Lastcall! C’était mon dernier shift de portier.

Après plus ou moins six ans d’expérience combinée par-ci, par-là, c’est officiellement la fin de ma vie de portier. Bien que je quitte avec un peu d’amertume, et en dépit de quelques moments un peu moins propres que la profession exige, c’est un métier qui tout au long de mon parcours va être resté aussi honorable que gratifiant à mes yeux. Portier, ce n’est probablement pas le métier typique quand on pense à la gauche, qu’elle soit radicale ou syndicale, mais c’était le mien. Au fil des dernières années j’ai alimenté mon fil d’actualité Facebook des diverses anecdotes qui ponctuaient mes soirées et avec un peu de retard et suite aux pressions de Vanessa et Manu (Merci!),  je vous les présente ici dans un texte dont j’espère que l’origine mi-statut, mi-souvenir, ne viendra pas trop nuire à la fluidité de la lecture.

 

Ma toute première job en sécurité remonte à un quelconque temps des fêtes aux environs de 2009-2010. Agent dans un Centre Hi-Fi. Si rester debout 12 heures par jour avait quelque chose d’un peu emmerdant, la véritable aliénation c’était vraiment d’avoir Shreck 3 joué en boucle sur 44 écrans de marques et de tailles différentes. « Je n’ai jamais lu le capital de Marx, mais j’ai les marques du Capital partout sur moi ». Et moi dont Bill, et moi dont.

 

C’est deux ou trois ans plus tard que j’ai fait le saut vers le monde des bars. Pour le bum de bas étage élevé à grand coup de G.I-Jo, Marvel Comic, shows punks et batailles de sortie de bar que j’étais, être engagé comme portier à la Coop du Café Chaos avait été une grande source de fierté. Sans emploi et un peu sur la brosse, j’étais allé voir le manager pour lui demander s’il cherchait un doorman. Probablement en contraste avec ma grande soeur pas mal plus bum que moi, j’avais réussi à passer pour un bon conciliateur et il m’avait référé au head doorman qui acceptait de me prendre, mes 5 pieds 9, mes 165 lbs mouillées et moi si je réussissais à le sortir. Une grande respiration et un headlock plus tard, demandez et vous recevrez. J’étais engagé. Ce fut une drôle d’année, mais une belle année. Aider les kids et moins kids des scènes contre-culturelles à garder le principal bar qui les accueillait à rester propre en limitant les interventions policières avait quelque chose d’un peu spécial, mais on parlait le même langage. Quelque part entre le fin parfum Robine-Sueur #5 du punk des Maniks Monday et l’attaque olfactive du trop-plein de Herbal Essence de la crowd des jeudis métal, il y avait une même compréhension de ce que c’était le respect d’une place et de son staff. Accessoirement, à cause de la paye qui allait en descendant dû aux problèmes financiers de la place, mais plus sérieusement après avoir été pris pour cible par des néo-nazis en manque de sensations fortes, c’est avec beaucoup de regret que j’aie dû néanmoins démissionner au bout d’un an et mettre fin à cette belle aventure au coeur de la Night Life du centre-ville.

 

Ce ne fut pas moins un choc quand quelques années plus tard j’atterris dans le coquet cadre de porte d’un petit bar bon chic, bon genre d’un quartier gentrifié du nord de l’île et de sa clientèle genre jeunes professionnels friqués.

 

Ils ont entre 25 et 35 ans, costards bleu marine taillés sur mesure pour aller avec leurs coupes de cheveux de Playboy. Ils ont les mains aussi propres que ce que leurs joues sont roses et s’ils ne sont pas à discuter avec humour et admiration des différentes crosses que leurs potes genre vendeurs de chars font pour se mettre de l’argent dans les poches sur le dos des clients ils essaient de calculer la marge de profit qu’ils feront l’année prochaine ou le meilleur angle d’approche pour culbuter la secrétaire.

 

Mesdames et messieurs, tout ce qu’il y avait de plus laid en ce bas monde était planté là devant moi, sur mon coin de rue, à fumer des tops trop chères et à sniffer de la poudre qu’ils auraient probablement dû payer plus chère.

 

Toujours relativement fortunée, mais un peu plus variée qu’au premier coup d’oeil, je m’étais quand même attaché à une partie de cette clientèle. Quelque part entre les pseudos artistes, les hipsters, les touristes, les français du Plateau, les douches de Laval et les prolos aspirant à une élévation sociale, il y en avait pour tous les goûts! Considéré comme le bar trash du quartier par plusieurs je me suis toujours dit qu’il fallait fondamentalement être un gosse de riche pour trouver que le summum de la trasherie c’était une clé de poudre sur le bord de la ruelle et une petite vite dans la salle de bain (ou vice-versa). Un de ces quatre faudra bien qu’ils et elles descendent de leur tour d’ivoire pour aller rencontrer le vrai monde. Remarquez, les gosses de riche aussi ça leur arrive de se perdre au fond de leurs narines. Ils ont plus de moyens pour s’en sortir et de vous à moi, leur mal d’être à quelque chose d’un peu superficiel si on compare à ce qui se passait en bas de la pente dans la ruelle du Chaos, mais ils ne sont pas plus jolis à regarder quand ça leur arrive.

