamental rights of the workers.

Friday February 23rd, around the end of her shift, Tessa Mascia was asked to come in the office of the Chief Operating Officer where she was fired. “The COO handed me a letter and said I was fired. I thought he was joking. He said he was not. He said “it just wasn’t working out,” like he was some teen kid breaking up with a high school hook up.” explains Tessa. The worker was however a good employee. She had one of the highest levels of productivity among her coworkers and was just certified to operate a forklift merely weeks prior. On Monday, February 26th, Kyle Shaw-Müller, another union member, was fired without even receiving a termination letter. He was asked to come into the office of the director after he trying to convince his colleagues to ask the employer to reverse his decision to fire Tessa. “I knew I was putting myself on the line: but to be fired without warning for talking to someone about another firing? Shocking.”

After numerous calls on Monday, a picket and a meeting with negotiators from the Union, the employer is still refusing to cancel his illegal and rash decision. The Industrial Workers of the World will therefore not only call upon the legal means at its disposal, but will also mobilize the strength of its membership (Canadian and International) to change the employer’s mind.

The Industrial Workers of the World has many branches around the world, including one it’s base in Montreal. Its members are working towards the construction of a union modal based on robust working class solidarity, known as Solidarity Unionism. This model is characterized today by a focus on direct action at the workplace, as exemplified in our campaigns at Starbucks Coffee in the United-States or at Frite-Alors! in Quebec. The Union will continue in the creation and deployment of determined flash mobilization networks directly focused at the workplace in solidarity with workers under attack.

 

Media contact: Sylvain Mousseau 438-345-5046

En français.