Passons à l’action !

Owen King discute de l’importance de s’attaquer à des revendications spécifiques dès le début d’une campagne.

Contrairement à la plupart des syndicats, le SITT-IWW ne demande pas à ses membres de passer par les tribunaux pour obtenir justice. Légalement parlant, les patrons n’ont jamais intérêt à ce qu’un syndicat s’installe dans leur entreprise. Plusieurs organisateurs et organisatrices dans les campagnes chez Amazon et Starbucks ont été congédié·e·s en raison de leur activité syndicale, même si le droit à la syndicalisation est protégé par la loi. Dans ces deux situations, le National Labor Relations Board (NLRB) a mis énormément de temps à réagir; dans le cas de la campagne chez Amazon, le juge s’est prononcé en faveur de l’organisateur Gerald Bryson, qui s’était fait congédier, mais seulement après que les employés de l’entrepôt aient voté en faveur du syndicat. Si ces campagnes ont duré, c’est vraiment parce que des organisateurs et organisatrices ont continué à mobiliser leurs collègues, pas parce que la loi était de leur côté

Étant donné que les travailleurs et les travailleuses ne peuvent pas compter sur les lois pour les protéger, l’objectif de l’OT101 est de leur enseigner à construire un pouvoir collectif avec leurs collègues : en mettant de la pression sur le patron, en perturbant la production sur le lieu de travail, en grugeant les profits, ou même en s’appropriant le pouvoir qu’exerce le patron. C’est parce qu’elle nous apprend à compter sur nos propres capacités, celles de nos collègues et celles de notre comité au lieu de dépendre des avocats et de la bureaucratie que cette formation est difficile.

Les médias présentent rarement des histoires d’organisation syndicale, ce qui nous complique la tâche; nous n’avons pas beaucoup d’exemples pour illustrer nos propos. Et même quand des journalistes parlent des luttes ouvrières, iels vont beaucoup plus parler des élections et des conflits légaux que des grèves et des actions directes. La dernière infolettre hebdomadaire de Jonah Furman (« Who Gets the Bird ») en est un bon exemple : la section sur les grèves est au moins deux fois plus petite que celle sur les élections dans un des gros syndicats nationaux, même si l’auteur a pris le temps de bien faire ses recherches. Il est encore plus rare de voir des récits d’employé·e·s qui réussissent à faire changer les choses dans leur milieu de travail sans passer par la négociation d’une convention collective ou qui font autre chose que la grève (comme signer une pétition ou faire un march on the boss).

Ce manque d’exemples d’actions directes menées par des travailleurs et travailleuses complique également la tâche des comités d’organisation qui ont suivi l’OT101 quand vient le temps de gagner la confiance de leurs collègues afin de faire les premières actions directes d’une campagne. Dans tous les milieux de travail, vous trouverez des gens prêts à rejoindre et à bâtir le syndicat la première fois qu’iels sont contacté·e·s par le comité; en fait, la plupart des comités d’organisation du SITT-IWW prennent forme quand ces personnes se rassemblent et suivent l’OT101. Mais il y a aussi des gens qui pourraient être amenés à rejoindre le syndicat après en avoir discuté avec un·e membre du comité, et c’est là que le manque d’exemples pose problème. Enfin, il y a des gens qui ont besoin de voir une action directe se dérouler avec succès dans leur milieu de travail pour être convaincus de signer leur carte. Ces catégories sont décrites en détail dans la section Know the Union, Hear the Union, See the Union du texte Weakening the Dam (« Affaiblir la digue »). Je peux dire d’expérience que la plupart des travailleurs et travailleuses entrent dans l’une des deux dernières catégories : iels ont besoin d’« entendre parler du syndicat » et de « voir le syndicat » en action pour s’y intéresser.

Dans une campagne centrée sur l’action directe, vous ne pouvez pas vous contenter de dire à vos collègues que la loi protège leur droit de s’organiser avec leurs collègues pour défendre leurs intérêts ou que la signature d’une carte de membre suffit pour soutenir leur syndicat local. Vous devez leur prouver que l’action collective peut les mener à la victoire. Cela veut dire qu’iels devront monter sur le ring, avec les travailleurs et travailleuses dans un coin et les patrons dans l’autre. Si vous ne parvenez pas à mener une action directe avec succès, il est possible que vous n’arriviez pas à convaincre la majorité de vos collègues de s’impliquer réellement. Si votre comité ne passe pas à l’action lors des premiers stades de la campagne, vos membres risquent de se coincer dans un engrenage fatal.

L’engrenage fatal

Le but de l’OT101 est d’apprendre à bâtir un comité. Plusieurs étapes doivent être suivies avant de passer à l’action : trouver les coordonnées de ses collègues, les rencontrer en tête-à-tête et évaluer leur engagement, faire la cartographie sociale du milieu de travail, etc. Il arrive toutefois que le développement du comité se fasse au détriment de l’action directe. Cela devient problématique si, par exemple, le comité préfère recruter plus de collègues que de confronter leur patron. S’iels n’ont pas suivi l’OT101, les membres du comité pourraient inviter des collègues à qui iels n’ont parlé que quelques fois à venir à une rencontre de comité, et tenter de les convaincre de rejoindre le syndicat lors de la réunion.

