Faire des courbettes pour des subventions… et oublier la lutte sociale.

En ouvrant mon Facebook aujourd’hui je lis qu’un CEO(1) de Dunkin’ Donuts a qualifié de « scandaleux » (« outrageous ») la revendication du salaire minimum à 15$ de l’heure de la campagne actuellement en cours aux USA. Ce monsieur, disait-on, gagne lui-même un petit 4 889 $ de l’heure!

Vous me direz qu’il ne faut pas croire tout ce qu’on lit sur Facebook. C’est vrai. Il demeure que, selon les chiffres cités par Jacques B. Gélinas dans son livre La globalisation du monde, publié chez Écosociété en 2000, les hauts cadres des multinationales gagnaient en moyenne 500 fois le salaire de leurs employés !
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Bref, les CEO de Dunkin’ Donuts, Walmart et autres McDo de ce monde ne sont pas à plaindre. Aussi, je doute fort qu’une telle culture d’entreprise permette à un sans-emploi de vraiment améliorer son sort en joignant leurs travailleurs, parmi les plus mal rémunérés au monde. C’est sans compter tous les saccages à l’environnement et autres « externalités » que causent ces méga-entreprises et qui ne peuvent qu’inciter au boycott de leurs produits. Pourquoi devrait-on encourager un jeune adulte sans emploi à déposer son CV dans l’une de ces boîtes, si on désapprouve leurs pratiques comme employeur (le mépris des plus petits, l’anti-syndicalisme, l’abus de pouvoir, etc.) sans parler de leur irresponsabilité sociale et environnementale?

Cette incitation à déposer son CV auprès des pires entreprises au monde était pourtant pratique courante lorsque j’ai travaillé dans une ressource d’hébergement pour jeunes adultes… Sachant que plusieurs collègues désapprouvaient mon point de vue, je préférais glisser à l’oreille de nos jeunes en difficultés : « Va pas travailler là! ».

En tant que travailleurs du communautaire, quel rôle devrait-on jouer auprès des plus mal pris? Les inviter au « travail, consomme pis ferme ta gueule » généralisé? Ou les éduquer aux vraies raisons de leurs conditions misérables? Chassez ainsi la culpabilité qu’on fait porter sur leurs seules épaules, leur donner l’envie de se battre pour améliorer leurs conditions dans leur milieu d’appartenance, ou les pousser toujours plus dans la compétition et la recherche d’un « American dream » inatteignable?

Je me le suis souvent demandée, comme travailleuse du communautaire. J’ai souvent senti que quelque chose clochait dans les objectifs que nous poursuivions.

Les subventions que les instances publiques concèdent au secteur communautaire visent trop souvent des projets ponctuels, avec des buts mesurables, mais surtout, il faut que les projets qu’on cherche à financer collent avec les objectifs des différents ministères qui les administrent. Pas moyen que ce soit plutôt les subventions qui collent aux objectifs des organismes ! L’effet pervers est que nos cadres, toujours à la recherche de fonds de tiroir pour faire survivre leur organisme, finissent par oublier la mission première et par se conformer aux attentes des bailleurs de fonds. Celles-ci ne consisteront jamais, bien sûr, à faire de l’éducation politique et populaire, à viser l’épanouissement des individus et

l’« empowerment » des démunis, ni à combattre la gentrification. On aura beau nous dire le contraire, la seule « autonomie » que les programmes favorisent, c’est le retour à l’emploi ou aux études (de préférence dans un domaine en pénurie de main d’œuvre, qu’il soit payant ou pas pour les travailleurs!).

Plein de bonnes intentions, mais le nez collé sur sa propre survie et sur les critères des programmes de subventions, une grande partie du communautaire a perdu de vue la mission de rassembler les démunis dans une démarche plus combattive d’« empowerment », pour améliorer leurs milieux de vie, de développer leur conscience de classe, pour leur redonner la fierté qu’on leur vole en les isolant chacun dans la recherche du travail coûte que coûte. De même, les personnes pour qui nous travaillons sont de plus en plus obligées de s’inscrire dans une démarche « individuelle » (comme si tout dépend uniquement de leur bonne volonté de s’en sortir) de même les organismes sont, depuis les années 80, obligés de compartimenter leurs actions en fonction des subventions recherchées : tel travailleur est engagé pour telle « partie » du travail , et on doit le payer à partir de tel tiroir et pas tel autre. La mission globale se perd dans les méandres des exigences administratives des programmes : est exclue toute vision d’ensemble.

Avoir une grille d’analyse avec un langage politique est devenu un tabou depuis longtemps dans nos groupes. Parler de remise en question du capitalisme, des rapports de pouvoir, ça agace un paquet de monde. Osez dire que c’est le capitalisme le problème et plusieurs collègues vont rire ou vous traiter de « dépassé ».

Pourtant, il faudra bien accepter qu’on ne pourra pas toujours juste travailler sur les symptômes et mettre en pratique des solutions « band-aid » sur des problèmes de fonds. Il va falloir accepter de regarder comment sont vécues les relations de pouvoir dans nos groupes mêmes et nous demander s’ils servent un vrai changement social, ou s’ils ne font que perpétuer le problème des inégalités sociales et économiques.

Vous voulez réagir à cet article? D’accord, pas d’accord? Écrivez-nous au : [email protected] [email protected][email protected]! Dites-nous comment les choses se passent chez vous.

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Le Ra-Je citoyenne : une expérience d’empowerment et d’éducation politique

Créé à l’initiative de quelques ressources membres du Regroupement des Auberges du cœur du Québec (RACQ), à partir de 2010, le Ra-je citoyenne est un lieu de réflexion et d’action collective qui a permis à un certain nombre de jeunes adultes marginalisés (sans domicile fixe, ni revenus fixes) de travailler à une plate-forme de revendications collectives, touchant notamment l’accès des jeunes à l’aide sociale.

Participants à des manifestations, des occupations et autres moyens de pression auprès des ministères concernés les participants volontaires (tous résidents des auberges du cœur) ont pu apprendre à lutter à l’intérieur d’un groupe, sur la base de revendications politiques et économiques. La lutte collective leur a permis de vivre la solidarité et de trouver du courage pour faire face aux difficultés avec l’aide sociale, au lieu d’être seuls et isolés devant la machine qui les broie… Un premier pas, pour la majorité d’entre eux, vers la conscience de classe et une prise de conscience de la dynamique aliénante du capitalisme.

Il va sans dire que le Ra-je n’a pas reçu de subvention et le salaire de son seul permanent fut payé par le RACQ lui-même

Pour info : https://rajecitoyenne.wordpress.com/

La Sociale, Volume 5, Mai 2016

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