 

On est un soir de novembre, une cliente vient d’arriver, ça faisait trois mois qu’elle n’était pas venue. Elle essaie d’arrêter la coke. 15 minutes après son arrivée, un de ses amis lui avait déjà donné un baggies. Consommation oblige, elle est pas foutue de se rappeler de mon nom, mais semblerait-il que j’ai la gueule de quelqu’un à qui on vient se confier ou demander conseil. J’aurais aimé ça trouver des cools mots, mais j’ai rien trouvé de mieux que de lui suggérer de rentrer chez elle ce mettre en pyjama devant Netflix et de sauter un vendredi soir qui somme tout va ressembler aux 50 derniers et aux 50 prochains. D’ici une heure ou deux, son regard va devenir un peu vide, sa mâchoire va se serrer et elle va commencer à radoter les mêmes phrases creuses. Elle va se réveiller demain matin après s’être dit que c’était juste ce soir, retour à 0 pour l’addiction, 50$ de moins dans les poches et deux ou trois remords. C’est que sans ça il manque un truc à sa soirée. Un grand vide.

J’ouvre la porte au dealer. Il me souhaite une bonne soirée, je lui rends la pareille.

 

Dans un bar tout le monde joue un peu un rôle. Le barman est ton ami, à toi et aux 150 autres client.es. La serveuse te trouve mignon, non ton nom ne l’intéresse pas. Je vais te mettre dehors si tu consommes, mais je connais le prénom de tous les dealers.

 

D’ailleurs, ne te fâche pas, les clients aussi jouent un rôle. Déjà ça se voit aux fringues que les gens mettent. Je n’ai pas d’avis particulier sur l’esthétique de la sandale à talon haut, mais si l’objectif de la soirée est de se lancer dans un concours de shooters, moi je suggère toujours la botte de marche ou le soulier de course. (Profession portier, ascendant cordonnier, tendance pas designer de mode.). Ensuite, il y a son rapport au boulot. Parce qu’il faut vraiment être un avocat ou un architecte pour penser que hurler frénétiquement aux oreilles du bouncer qu’on est avocat ou architecte se transforme automatique en un passe-droit pour avoir pisser sur la terrasse ou insulter un autre client au sujet de son orientation sexuelle. Finalement, il y a le style de vie, comme ce client chaud raide au bar, un peu problématique. Catégorie : J’étais un caïd à 20 ans, j’en ai aujourd’hui 50 et non seulement la vie ne m’a pas raté, mais en plus la taverne où j’allais est devenue un bar branché ou je ne suis plus assez beau pour être le bienvenu aux yeux du gérant.

Moi: Je m’excuse mon chum, va falloir que tu viennes avec moi, la soirée est finie.

Client: *regarde autour pour être sûr que personnes nous voit* Ok ok, mais je peux-tu te rejoindre dans 2 minutes? Je veux pas que le monde voit que je me fais sortir.

 

Je vous jure, il y a des conversations qui ont fait plus mal à mon petit coeur de portier que bon nombre des coups de poing que ma gueule d’ange a reçus.

 

Qu’on ne se méprenne pas, outre un léger décalage en termes de classe sociale, j’ai beaucoup aimé travailler à ce dernier emploi comme à tous les autres avant. Tous les autres sauf la sécurité dans un Centre Hi-Fi pour Noël. Rester debout, immobile pendant 12 heures je peux le faire, mais devant Shreck 3 sur repeat affiché dans 43 écrans de formes et de tailles différentes c’est tout simplement de la torture. Mais j’ai aimé les partys de fin de session de science politique, comme les shows punks du lundi soir, en passant par les premiers Word Up Battle ou les victoires de l’équipe amateure de Rugby. Les jeudis soirs pluvieux où il n’y a qu’une poignée d’âmes en peine qui viennent boire leur solitude. Les Saint-Jean ou la fierté patriotique n’a d’égale que la quantité de vomi dans le caniveau. L’amour un peu cross side du jour de l’an, comme l’extra de testostérone du petit gars qui met un masque à l’Halloween. J’ai profité de chaque instant.

 

J’ai eu droit à des perles de réflexion imbibée de tequila: « Moi je trouve ça cave les batailles de bar. Tant qu’à me battre je veux le faire pour de quoi de vrai. Tsé comme me battre pour ma patrie. Quelque chose d’intellectuel quoi. » J’ai majoritairement eu des partners en or et le staff, quand il ne remet pas en question ta décision de sortir un client a toujours été marrant. La majorité des habitués avec leur bonne humeur ont sauvé je ne sais pas combien de mes soirées d’un ennui certain. Et ça a toujours été un plaisir de m’assurer que les habitués, comme le voisinage, passent un bon moment. J’y serais sûrement encore si ce n’avait été d’une accumulation de fatigue et d’un manque de respect pathologique de la haute direction du premier au dernier jour. Parce qu’on va se le dire, la seule chose qui est plus nocive que de travailler de nuit, c’est le travail en soi.

 

Merci à tout le monde qui a fait des dernières années, une chouette expérience. Sans rancune aux clients que j’ai sortis à coup de pied dans le cul. Ne prenez pas votre voiture en partant siouplait, un à la fois dans la salle de bain et pisse pas sur l’arbre j’ai dit. C’est mon Last call.

 

Cheers guys!

 

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Crédit photo: wikimedia.org

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