À priori, il n’y a rien de mal à vouloir recruter plus de membres. Les travailleurs et les travailleuses ont besoin de la force du nombre, et un gros comité permet de canaliser cette force. Cela dit, les comités tombent parfois dans un engrenage dangereux : ils ne feront pas d’actions tant qu’ils n’auront pas assez de membres, mais ils n’arrivent pas à recruter de nouveaux et nouvelles membres s’ils ne posent pas d’actions concrètes. Si vous vous organisez seulement dans le but d’établir un rapport de force lors de la négociation d’un contrat, ce ne sera pas un problème; dans ce scénario, l’action directe est vue comme une solution de dernier recours si vous ne parvenez pas à conclure d’entente. Dans notre vision des choses, par contre, nous considérons l’action directe comme un moyen de donner confiance à vos collègues et envers leur comité.

Si les membres du comité ne parviennent pas à se mobiliser dans des actions directes, la campagne peut frapper un mur. Si celle-ci ne mène à aucune action concrète ni victoire, les organisateurs et les organisatrices vont se décourager, quitter le comité et peut-être même quitter leur emploi. En conséquence, les membres du comité commenceront à utiliser les rencontres en tête-à-tête pour recruter de nouveaux membres au lieu de prendre le temps de discuter avec leurs collègues de leurs problèmes et des moyens de les surmonter. Puisque le comité ne parviendra plus à aller chercher plus de membres que ceux et celles qui connaissent déjà le syndicat, la campagne va s’éteindre une fois que toutes ces personnes auront rejoint le syndicat, se seront épuisées à la tâche et auront fini par quitter.

Comment régler ce problème?

Pour sortir de ce cercle vicieux, il faut s’attaquer à un problème spécifique. Nous prenons déjà des précautions pour éviter les répercussions négatives de nos petites actions, par exemple en veillant à ce que les membres du comité ne dévoilent pas l’existence du syndicat ou ne fassent pas des réunions avec des collègues qui ne sont pas dans le coup. En revanche, une action peut être un succès même si elle n’est réalisée qu’avec une minorité des employé·e·s. Dans l’une des campagnes où j’étais organisateur externe, un comité formé de quatre travailleurs et travailleuses a réussi à obtenir des augmentations de salaire et des jours de congé grâce à des actions de petite envergure. L’administration avait demandé aux employé·e·s quels changements iels aimeraient voir dans leur milieu de travail et les membres du comité, ainsi que quelques autres employé·e·s favorables à la campagne, ont présenté les problèmes que le comité avait jugés prioritaires. Les patrons ont cédé aux revendications (notamment celles qui portaient sur le salaire et les congés de maladie), mais ils n’ont jamais eu vent de la campagne d’organisation. Pourquoi? Parce que les membres du comité ont décidé de s’attaquer à des enjeux que leurs collègues avaient à cœur, qu’iels ont fait participer ceux et celles qui ne faisaient pas partie du comité, et qu’iels ont mené une action directe qui leur semblait réalisable en lien avec une revendication qu’iels pensaient pouvoir remporter.

Si deux personnes arrivent à coordonner une action directe qui fait participer leurs collègues, elles forment un comité plus solide qu’un groupe de 10 personnes qui ne pose pas d’actions concrètes. Depuis que nous avons fait l’action décrite plus tôt, nous avons 50 % plus de collègues qui soutiennent la campagne et le comité s’est entièrement renouvelé; de nouveaux et nouvelles membres ont pris la relève, et les membres d’origine ont pu prendre une pause.

Ce sont ces petites actions qui, plus tard, nous donneront la confiance de partir en grève et de faire valoir des revendications plus importantes. Même cela peut paraître compliqué au début, c’est au comité d’établir son calendrier en fonction de ses besoins. Les syndicats professionnels, de leur côté, se voient imposer des conditions par une tierce partie, qu’il s’agisse de la date des élections ou de la composition de l’unité de négociation chargée de négocier la convention collective. Les représentants seront élus (ou pas), et la convention collective sera adoptée (ou pas) : il n’y a pas de demi-mesure ou de marge de manœuvre.

Un petit comité peut remporter des victoires rapidement ou apprendre de ses erreurs. Ces victoires peuvent aussi permettre à la campagne de grandir au-delà d’un seul milieu de travail; dans le cas du syndicat dont j’ai discuté plus tôt, les membres du comité qui a obtenu des augmentations de salaire et des congés de maladie sont devenus des formateurs et formatrices pour l’OT101 et agissent à titre de mentors pour les organiseurs et organisatrices externes du SITT-IWW. Iels aident d’autres travailleurs et travailleurs à mettre sur pied leurs propres comités et à remporter leurs premières victoires. C’est ainsi que des syndicats forts et solidaires peuvent prendre racine à l’échelle d’une industrie.

Owen King est un membre du SITT-IWW et un organisateur dans l’industrie du jeu vidéo à Seattle.

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